Clarifications à gauche

Ce blog est resté muet quelques jours pour permettre qu’il y soit apporté quelques améliorations. Que l’ami qui veut bien m’apporter son concours en la matière en soit chaleureusement remercié. Je reprends la plume alors que l’horizon s’éclaircit quelque peu… Du moins du côté de la gauche de gauche car, au-delà, dans l’aire du Parti socialiste et d’Europe écologie, ce sont toujours la confusion, les calculs d’arrière-cuisines et les dérives droitières qui dominent.

Hier soir, mercredi 28 octobre, se tenait une réunion des dix organisations ayant engagé entre elles un processus de concertation en vue d’une participation commune au scrutin régional de mars 2010. J’en étais, dans le cadre de la délégation de Gauche unitaire, et j’en suis sorti encore conforté dans la conviction que j’ai ici tenté de vous faire partager ces dernières semaines, à savoir que la dynamique initiée par le Front de gauche aux dernières européennes ne pouvait s’interrompre après le premier succès électoral du 7 juin.

Ce dimanche 25 octobre, donc, alors que les trois composantes fondatrices dudit Front réunissaient leurs conseils nationaux respectifs, le Parti communiste aura fait connaître son ”« offre nationale »” pour les élections régionales. Elle n’est pas vraiment une surprise, pour celles et ceux qui suivaient depuis des mois les réflexions en cours au sein de ce parti et en retiraient chaque jour davantage la certitude que les communistes voulaient approfondir le processus engagé depuis le début de l’année avec leurs alliés du Parti de gauche et de la Gauche unitaire. Lorsque nous affichions, nous, la Gauche unitaire, notre sérénité sur l’issue de la discussion interne au PCF, il se trouvait toujours un esprit avisé pour nous avertir que nous faisions fausse route et que, jamais, vraiment jamais, cette famille politique ne pourrait se résoudre à emprunter un chemin différent du PS. Notre optimisme, pour ne pas dire notre confiance envers notre partenaire du Front de gauche, nous valut même, du côté d’un NPA enfermé dans la certitude que les choses étaient immuables et que ce qu’il nomme avec dédain la « gauche institutionnelle » était vouée par nature à la trahison, d’être qualifiés de ”« bouclier du Colonel-Fabien »” ! Rien que cela ! Passons, tout ce qui est excessif n’est pas digne du moindre intérêt…

« L’offre » qui débloque le jeu

Toujours est-il que le conseil national du parti a arrêté – à 80% de ses membres, ce qui est en soi un acte politique des plus sérieux -, une proposition consistant, pour le premier tour des régionales, à préconiser les ”« listes de Front de gauche de large rassemblement au premier tour, qui, à partir mais très au-delà des trois forces qui se sont rassemblées à l’élection européenne (Parti communiste, Parti de gauche, Gauche unitaire), permettraient de réunir toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans cette démarche »”. Ces listes sont, pour nos camarades communistes, de nature à ouvrir ”« un autre choix à gauche que celui porté par le PS ou Europe écologie »” et elle visent ”« à lever une dynamique de rassemblement et de victoire à gauche sur des choix clairs »”. La vocation majoritaire des listes en question est désignée en ces termes : ”« Tout faire pour empêcher la droite de reconquérir les régions, et créer partout les conditions de majorités régionales de gauche, avec l’objectif de porter dans ces majorités des projets de transformation sociale réelle et, si les conditions en sont créées, de travailler à leur mise en œuvre jusque dans les exécutifs régionaux. »” Enfin, s’agissant du second tour, le Parlement communiste expose en ces termes ses vues : ”« Cela supposera de travailler sans ambiguïté au lendemain du premier tour à la fusion des listes de gauche et écologiques, donc à l’exclusion du Modem, dans le respect de l’influence de chacune de ces listes. »”

Comment ne pas saluer avec enthousiasme une décision qui, émanant d’une composante majeure de la gauche de gauche et exprimant l’option nouvelle qu’il est amené à prendre dans une conjoncture profondément transformée (en 2004, les communistes ne s’étaient présentés en autonomie du Parti socialiste que dans une minorité de régions), est de nature à rendre possible l’alliance la plus vaste des forces transformatrices au premier tour de la consultation qui s’annonce ? D’autant que, grâce à ce fait nouveau, le Front de gauche a pu reprendre sa marche en avant, après les quelques soubresauts qui l’ont agité depuis la rentrée.

Le Front de gauche relancé

Ce 28 octobre, c’est ainsi sur un texte commun, dessinant le cadre possible d’un accord qui ne vole pas en éclats à la première embûche venue, que les trois composantes du Front se sont présentées devant leurs interlocuteurs. Brièvement exposées en une page et demie, nos propositions avaient le mérite de la clarté : défendre un programme de rupture avec les logiques capitalistes, libérales et productivistes ; affirmer une volonté convergente de bouleverser la donne à gauche, afin que soient créées les conditions d’une majorité à gauche sur une vraie politique de gauche, à l’échelon national comme à celui des régions ; afficher un profil résolument antidroite, en dessinant la perspective de fusions des listes de gauche et écologistes au second tour, sur la base de l’indépendance de chacune d’elles, dans le respect du rapport de force qui se sera dégagé du verdict des urnes, sans alliances avec le Modem ; souligner que la participation aux exécutifs des futurs conseils régionaux suppose que les conditions soient réunies de la mise en œuvre d’orientations réellement ancrées à gauche dans les régions.

