Nouvelle étape pour le Front de gauche

Enfin ! Nous l’attendions depuis des semaines, depuis la fin de la campagne des régionales pour être exact, cette rencontre « au sommet » entre les trois composantes du Front de gauche. Ce 9 juin, elle aura rendu des conclusions plus que positives. De celles qui autorisent à espérer que notre « maison commune » entre dans une nouvelle étape de sa construction et de son enracinement populaire. D’un commun accord, les trois délégations que nous conduisions, Marie-George Buffet, Jean-Luc Mélenchon et moi-même, nous sommes d’ores et déjà accordées pour renforcer les résistances à la politique de Sarkozy (rien ne serait plus stupide que d’attendre 2012, comme l’a très justement remarqué Marie-George), de travailler à l’élargissement du Front de gauche – en particulier à ces acteurs sociaux ou à ces militantes et militants de terrain qui regardent avec sympathie notre démarche, mais n’entendent pas rejoindre l’un des trois composantes initiatrices), d’ouvrir un processus public d’élaboration d’une plate-forme partagée et d’une offre politique de nature à offrir une majorité à gauche et dans le pays à une perspective de rupture anticapitaliste et antilibérale. C’est à juste titre que Jean-Luc a qualifié cette dernière décision, le travail sur un programme qui nous rassemble, d’événement historique au regard de l’histoire de la gauche. Tout cela devrait se concrétiser à l’occasion d’une nouvelle rencontre, fin juin, après que le travail ait été préparé par le comité de liaison permanent qui réunit les représentants de nos trois formations, Alain Faradji et François Calaret pour ce qui concerne notre Gauche unitaire. En guise de contribution au compte-rendu de cette importante rencontre, je reproduis ici l’intervention liminaire que j’y aurai faite, après mes deux amis du Parti de gauche et du Parti communiste…

“Je vous emboîterai le pas, Marie-George et Jean-Luc, pour dire notre satisfaction de cette rencontre, dont nous aurions, vous le savez, souhaité la tenue plus tôt. Comme vous l’avez souligné avant moi, nous entrons dans un moment historique assez particulier, qui nous confère des responsabilités décisives. Avec le rebond de la crise, l’Union européenne entre dans une phase de convulsions, qui voit non seulement se développer des plans d’austérité brutaux pour les peuples, mais aussi des affrontements entre classes dirigeantes qui pourraient mener à la désagrégation de la zone euro. Les confrontations politiques et sociales qui se font jour en divers pays se heurtent toutefois à l’absence de réponse à la hauteur du côté des gauches et des organisations du mouvement social. C’est donc une situation dangereuse dont, comme en d’autres occasions, l’une des portes de sortie peut être la guerre…

“En France, tout confirme une conjoncture instable. Sarkozy n’a nullement reconquis la légitimité populaire qu’il a largement perdue avec la sanction que lui ont infligées les urnes en mars ; l’exaspération sociale reste toujours aussi forte ; on peut même dire que la société française est au bord d’explosions ; mais l’incapacité de la gauche – et singulièrement de sa composante toujours dominante, le Parti socialiste – à poursuivre l’élan des régionales paralyse les capacités de riposte sociale (on le voit assez clairement sur le dossier des retraites).

“La question, pour notre Front de gauche, est donc de trouver les moyens de peser sur la scène politique, d’incarner une logique alternative crédible, de porter une offre politique à vocation majoritaire, de nature à polariser le débat à gauche et à redonner aux classes populaires l’envie de se réapproprier l’action politique.

“Notre sentiment, à cet égard, est qu’aucun d’entre nous n’a d’alternative à la poursuite de notre démarche conjointe. Il demeure entre nous un débat sur l’horizon d’un nouveau parti. Vous savez que, pour ce qui concerne la GU, nous considérons nécessaire un tel aboutissement. Cela dit, nous savons également que seule l’expérience réalisée en commun pourra en réunir les conditions dans le futur. Pour autant, nous n’avons pas d’autre outil que ce que j’appellerai notre « maison commune », si nous voulons peser réellement sur la réalité et influer sur les reclassements dont nous sentons bien qu’ils sont très loin d’être achevés à gauche.

“En pratique, nous avons à résoudre quatre problèmes : celui de notre présence conjointe dans le paysage politique français ; celui du projet et de la démarche stratégique qui doit nous identifier ; celui de la construction et du développement du Front de gauche ; celui, enfin, des élections.

1. Sur notre existence politique. Non seulement, il nous faut être en pointe dans l’organisation des résistances au sarkozysme, mais nous devons, du moins le pensons-nous, agir comme force politique, porteuse de propositions à la hauteur des enjeux, et cela doit très vite se traduire sur ces deux dossiers cruciaux que sont les retraites et l’Europe. Nous vous proposons, en ce sens, l’organisation de deux campagnes d’opinion : l’une, sur les retraites et la nécessaire redistribution des richesses pour les financer, ce qui pourrait être sous-tendu par une proposition de loi diffusée largement dans le pays et, bien sûr, relayée par nos parlementaires ; l’autre, sur la nécessité d’une autre Europe, émancipée de la tutelle des banques et échappant aux risques de guerre qui se dessinent à l’horizon, ce qui implique la sortie du traité de Lisbonne. Sans court-circuiter ni le calendrier syndical, ni le cadre unitaire initié par l’appel d’Attac et de la Fondation Copernic, nous pourrions ainsi commencer par faire entendre, sur ces deux dimensions essentielles, la logique originale qui nous identifie, celle d’une rupture radicale avec les logiques capitalistes et libérales.

