Des ravages de la com’ en politique

Lorsque l’on possède une certaine idée de la politique, on ne peut que serrer dents et poings lorsque, même à gauche, on sacrifie le combat d’idées à la recherche de postures à l’efficacité, croit-on, immédiate. C’est « l’affaire Mitterrand » qui m’amène à prendre la plume sur ce point.

Quel triste spectacle, vraiment, que cette polémique mobilisant responsables de partis et éditorialistes de renom ! Les élites médiatico-politiques s’admonestent sur les frasques supposées d’un ministre ayant obtenu, sur son seul nom symbole de la prétendue ouverture de la majorité gouvernante, le portefeuille tant convoité de la Culture. Pitoyable, à l’heure où ce sont les plans de licenciements, la baisse du pouvoir d’achat ou la taxation de la maladie et des accidents du travail qui font le quotidien des Français…

Je dois à la vérité de reconnaître que, jusqu’à ces derniers jours, j’ignorais tout de l’ouvrage incriminé, ”La Mauvaise vie”. Je ne sais donc si Frédéric Mitterrand s’y montre ou non complaisant envers ce « tourisme sexuel » sordide qui transforme des jeunes, parmi les plus pauvres de pays dominés, en chair fraiche à disposition des élites friquées du monde capitaliste développé. À lire les gazettes ces derniers jours, il semblerait que non… Dont acte ! De toute manière, je ne me précipiterai pas dans la première librairie venue pour acheter cette prose controversée. Pour le simple motif qu’elle ne m’intéresse nullement. Il faut toute la connivence des « plumes » éminentes de nos prestigieux quotidiens pour qualifier de littérature l’étalage des tourments intérieurs de petits marquis qui occupent le devant de la scène parce qu’ils possèdent tout, monopolisent les médias, se cooptent entre eux aux plus hautes distinctions. Paraphrasant Gracq, l’écrivain Pierre Jourde stigmatisa un jour une ”« littérature sans estomac »”, qui ne satisfait qu’à la logique marchande ayant emporté le monde de l’édition. Nous sommes en plein dedans…

Il n’est évidemment pas anormal, Frédéric Mitterrand étant un personnage public, détenteur même d’une haute charge publique, que d’aucuns se soient interrogés pour savoir si ses écrits avaient contrevenu à la plus élémentaire éthique, voire à la loi. Mais, outre que le questionnement venait bien tard après la publication du livre, n’y avait-il plus urgent, pour des responsables de gauche, que de s’engouffrer dans le déballage nauséabond initié par Marine Le Pen ? Soit, qu’ils aient cru là affaiblir le régime jusque dans ses soutiens les plus solides. Soit qu’ils aient cru opportun de voler au secours du ministre attaqué, comme Daniel Cohn-Bendit, avec des accents complices qui ont de quoi révulser quiconque, parmi les gens « ordinaires », a d’autres chats à fouetter.

Manifestement, Benoît Hamon s’est trompé de cible en demandant la démission de M. Mitterrand. À vrai dire, on ne peut le lui reprocher. Porte-parole d’un Parti socialiste qui n’a plus aucun message d’espoir à délivrer aux classes populaires, il lui incombe d’au moins faire acte d’opposition. Le drame, pour lui, est certainement de ne pouvoir exprimer les idées de son propre courant (avec lesquelles, je l’ai déjà écrit, il existe bien des points de convergence). Il court, ce faisant, le risque de faire passer la com’ avant la politique, au point de concourir au discrédit de cette dernière auprès des citoyens. Sans doute, Nicolas Sarkozy va t-il payer au prix fort ce scandale auprès de la droite profonde, celle qui vibre aux appels à l’ordre moral, qui vomit tout ce qui ressemble à un homosexuel ou à un intellectuel, qui n’a que haine à l’encontre de tout ce que représente à ses yeux une gauche qu’un patronyme semble abusivement assimiler à l’actuel ministre de la Culture. Et après ? En quoi notre camp en deviendra-t-il plus fort ? En quoi cet échange vaseux peut-il frayer un chemin à l’alternative politique qui serait si nécessaire ?