Chacune des organisations à laquelle s’adresse cette offre se trouve à présent confrontée à un choix crucial. L’heure n’est plus aux petites phrases, aux faux-semblants ou aux querelles sur des queues de cerises. Veut-on, oui ou non, occuper l’espace de la gauche, celui que le PS et Europe écologie laissent en déshérence, pour le plus grand bénéfice de Nicolas Sarkozy, du fait de leurs renoncements ou des alliances au centre auxquelles ils se préparent, pour porter la grande ambition de postuler à conquérir une majorité à gauche ? Ou en reste-t-on à une posture de témoignage, parce que l’on considère que s’inscrire dans la perspective de majorités ancrées à gauche dans le plus grand nombre possible de régions ouvre la porte à toutes les compromissions ?

La balle dans le camp du NPA

On l’aura compris, la question s’adresse en premier lieu aux dirigeants du Nouveau Parti anticapitaliste. En une semaine, bien avant que le Parti communiste expose son « offre » (mais, peut-être sentaient-ils que celle-ci contrarierait leurs pronostics apocalyptiques), ils auront multiplié les retours en arrière par rapport aux avancées que l’on eût pu espérer après les premiers échanges de ce côté de l’échiquier politique. On aura, par exemple, vu revenir la problématique des ”« deux gauches irréductiblement opposées »”, qui interdit évidemment toute adresse efficace aux électeurs socialistes ou écologistes à la recherche d’authentiques réponses de gauche, et qui ferme ”a priori” toute possibilité d’alliances avec ces forces, quelles que soient les conditions, fût-ce sur la base d’éléments essentiels du programme porté par la gauche transformatrice au premier tour. On aura, de même, vu surgir l’exigence qu’un accord national ne souffre aucune exception dans aucune des 21 régions de l’Hexagone, comme pour anticiper le fait que, dans une minorité de régions, les communistes pouvaient, à l’inverse de la position de leur conseil national, choisir de reconduire leur alliance avec le PS (ce qui revient à méconnaître, avec une sacrée dose de mauvaise foi, la portée de la décision prise nationalement par la direction du PCF). Surtout, on aura vu s’exprimer une sorte d’obsession de la rupture avec le PCF, l’une des principales responsables du NPA poussant jusqu’à l’absurde son raisonnement en expliquant que la place du Colonel-Fabien ne pouvait que militer en faveur d’une édulcoration du programme du Front de gauche en vue… de mieux s’acoquiner avec les socialistes !

Le bouquet de ce feu d’artifice aura été tiré par Olivier Besancenot en personne, dans l’interview qu’il accorda à ”Libération”, le 27 octobre. On y aura retrouvé – comme si rien ne s’était passé depuis la fondation du NPA, pas même l’échec du projet de celui-ci, tel que l’aura enregistré son score du 7 juin – la même rhétorique calamiteuse qui avait déjà conduit le nouveau parti à refuser de s’allier au PCF et au PG pour le rendez-vous des européennes. Le lecteur avisé aura même pu y relever cette perle consistant, de la part du porte-parole du NPA, à affirmer très sérieusement que sa formation n’avait pour objectif que d’être une ”« opposition de gauche »” au sein des futurs conseils régionaux… Au diable donc, l’ambition de bouleverser la donne au sein de la gauche, d’y changer le rapport des forces en la défaveur des tenants du social-libéralisme et de l’écolo-libéralisme, de conquérir la majorité dans le peuple de gauche et dans le pays, de pouvoir sur cette base diriger des régions sur des mesures de rupture avec le libéralisme et le productivisme.

Parlons franchement et… fraternellement. Les choses ne sont pas encore totalement jouées, on l’a encore décelé ce 28 octobre, à travers l’embarras manifesté par la délégation du NPA devant la proposition du Front de gauche ; celle-ci n’a même pas défendu “l’offre” qu’elle prétendait vouloir opposer à celle des trois composantes du Front, ce que je trouve, pour ma part, plutôt positif dès lors que cela signifie que les portes de la discussion ne sont pas encore closes. D’évidence, nombre de militantes et de militants aspirent à voir leur parti rejoindre un large rassemblement, porteur de mesures anticapitalistes pour les luttes autant que pour les élections. Nos camarades de la majorité du NPA doivent donner leur réponse au cadre proposé par le Front de gauche à l’issue de leur conseil politique national des 7 et 8 novembre. S’ils devaient confirmer l’orientation de repli esquissée ces derniers jours, ils s’engageraient un peu plus dans une spirale dévastatrice. Pour eux-mêmes et pour quiconque les suivrait. Il n’y a que marginalisation et impuissance politiques à retirer d’un positionnement mélangeant sectarisme et gauchisme. Comment, en effet, à partir de l’approche qu’ils préconisent, convaincre des électeurs et électrices pourtant disponibles à une nouvelle voie pour la gauche de ne pas céder aux sirènes du vote utile (en accordant, sans conviction, leurs suffrages aux listes socialistes, par crainte que la droite ne parvienne à récupérer des régions qu’elle avait perdues en 2004) ou du vote refuge (en reportant, par exemple sur Europe écologie, leur soif de voir surgir du neuf à gauche) ? Ce serait faire exactement le contraire de ce qui a permis, en Allemagne ou au Portugal, à Die Linke et au Bloc de gauche, de poursuivre leur percée lors des élections générales de leurs pays. C’est en affirmant leur vocation à rassembler une majorité des classes populaires et du corps électoral que ces deux symboles de la renaissance d’une gauche digne de ce nom dans notre vieille Europe, ont pu convaincre de l’utilité du vote en leur faveur.

À nous, maintenant, de savoir suivre leur exemple. Le Front de gauche, de nouveau à l’initiative, vient d’affirmer que telle était son intention.

Christian_Picquet

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