La bataille du service public
La semaine qui s’achève aura démontré l’actualité de la défense des services publics. J’étais le 17 décembre au lancement du processus des États généraux du service public. Certes, ce n’était pas la « Mutu » des grands soirs. Ni la météo glaciale, ni les mouvements de grève dans les transports n’incitaient au déplacement en masse. La qualité n’en était pas moins au rendez-vous. Toute la gauche, du Parti socialiste au Nouveau Parti anticapitaliste, en passant naturellement par le Front de gauche, était représentée au plus haut niveau, associée à plusieurs grandes organisations syndicales et à de très nombreuses associations.
Ce fut la première réplique, symboliquement forte, à la décision de la majorité des députés de s’asseoir, deux jours auparavant, sur la votation de plus de deux millions de nos concitoyens en défense de La Poste. L’amorce aussi de ce qui pourrait devenir la contre-offensive urgente dont nous avons besoin en 2010. Car, sur le terrain, dans tous les secteurs qui y ont jusqu’alors été soumis, on mesure chaque jour les effets dramatiques de la déréglementation libérale. Y compris en termes de répression syndicale odieuse, telle celle qui se déroule dans le secteur de l’énergie. J’en ai reçu le témoignage direct en allant, ce vendredi 18 décembre, apporter la solidarité de la Gauche unitaire à des syndicalistes en grève de la faim au siège de GRDF à Paris…
Un front politique et social se forme…
N’en sous-estimons pas l’importance : ce qui s’est passé l’autre soir à la Mutualité manifeste qu’une bataille dans la durée s’est engagée et qu’elle n’a pas fini de monter en puissance. Il y eut d’abord la Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics, suivie de la constitution d’autres structures (comme la Coordination des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité). Il y eut, voici quelques semaines, le grand référendum autogéré en défense du service public postal. Et il y a, à présent, la création d’un comité national à la représentativité vraiment impressionnante (même s’il manque encore quelques forces à l’appel), qui se donne l’objectif de faire ”« de 2010 une année de débats et de mobilisations citoyenne” (…) ”à travers notamment des États généraux locaux et nationaux, une pétition nationale, une manifestation nationale »”.
Antithèse de la révolution néconservatrice que le sarkozysme veut faire souffler sur ce pays, alors qu’un capitalisme globalisé a plongé la planète dans une crise globale sans pour autant renoncer au dogme de la ”« concurrence libre et non faussée »” que consacre le traité de Lisbonne à l’échelle du continent, les services publics se trouvent évidemment dans l’œil du cyclone. Parce qu’ils signifient que des secteurs entiers de l’économie peuvent échapper aux logiques marchandes et financières, ils doivent, dans l’esprit de ceux qui nous gouvernent, être sans délai livrés à la voracité d’actionnaires avides de toujours plus de dividendes.
La votation citoyenne sur la Poste a sans doute amorcé une démarche qui pulvérise les vieilles et improductives séparations entre le « politique » et le « social » : la construction d’un vaste front commun, non seulement pour résister aux assauts incessants d’un capital plus prédateur que jamais, mais pour porter le débat et mobiliser les citoyens sur un choix fondamental de politique, un choix de société.
À lui, maintenant, de faire revivre les principes qui ont animé la gauche et le mouvement ouvrier depuis les origines. C’est la souveraineté du peuple qui doit s’imposer à celle des marchés dans tous les domaines. C’est l’intérêt général, donc la satisfaction des besoins du plus grand nombre, qui doit dicter les politiques publiques. C’est la redistribution des richesses qui doit permettre de mener cette politique d’égalité sociale et c’est en s’affranchissant du respect du sacro-saint droit de propriété que l’on y parviendra.
Gagner, aujourd’hui face à la droite et au MEDEF, sur le service public, c’est prendre des engagement forts. D’abord, l’engagement collectif de revenir demain sur toutes les privatisations opérées ces dernières années. Ensuite, celui de défendre le principe selon lequel doivent être propriété publique tous les secteurs d’activité qui correspondent à des besoins essentiels de la population : l’éducation, la santé, les transports, l’énergie, l’eau, le logement, la petite enfance…
Syndicalistes en grève de la faim
Je parlais à l’instant de résistance… Elle se mène dans des conditions parfois difficiles dans ces ex-fleurons du service public hexagonal, désormais ouverts à la concurrence (comme ils disent !), soumis à la filialisation, désorganisés dans leurs missions, étranglés par la réduction drastique de leurs effectifs, démantelés par le recours à la sous-traitance, n’offrant plus qu’un service dégradé aux usagers… Dans ce qui constitua un élément majeur du rapport de force dont profitait le salariat tout entier, règne à présent la culture managériale dans son acception la plus brutale.
Si l’on a beaucoup (et légitimement) parlé des suicides à France Télécom, on accorde beaucoup moins d’attention aux faits de harcèlement et de répression frappant des syndicalistes à EDF et GDF-Suez. À la suite du grand mouvement du printemps dernier, lequel s’opposait aux retombées catastrophiques des logiques de libéralisation sur le secteur, les directions des entreprises ont réagi par des réquisitions (dans le secteur nucléaire) et par plus de 250 sanctions (allant de l’avertissement au licenciement, en passant par des mises à pied ou des rétrogradations). D’évidence, il s’agissait d’intimider les personnels, d’affaiblir leurs organisations et de briser ainsi la combativité traditionnelle de ces travailleurs.
C’est dans ce contexte que le licenciement symbolique de Nordine, militant particulièrement actif de SUD-Énergie durant le dernier conflit, est emblématique. Alors que le dossier qui l’a vu traduit en conseil de discipline est totalement vide, cet homme de 36 ans, père de deux enfants, unanimement apprécié de ses collègues pour ses qualités de professionnel, se voit non seulement menacé de perdre son emploi mais aussi son logement EDF. Le cas n’est pas sans évoquer celui de Rodolphe Barres, militant CGT de Toulouse.
Bien que l’ensemble des organisations syndicales (outre SUD, la CGT, la CFDT, la CFTC et FO) aient contesté le licenciement, la direction est restée intransigeante. Ayant épuisé tous les recours internes, deux responsables syndicaux, Yann Cochin et René-Michel Millambourg, ont dû se résoudre à entrer en grève de la faim depuis le lundi 14 décembre. Que l’on songe bien à ce que signifie, pour des syndicalistes chevronnés, ayant toujours fait primer l’action collective, de se trouver contraint de recourir à une telle modalité d’interpellation de l’opinion. Il faut que la situation soit jugée sacrément grave, au regard des droits et conditions de travail des salariés…
Avec mon camarade Francis Sitel, nous nous sommes donc rendus, le 18 décembre, au siège de GRDF (filiale d’EDF) où se déroule la grève de la faim. Quelques heures auparavant, Jean-Luc Mélenchon et Olivier Besancenot avaient fait de même. Sur place, nous aurons croisé un maire-adjoint du 9° arrondissement accompagné de la secrétaire de la section socialiste locale. Reste qu’une chape de plomb médiatique s’est abattue sur cette épreuve de force qui peut très vite connaître un tour dramatique. Manifestement, si l’on en juge par le bouclage des locaux par des vigiles, et par les visages hermétiques des représentants de la direction que nous aurons croisés, les sommets de l’entreprise spéculent sur l’isolement des grévistes à quelques jours des fêtes de fin d’année.
Qu’on se le dise, que l’on passe l’information partout où c’est possible : la bataille du service public passe concrètement, dans les jours qui viennent, par le soutien à l’action entreprise au 16/20, rue Pétrelle. Une pétition a été éditée. Elle est disponible sur : http://lapetition.be/en-ligne/petition-5847.html