L’affaire Karachi, ou la République des coups tordus2

Sous le règne de Nicolas Sarkozy, les scandales se succèdent, répandant une odeur pestilentielle à la tête de l’État. Tandis que le feuilleton Woerth-Bettencourt n’en finit pas de rebondir, voilà que s’ouvre ce qu’il est convenu de désigner comme « l’affaire Karachi ». Plaçant en pleine lumière les mœurs d’élites profitant du secret et de l’arbitraire consubstantiels à notre V° République.

En résumé : en 1994, la conclusion d’un contrat de ventes de trois sous-marins au régime pakistanais se serait accompagnée de commissions versés à des agents de ce dernier, pour le coquet montant de 825 millions d’euros ; ces tractations, se seraient opérées par le biais d’une société écran de la très officielle Direction des constructions navales (DCN), société dont la création aurait été directement supervisée par le ministre du Budget de l’époque, un certain M. Sarkozy ; les flux financiers auraient transité par divers paradis fiscaux, et ils seraient ensuite revenus en France, sous forme de rétrocommissions, lesquelles auraient largement alimenté la campagne présidentielle d’Édouard Balladur, dont le porte-parole n’était autre… que Nicolas Sarkozy ; tout juste élu, en 1995, contre son rival de droite, Jacques Chirac aurait interrompu le versement des commissions aux intermédiaires pakistanais, ce qui, en réaction, aurait provoqué l’attentat de mai 2002, à Karachi, contre un bus de la DCN, faisant quatorze victimes, dont onze techniciens français. Un attentat primitivement attribué au terrorisme islamiste, avant que l’enquête ne s’oriente vers un contentieux franco-pakistanais lié au versement stoppé des commissions…

Y voyez-vous à peu près clair, dans ce sac de nœud ? Non ? Normal, tout aura été mis en œuvre, depuis des années, pour brouiller les pistes, retarder les investigations judiciaires et refuser aux magistrats l’accès aux documents classés « secret défense », enliser le travail de la mission parlementaire d’enquête. Sauf que, par bribes, des éléments de vérité finissent par affleurer. Et que, avec l’expérience des ressorts de l’État que l’on peut aisément lui reconnaître, Valéry Giscard d’Estaing a fini par asséner que commissions (légales, au moment des faits) et rétrocommissions (finançant illégalement une activité électorale) ont bien existé.

Comme je n’ai ni l’intention, ni les moyens de me substituer à la justice ou aux journalistes qui font courageusement leur travail, et que j’ai encore moins le désir de tomber sous l’accusation d’atteinte à la présomption d’innocence, je n’ai éprouvé le besoin d’écrire sur ce sordide dossier que parce qu’il m’apparaît instructif d’un double point de vue politique.

DES ÉLECTIONS GÉNÉRALES, C’EST URGENT !

En premier lieu, force nous est, à nouveau, de constater que le régime s’avère en pleine déliquescence. Il est jusqu’aux saillies, vulgaires à souhait, du président de la République en marge d’un sommet international, pour nous convaincre de la panique qui s’est emparée de nos dirigeants. Sur fond de haines recuites opposant entre eux les divers clans de la droite, dans la logique des coups bas ayant ponctué l’affaire Clearstream, après le remaniement lamentablement raté du 14 novembre, l’étalage de leurs turpitudes fait perdre, chaque jour, un peu plus d’autorité à nos gouvernants.

La gauche peut-elle se permettre d’assister passivement – voire avec gourmandise – à cette putréfaction ? Forte de l’irruption sociale des deux mois écoulés, qui portait en elle l’exigence de démocratie et de retour du pouvoir aux citoyens, il lui serait pourtant possible de s’extraire d’un climat fétide, de paraître porteuse d’assainissement des mœurs politiques et de transparence. Il suffirait qu’elle prenne acte de l’illégitimité désormais consacrée du pouvoir, pour exiger que l’on restitue la parole au peuple, au moyen d’élections générales. Faute de quoi, pataugeant à son corps défendant dans ce qui apparaît comme un marigot à des millions d’hommes et de femmes, elle risque de laisser enfler la tentation du « tous pourris ». Laquelle fera immanquablement le jeu des pêcheurs en eau trouble de la famille Le Pen…

OUVRIR UN PROCESSUS CONSTITUANT

Ma seconde réflexion procède du fait que, de Clearstream en révélations des connivences entre l’UMP et l’affairisme financier, de tentatives de museler la justice en surveillance des médias suspectés d’indépendance, c’est la perversité même de la V° République qui se trouve révélée au pays. Les institutions crées par et pour le général de Gaulle, à la faveur (rappelons-le) d’un coup de force militaire, ont en effet pour principale caractéristique d’avoir favorisé les coups tordus de toute sorte, la prolifération des officines douteuses, l’utilisation illicite de sommes considérables au profit des partis dominants – et, singulièrement, d’une droite à laquelle les lambris ministériels n’auront échappé que pour des séquences finalement assez courtes -, l’usage permanent de pratiques liberticides favorisées par l’opacité absolue dans laquelle tourne la machine étatique… Aucun président, de De Gaulle à Chirac en passant par Mitterrand, n’y aura échappé.

À ceci près que l’actuel tenant du titre, en poussant à son paroxysme la confiscation de tous les leviers de commande par le sommet de l’État, en aura finalement déstabilisé l’ensemble des mécanismes. Au point d’affaiblissement et de discrédit où il se trouve plongé, Nicolas Sarkozy aura accentué l’usure des institutions. Il voulait, à son usage particulier et au service du grand bond en arrière libéral qui lui sert de projet, ouvrir le chemin d’une V° République-bis, ultraprésidentialiste, au fonctionnement démocratique encore atrophié, recentralisée autour d’une oligarchie politico-financière omnipotente. Il aura démontré le besoin d’une VI° République, redonnant toute leur place aux Assemblées élues et à la souveraineté du peuple, réhabilitant une citoyenneté pleine et entière dans tous les domaines de la vie politique et économique, garantissant de nouveaux droits aux travailleurs à l’entreprise, fonctionnant dans la transparence et sous le contrôle de la population.

S’il est urgent, vital, de chasser au plus vite cette droite de sac et de cordes, ce serait une faute majeure, à gauche, que de s’imaginer qu’il suffira ensuite, comme par le passé, de se couler dans le même cadre institutionnel qu’elle. Cette République est à bout de souffle, en voie de pourrissement. Elle est le principal obstacle à la réappropriation de l’action publique par le peuple. Un processus constituant, menant après débat dans tout le pays à une nouvelle République, doit en conséquence être un des points forts d’un programme de changement véritable. C’est une des leçons essentielles de la tourmente politique qui vient de s’ouvrir en France…

Christian_Picquet

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