En campagne pour le Front de gauche

Comme je le disais dans ma précédente note, je suis en campagne. Une double campagne, à dire vrai, dans la mesure où il me faut à la fois répondre aux sollicitations diverses que l’on m’adresse comme porte-parole de la Gauche unitaire, et mener la bataille des européennes en Île-de-France où je suis tête de liste numéro trois. Une double besogne, mais pas une double peine, loin s’en faut. Il y a toujours quelque chose d’exaltant dans ces implications de terrain, où l’on se frotte chaque jour à une réalité différente, où l’on découvre le quotidien d’hommes et de femmes que l’on ne connaissait pas la veille encore, où l’on apprend à partager des expériences militantes aussi diverses que palpitantes.

Avec le meeting du 12ème arrondissement de Paris – un succès, c’est-à-dire une salle pleine, un vendredi de week-end pascal et le jour du début des congés scolaires pour cette académie -, où j’ai retrouvé des visages amis, des complices de divers combats pour les droits sociaux, les libertés, la paix ou la solidarité internationale, se sont achevées deux semaines intenses. À présent, voici l’heure venue de savourer quelques jours de répit. Un moment idéal pour faire le point…

À cet instant précis, trois impressions se mêlent dans mon esprit.

D’abord, je l’avoue, j’éprouve du plaisir devant une fraternité militante qui se redécouvre. Ces deux dernières années, j’avais presque oublié le sens de ce mot, tant étaient âpres les batailles que nous menions, je veux parler du courant « unitaire » de la LCR, pour tenter d’empêcher que ne prévale, dans notre famille politique, la tentation du repli et du dessein hégémonique. Là, je retrouve l’enthousiasme que procure l’ambition de changer le cours des choses. Sans doute, tout n’est-il pas facile d’emblée sur le terrain, lorsqu’il faut faire entrer en synergie les équipes militantes du PCF, du PG et les nôtres, dernières arrivées, de la GU. Au final, toutefois, les équilibres n’en finissent pas moins par s’établir. À cet égard, les crispations que l’on peut parfois ressentir quelques minutes encore avant le début d’un meeting, se sont en général évanouies sitôt la dernière note de l’Internationale achevée. Combien de membres ou sympathisants du PCF pour venir, chaque soir, m’exprimer leur contentement des retrouvailles de ce qu’ils considèrent comme les deux tronçons de la grande famille communiste. Combien d’adhérents du Parti de gauche pour me dire que notre décision de créer la Gauche unitaire aura été le lien symbolique d’une entreprise dont la vocation est de changer le rapport des forces au sein de la gauche. À bien y réfléchir, il y a à ce climat une raison fort simple : parce qu’elle revendique son pluralisme, cette campagne échappe à la tentation des règlements de comptes sournois. Ni en son sein, ni même à l’endroit de ceux qui ont fait le choix de se tenir à l’écart du rassemblement d’une gauche de gauche. Je veux, entre autres, parler de mes camarades du Nouveau Parti anticapitaliste. Tout au long des soirées auxquelles il m’a été donné de participer, je n’ai pas entendu une seule invective, une seule accusation gratuite, un seul propos outrancier. Au contraire, je n’ai savouré que des appels réitérés à l’unité. C’est peut-être sur une nouvelle manière de concevoir la politique que débouchera cette expérience.

En second lieu, rien de ce qui distingue les partenaires du Front n’est occulté. Et c’est probablement ce qui donne de l’authenticité et de la force au regroupement. Dans mon propos liminaire, j’évoque ainsi systématiquement les débats qui restent en suspens, sur la stratégie à mettre en œuvre pour reconstruire une gauche digne de ce nom, ou encore sur le nucléaire. Les communistes tiennent généralement à marquer fortement leur identité, et parfois ils « chargent la barque », mais cela a au moins le mérite de rappeler les intenses discussions qui se déroulent entre eux et de nous remémorer que cette configuration unitaire n’allait pas nécessairement de soi après tant d’échecs subis par le passé pour réunir les forces antilibérales. Les militantes et militants du Parti de gauche ont à cœur, quant à eux, de signifier avec force ce qui les rattache à la grande tradition du socialisme démocratique et à la perspective de la République sociale, tels que Jaurès continue de les symboliser. On aurait tort de redouter cette diversité. Elle constitue incontestablement notre atout maître, dès lors que les bases de la campagne ont été méticuleusement définies. L’alternative à gauche, comme j’ai l’occasion de le répéter, là encore, presque tous les soirs, ne peut provenir d’une seule composante politique ; elle sera le produit de la synthèse du meilleur des traditions qui ont jusqu’alors structuré la gauche et le mouvement ouvrier… ou elle ne sera pas !

Enfin, et c’est sans doute le test le plus important, cette campagne se veut en prise avec les grands défis du moment. Elle se veut le prolongement politique de la bataille sociale qui a déjà, contre M. Sarkozy et Mme Parisot, mis des millions d’hommes et de femmes dans les rues : en quelques jours, depuis le 19 mars, le mot d’ordre du Front de gauche est devenu : « Unité dans les luttes, unité dans les élections. » Ceux qui pronostiquaient que cette convergence aurait tôt fait de dériver vers une simple opération électoraliste, en sont d’ores et déjà pour leurs frais. Chaque soir, s’expriment aux tribunes des acteurs du mouvement social, les convergences de défense des services publics, des combattants de la paix et du désarmement… Dans les salles, on croise tout le « premier cercle » de la gauche : socialistes attirés par l’idée de renouveler avec nous le message du 29 mai 2005 (ce vendredi 10 avril, par exemple, les anciens « nonistes » du PS étaient venus nombreux, manifestement pour voir de plus près ce Front de gauche qui commence à « interpeller » leur conscience militante) ; écologistes convaincus que l’on ne peut en finir avec le productivisme sans s’en prendre frontalement à la logique capitaliste elle-même, contrairement au message que délivrent les listes de Cohn-Bendit ; secteurs de la gauche alternative, dans leur diversité, qui commencent à s’intégrer aux comités de campagne (les Alternatifs dans le Morbihan, le collectif « Alternative de gauche 54 en Meurthe-et-Moselle ont franchi ce pas ; représentants des luttes locales pour l’emploi, la santé ou l’éducation ; féministes, collectifs de soutien aux sans-papiers, altermondialistes et animateurs d’Attac ; responsables des organisations du syndicalisme progressiste en milieu paysan ; militants du droit du peuple palestinien à vivre libre…

