Un gouvernement de crise politique

La crise politique est là…On peut même dire qu’en un week-end, on se sera rapproché d’un grand pas d’une crise de régime en bonne et due forme… Ce qui m’autorise à risquer semblable hypothèse ? L’ubuesque épisode du remaniement ministériel, évidemment. Petit retour en arrière. Voici cinq mois, souhaitant démontrer qu’il conservait la maîtrise du ”tempo” politique, le chef de l’État annonçait un big-bang à l’Élysée, au gouvernement et à l’UMP. Las ! l’opération se trouva immédiatement bousculée par le scandale Woerth-Bettencourt, altérant l’autorité présidentielle au point qu’une bonne dizaine d’éminences se mit à postuler frénétiquement à la succession de François Fillon, devant une opinion médusée par tant d’appétits déchaînés. Puis, la contre-réforme à partir de laquelle Nicolas Sarkozy entendait reprendre la main et arracher son second mandat, celle des retraites, n’eut pour effet que de cristalliser la plus puissante et la plus dynamique des mobilisations sociales que l’Hexagone ait connu depuis Mai 68.

À l’arrivée, ce qui devait apparaître comme l’affirmation éclatante du fait du Prince se sera transformé en pantalonnade ! M. Sarkozy aura dû reconduire un Premier ministre auquel l’oppose, depuis des mois, une querelle de prérogatives et d’autorité à la tête de la droite. Il se sera vu contraint d’accepter l’accession, au secrétariat général de son propre parti, d’un Jean-François Copé qui ne fait pas mystère de sa volonté d’accroître ses marges de manœuvre, jouant le match de 2017 avant même que celui de 2012 eût été conclu… L’arrivée, au sein de l’attelage gouvernant, d’un vieux cheval de retour du chiraquisme, Alain Juppé, se sera accompagnée de la dissipation définitive des illusions de l’« ouverture », les socialistes débauchés à l’issue de la présidentielle se voyant brutalement débarqués, à l’exception de ce symbole vivant du retournement de veste qu’est devenu Éric Besson. Cerise sur le gâteau, la majorité aura connu un début de dislocation, avec la déclaration d’indépendance d’une large fraction de la mouvance centriste dont Jean-Louis Borloo aspire manifestement à devenir le chef de file en vue de la prochaine campagne présidentielle. La nomination de figures de second plan de l’ex-UDF, ou encore d’éminences censées incarner la diversité, sans parler de la récupération de la porte-parole de Dominique de Villepin, n’y changeront rien.

Élargir la brèche

Voilà donc un gouvernement moins resserré dans son nombre que réduit quant à sa surface (autour d’un noyau dur issu de l’ancien RPR), qui aura reçu, ce 14 novembre, mission de poursuivre et approfondir les trois ans écoulés de creusement des inégalités et de dérive ultrasécuritaire. Avec toutefois, en haut de la pyramide, un César au crédit profondément diminué, à l’assise politique largement rétractée, à la base sociale en rétrécissement constant. Ce qui augure de l’ouverture probable d’une phase de turbulences et de reclassements à droite.

Tout se passe dorénavant comme si, de ce côté de l’échiquier institutionnel, on commençait à redouter que le sarkozysme ne conduise ses partisans à la déroute et à y rechercher compulsivement une alternative. Une fois n’est pas coutume, il faut lire les propos de Jean-Pierre Raffarin, dans ”le Monde” des 14 et 15 novembre. Ils dénotent qu’une aile du camp conservateur a parfaitement saisi le danger que recélait l’irruption populaire de cet automne et qu’elle s’emploie à ouvrir publiquement un authentique débat d’orientation. Le sénateur de Charente indique, à propos du Premier ministre reconduit à son poste : ”« J’apprécie la personne. Il revendique la continuité, c’est légitime, mais cette ligne politique ne correspond plus à celle qu’il nous faut. »” Et d’ajouter : ”« Il faut une rupture à caractère social.” (…) ”Il faut être lucide : la politique qui a été engagée depuis trois ans a un mauvais impact électoral. Nous l’avons constaté aux municipales de 2008 et aux régionales de 2010, qui ont été catastrophiques. Si l’on ne parvient pas à créer une nouvelle donne politique durant l’acte II du quinquennat, il n’y a aucune chance que le résultat de 2012 soit meilleur. »” Il fait ainsi écho au positionnement d’un Borloo et il exprime à haute voix ce que bien des hiérarques de l’UMP pensent manifestement tout bas.