2. Sur le projet et la stratégie. Nous sommes, les uns et les autres, d’accord pour nous atteler à l’élaboration d’un programme partagé, qui dessine le choix de société dont nous sommes porteurs tout en identifiant les propositions phares qui en découlent, sur la répartition des richesses, l’école, les discriminations, l’Europe etc. Sur ce plan, nous sommes plutôt en phase avec la proposition du PG d’un comité de rédaction de cette plate-forme, qui pourrait être mis en visibilité à l’occasion de la fête de” l’Humanité”, quitte à ce que cette structure se partage ensuite le travail sur les propositions concrètes qu’il s’agit de faire émerger dans le débat public. La rédaction de cette plate forme devrait s’articuler à la défense de l’offre politique qui nous distingue de tous les projets déjà existants à gauche, du côté de la « gauche solidaire » version PS comme du côté d’Europe écologie. Vous le savez, nous avons mis dans le débat l’idée de ”« nouveau Front populaire »”. Dans notre esprit, la formule a l’avantage de permettre d’articuler un contenu – la rupture avec l’ordre établi – et le besoin d’implication populaire forte pour ouvrir le chemin à un changement radical. Pour être précis sur la démarche, notre conception n’est pas que le Front de gauche tente de faire émerger cette perspective en entamant des débats avec les directions du PS et d’EE (les différences d’approches entre les uns et les autres ne permettent évidemment aucune construction commune), mais qu’il s’attelle à l’élaboration de son propre programme et de sa propre offre politique, afin de pouvoir ensuite se tourner vers le peuple de gauche et engager la confrontation avec le reste de la gauche. C’est la formule que nous avons choisie. Pierre Laurent, dans sa tribune d’hier de ”l’Humanité”, parlait aussi d’un ”« pacte d’union populaire »”. Le PG évoque, de son côté, un ”« gouvernement de Front de gauche »”. Il nous semble que les différences de formulations recouvrent une approche assez largement convergente : le besoin d’articuler l’affirmation d’une identité forte et l’ambition de conquête d’une majorité à gauche et dans le pays, avec le souci de savoir nous adresser à l’ensemble de la gauche. Dès lors, réfléchissons à la formule traduisant le mieux cette approche partagée…

3. La construction du Front de gauche. Nous sommes tous d’accord pour dépasser le cadre national cartellisé qu’est actuellement le Front de gauche. Pour y parvenir, nous devons nous ouvrir à toutes les forces qui souhaiteraient s’associer à nous, la seule condition étant que cela ne nous renvoie pas à un posture de témoignage et de marginalité qui serait contre-productive au vu des enjeux. Surtout, il nous faut travailler à offrir un cadre aux acteurs sociaux, syndicalistes et militants associatifs, qui manifestent de l’intérêt pour notre construction, mais veulent que leur apport propre et leur expérience puissent être réellement pris en compte. De nos échanges, la proposition a surgi d’une sorte de « quatrième composante » du Front de gauche, qui pourrait s’inspirer du « Front de gauche des économistes » et trouver sa place dans notre « maison commune » dans le cadre notamment du travail sur le projet et l’offre politique. Nous y sommes favorables. Enfin, il est essentiel de favoriser le rattachement au Front de gauche de ces militantes et militants de terrain qui adhèrent à notre volonté de construire une alternative crédible, sans pour autant être disposés à rejoindre l’une de nos formations. Il est sans doute trop tôt pour envisager un processus d’adhésions directes au Front de gauche, la dynamique militante n’étant pas encore suffisante pour le permettre. Nous n’en pouvons pas moins trouver une solution autour des conceptions qui ont déjà été avancées, qu’il s’agisse de comités locaux ouverts du Front de gauche, de réunions de travail larges au plan local, de formes particulières d’association du type « Amis du Front de gauche »… J’insisterai seulement sur le fait que ce processus global – travail sur les contenus et construction d’une dynamique populaire – doivent se traduire visiblement et de manière publique. C’est le sens que nous avons, pour notre part, Gauche unitaire, donné à la proposition d’Assises du Front de gauche…

4. Les élections. GU a pour position de principe que le Front de gauche devrait avoir une posture commune pour les quatre élections de 2011 et 2012. En sachant, bien sûr, que nous aurons affaire à deux séquences (celle de 2011, cantonales et sénatoriales, et celle de 2012, présidentielle et législatives), qui s’emboîteront en même temps qu’elles obéiront à des coordonnées particulières. S’agissant plus particulièrement de la méthode qui présidera à la désignation des candidatures aux cantonales et aux législatives, nous sommes favorables à ce que le processus parte du terrain, en tenant évidemment compte des implantations existantes et des élus sortants, mais qu’un mécanisme national d’arbitrage et d’harmonisation permette ensuite de veiller à la juste représentation de toutes les sensibilités. Enfin, pour ce qui est de la présidentielle, je veux répéter ici que nous sommes pour une candidature du Front de gauche, que nous n’avons aucun d’obstacle à aucune candidature, et que les critères de choix de celui ou de celle qui représentera notre convergence seront, ”in fine”, au nombre de trois : la compétence pour porter notre projet commun, l’aptitude à faire entendre une voix forte dans une configuration traditionnellement difficile pour des courants comme les nôtres, la capacité à incarner notre pluralité dans le cadre d’une campagne qui sera nécessairement collective.

En conclusion, je vous dirai qu’à la lecture de nos trois courriers, il me paraît que nous avons les moyens d’avancer. Il convient, pour le permettre, que nous sachions respecter les rythmes de chacun et faire prévaloir les logiques de conviction plutôt que celles du rapport de force. De notre réunion d’aujourd’hui, devrait donc sortir le message fort que le Front de gauche se met en situation d’entrer dans une nouvelle étape de son développement, qu’il entend intervenir activement dans les grandes batailles du moment, qu’il réactive à cette fin son comité de liaison permanent, qu’il travaille désormais à un projet partagé.

Christian_Picquet

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