De « l’affaire » Mitterrand au déficit budgétaire…

Ce n’est pas la première fois que, du côté du PS, on s’aventure sur ces chemins de traverse qui conduisent à contester l’adversaire sur le terrain idéologique de ce dernier. Avant l’épisode Mitterrand, il y avait eu celui du débat budgétaire. On le sait, le gouvernement Fillon a décidé de laisser filer le déficit jusqu’au niveau record de 8,5% du produit intérieur brut. Une partie du camp conservateur a hurlé à la mort de l’orthodoxie libérale. Elle était dans son registre. Devait-on, pour autant, entendre les ténors du PS emboîter le pas en clamant que la France ”« était ruinée »” ?

Le courage, disait Jaurès, c’est de chercher la vérité et de la dire. En l’occurrence, s’agissant de la loi de finances 2010, pour celles et ceux du moins qui se revendique d’une gauche fière d’elle-même et de la classe au nom de laquelle elle se bat, trois éléments eussent mérité d’être soulignés. Un, que le déficit français se révèle légèrement au-dessous de la moyenne de la zone euro. Deux, que la dette ne s’accroît pas plus rapidement en France que dans la plupart des pays industrialisés. Trois, que pour faire face à une récession de l’ampleur de celle que nous vivons, Keynes l’aura démontré avec brio en son temps, il n’y a rien d’iconoclaste à injecter de l’argent, donc de recourir à l’arme du déficit budgétaire. N’en déplaise aux idéologues fanatiques de la Banque centrale européenne, de la Commission de Bruxelles ou d’une énarchie convertie aux préceptes de Milton Friedman.

S’il convient de s’affronter vigoureusement à la droite à propos des orientations qu’elle s’apprête à soumettre au Parlement, ce n’est pas sur le principe du déficit (laissons à Raffarin l’idée absurde que les finances d’une nation doivent répondre aux mêmes critères que la détermination du budget d’une famille), mais sur les finalités poursuivies. Ce qui devrait révolter les dirigeants socialistes et les pousser à mobiliser l’opinion, c’est la manière dont les fonds sont distribués, les cadeaux toujours plus somptuaires consentis aux plus riches, l’absence de contrôle des entreprises bénéficiant des subsides de l’État, l’inexistence de toute action protectrice de l’emploi comme de toute politique industrielle s’inscrivant dans une logique de développement soutenable, le refus d’encourager la consommation populaire en brisant avec l’austérité salariale, la persistance d’une volonté de détruire les protections sociales au risque de rendre la crise toujours plus violente pour les plus fragiles. À elles seules, plutôt que de se perdre dans des considérations qui sont traditionnellement celles de l’adversaire, ces critiques des fondements de classe du budget sarkozyen auraient largement de quoi occuper le temps de parole de la formation principale de l’opposition parlementaire.

Surtout, elles amèneraient à quelques salutaires remises à plat. Une réorientation radicale des options économiques et sociales qui dominent depuis trop d’années suppose, en effet, de s’émanciper sans états d’âme du carcan imposé par les traités européens. D’en finir, par exemple, avec une gestion induite par l’interdiction de la moindre harmonisation des fiscalités à l’échelle des Vingt-Sept. De refuser une désindustrialisation consécutive à la mise en concurrence des économies sur la base du « moins coûtant ». De briser avec des politiques ayant soumis l’ensemble des activités économiques à la loi d’airain de la formation de faramineux profits sur les marchés financiers. Plutôt que de se focaliser sur le principe du déficit budgétaire, de poser le problème crucial de la conception même de la zone euro, car pointe déjà le spectre du remboursement d’une dette qui se produirait dans un contexte de déflation. De récuser, en conséquence, cette disposition scandaleuse qui voit par exemple la BCE prêter à 1% aux banques tandis que les États se doivent d’emprunter à 3,5% auprès d’elle. De remettre en cause le statut de l’institution présidée par l’excellent M. Trichet…

Il y aurait, dans cet engagement courageux, un vrai motif d’espérer pour un peuple de gauche que désoriente la propension de ses représentants à ne faire que de la communication pour ne pas déroger aux canons de la pensée unique libérale. S’il est une seule leçon à retenir de la polémique Mitterrand, c’est bien celle-là. Seulement celle-là…

Christian_Picquet

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