Cette séquence pittoresque constitue une triple confirmation. Confirmation d’abord que le mouvement populaire ne doit à aucun prix relâcher la pression de ces huit dernières semaines. Si, en l’état actuel des choses, la mobilisation n’a pas trouvé en elle l’élan suffisant pour obtenir le retrait de la loi de destruction de la retraite à 60 ans, elle n’en sera pas moins parvenue à provoquer l’ouverture d’une crise politique majeure, qui place dans les plus grandes difficultés le premier personnage de l’État. C’est donc plus que jamais le moment de redoubler d’efforts, de s’employer à élargir la brèche, sur le terrain des retraites ou de l’assurance maladie, autant que sur ceux de l’austérité, de l’emploi, des salaires ou des services publics. La future journée d’action évoquée par la dernière intersyndicale n’en prend que plus d’importance : elle ne saurait se révéler de pure forme !

Des élections générales s’imposent

Confirmation ensuite que ce pouvoir et sa majorité parlementaire n’ont plus la moindre légitimité pour prétendre plier le pays à des choix qui ne font même plus l’unanimité en leur sein. Ils sont à ce point désavoués dans la rue, rejetés dans les sondages, divisés sur les orientations à conduire, que la démocratie la plus élémentaire commande qu’ils se soumettent maintenant au verdict des urnes. La gauche, toute la gauche, par-delà les débats et les divergences qui la traversent, devrait porter cette exigence d’organisation d’élections générales immédiates, plutôt que de donner rendez-vous au pays dans un an et demi, ainsi que vient de s’y livrer Martine Aubry.

Je le dis sans modestie feinte, les événements de ces dernières vingt-quatre heures me confortent dans l’idée, maintes fois développée sur ce blog, que la question est maintenant posée de la dissolution de l’Assemblée élue en 2007. N’est-ce pas, en effet, Nicolas Sarkozy en personne qui a cru pouvoir se sortir d’une crise sociale aiguë en cherchant à provoquer un électrochoc politique grâce à la définition d’un nouvel équilibre ministériel ? Non seulement, il vient d’échouer, mais il aura du même coup ruiné d’emblée la crédibilité de cette dernière, soulignant s’il le fallait encore à quel point la fracture ne pouvait plus être résorbée entre le pays et l’élite prétendant le représenter. Une nouvelle majorité et un gouvernement tournés vers les attentes populaires ne peuvent attendre 2012. C’est aujourd’hui que le peuple doit recouvrer la parole.

Confirmation enfin qu’il n’est plus possible, dans la foulée, de se dérober à la nécessité de substituer une nouvelle République au cadre institutionnel imaginé, voilà 52 ans, par le général de Gaulle. Au service de la contre-révolution libérale qu’il entendait favoriser, l’hyperprésidentialisme sarkozyen se sera efforcé de pousser à son paroxysme le fonctionnement autocratique de la V° République. Loin d’atteindre l’efficacité espérée et de lui ouvrir le chemin d’une relation directe avec le peuple, la tentative aura isolé comme jamais le monarque jusque dans son propre clan, elle l’aura placé en première ligne des affrontements politiques et sociaux, elle aura miné sa fonction elle-même.

Par conséquent, revendiquer à présent la dissolution de l’Assemblée nationale est encore le meilleur moyen de porter un coup d’arrêt à ce processus délétère de confiscation de la politique au détriment des citoyens. Pour signifier, à l’inverse, que la légitimité doit revenir à la représentation collective du peuple. Que c’est la souveraineté de ce dernier dans tous les domaines, à la ville autant que sur les lieux de travail, qui doit redonner son sens émancipateur à la démocratie. Qu’aux antipodes de la délégation de tous les pouvoirs à des personnages providentiels, le changement de cap nécessaire à la satisfaction des besoins sociaux requiert l’implication permanente de la population et sa participation aux décisions.

En résumé, il m’apparaît réellement indispensable que notre Front de gauche accélère sa mise en ordre de bataille. Qu’il offre vite une réponse cohérente à la tempête sociale de la dernière période et à une crise politique porteuse de si fortes incertitudes désormais. Qu’il se tourne avec audace vers le peuple de gauche, porteur des propositions phares que devrait mettre en œuvre un gouvernement de rupture, défenseur de ce besoin d’un renouveau démocratique qui se concrétise dans l’exigence d’un retour sans délai devant le suffrage universel, artisan à l’intérieur de la gauche d’un vase débat sur l’alternative indispensable.

Christian_Picquet

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