Un mot encore à propos des dialogues qui s’instaurent, ici ou là, avec des représentants du NPA. Ils sont généralement cordiaux, même s’il arrive que j’ai affaire à des interlocuteurs d’autant plus agressifs que leurs argumentaires se révèlent peu au point. Ainsi, il y a quelques jours, à la faculté de Tolbiac, aurai-je eu droit à l’interminable lecture de discours… de François Mitterrand au temps du Programme commun. Passons ! La caricature se nuit à elle-même. Je remarque toutefois que le propos attendu sur le « front durable », que PCF et PG auraient récusé par souci de ne pas compromettre des alliances futures avec le PS, tend de plus en plus à se voir remplacé par d’autres, qui laissent perplexes sur la réalité des objectifs des dirigeants du NPA dans cette campagne.

On m’aura, par exemple, doctement expliqué qu’aucun accord s’avérait possible dès lors que la question cardinale du rapport au reste de la gauche n’était pas réglée. Que le problème venait de la complaisance de Marie-George Buffet envers des directions syndicales qui se dérobaient à l’appel à la grève générale. Que les élections n’étaient, tout comptes faits, que péripéties secondaires. Autant de points qui aboutissent à ignorer délibérément l’enjeu décisif de la période que nous traversons : faute d’un débouché politique à la hauteur des attentes populaires, le mouvement social, aussi profond et majoritaire dans l’opinion fût-il, est tout simplement menacé d’échec, dès lors qu’il se trouve confronté à une droite et à un patronat soudés sur une visée politique globale et un authentique projet de société.

Expliquer, dans ces conditions, qu’il faudrait subordonner la formation d’un front politique au règlement des problèmes de stratégie sur lesquels butte la gauche de gauche depuis des lustres, revient en vérité à refuser le moindre accord tant que ne sont pas réunies les conditions… d’un parti commun (à moins que cela ne suggère, ce que je crains, que rien n’est envisageable sans que l’hégémonie du NPA ne soit définitivement installée sur l’espace situé à la gauche de la rue de Solferino). Par ailleurs, accuser le Front de gauche d’hésitation dans l’appel à la grève générale reconductible supposerait que l’on fût soi-même en situation de proposer une méthode pour construire une semblable perspective, ce qui n’est pas le cas tant la conjoncture est complexe (sauf, bien sûr, si l’exhortation incantatoire à un mouvement d’ensemble n’est que l’habillage d’une orientation résumée à la dénonciation des directions « traîtres »… ). Quant à l’importance exorbitante que nous accorderions aux rendez-vous électoraux, je lisais l’autre jour, dans Le Point, une extravagante déclaration d’Alain Krivine : « On n’est pas électoraliste. Si on se présente, ce ne sera pas de gaieté de cœur, car on est d’abord le parti des luttes sociales. » Il m’avait pourtant semblé que la tradition politique qui demeure la mienne, avait conclu, voici deux ou trois décennies, qu’il fut erroné, dans la foulée de Mai 68, de s’abandonner aux facilités des tirades contre la « farce électorale ». La Ligue l’avait payé d’une longue marginalité sur le champ politique, avant que la percée d’Olivier Besancenot à la présidentielle de 2002 ne lui confère un nouveau statut (au fait, mes camarades comptent-ils appliquer leurs formules radicales à l’échéance de 2012 ?). Rien de tout cela n’est sérieux. Et nous n’en serons que plus déterminés à garder, jusqu’au dernier instant, la main tendue en invitant le NPA à ne pas s’enfermer dans un choix qui, à bien y regarder, est celui de l’impuissance et de la désespérance !

Allez… Je ne veux pas m’appesantir davantage sur la tristesse que j’éprouve à voir les miens additionner ces petites régressions qui peuvent, à la longue, donner naissance à une grande dérive… D’autant que, chaque jour ou presque, je vois arriver des adhérents ou sympathisants qui me disent leur désarroi devant la posture isolationniste choisie par la direction du nouveau parti et, pour beaucoup, leur volonté de s’associer au combat de la Gauche unitaire. Savoir que ce que vous faites est source de réconfort pour nombre de militantes et de militants, cela fait chaud au cœur !

Pour ce que j’en ai déjà vu, la campagne du Front de gauche démarre plutôt bien. Pas de regret, donc, du choix que j’ai été amené à faire avec mes camarades de la Gauche unitaire. Tout reste, néanmoins, à construire, des plans de mobilisation dont il va falloir doter les sept campagnes hexagonales (toutes sont loin d’avoir débuté avec un dynamisme comparable à celle du « Sud-Ouest », où les réunions publiques oscillent – déjà ! – entre 500 et 1000 participants), aux comités locaux qui ont vocation à réunir l’ensemble des segments de la gauche de gauche. Aucun doute cependant, si chacune et chacun s’y met, sans perdre de temps, le pari peut être couronné de succès…

Christian_Picquet

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