“La route est un long ruban…”

Je n’ai plus écrit sur ce blog depuis le 3 février. Que celles et ceux qui lui rendent visite chaque jour – ils sont de plus en plus nombreux, je le sais grâce aux statistiques journalières qui sont à ma disposition )- m’en pardonnent. Mais il se trouve que je mène une campagne particulièrement prenante, dans une région, Midi-Pyrénées, grande comme une fois et demie la Belgique. Et que, sillonnant les routes du matin au soir, en compagnie de mon vieux complice Denis Daumas (qui assume les fonctions de directeur de campagne), il me revient régulièrement en mémoire la chanson de Francis Lemarque, le petit Juif de Belleville devenu Titi parisien et figure de la chanson populaire française : « La route est un long ruban, qui défile, qui défile… ».

Depuis plus de trois semaines, j’aurai tenu meeting à Carmaux, Montauban, Rodez, Foix, l’Isle-Jourdain, Lannemezan, Albi. J’aurai rencontré les élus « communistes et républicains » de Haute-Garonne, des cheminots de la gare Matabiau de Toulouse, des salariés d’EDF (toujours à Toulouse), des syndicalistes de divers secteurs, les employés des services communaux de Montauban (que l’édile de la ville, Brigitte Barèges, également tête de liste UMP pour la région, a littéralement bradés au privé avec leurs infrastructures)… J’aurai été de toutes les manifestations, de la journée des services public le 21 janvier au rassemblement unitaire organisé en défense de l’hôpital de Decazeville, en passant par la participation à délégation des habitants d’Albi dont la vie quotidienne été rendue impossible par la fermeture du passage à niveau 123… Je me flatte d’avoir été la seule tête de liste de gauche à me solidariser avec tous ces combats en faveur de l’intérêt général. D’autant qu’en toutes ces occasions, j’aurai pu mesurer, ou plutôt obtenir confirmation, des intenses difficultés auxquelles la politique de la droite soumet les salariés, la jeunesse et les citoyens de ce pays. J’aurai pu également vérifier la dureté de plus en plus importante des batailles que doivent livrer les syndicalistes, y compris dans ces ex-fleurons du service public, où se déploient désormais des orientations managériales destinées à détruire acquis sociaux et traditions de lutte, au prix souvent de la sécurité des usagers (lorsque vous en parlez avec eux, les cheminots vous en donnent maints exemples)…

Je suis devenu un « poids lourd » !

Notre campagne a connu deux phases. La première a consisté à finaliser l’accord sur la composition des listes entre les composantes de la campagne (au Parti communiste, au Parti de gauche et à la Gauche unitaire, se sont ici adjoints République et socialisme, le M’Pep, des collectifs antilibéraux et l’association Montauban citoyenne, dont j’ai déjà parlée dans une précédente note). Mon seul regret est de n’avoir pu convaincre les Alternatifs, divisés sur les choix à opérer, de s’isoler dans un absentéisme les reléguant pour la seconde fois dans une posture d’impuissance. Les débats ayant été intenses entre communistes et pégistes, autant qu’u sein de ces deux familles, il convenait de mettre en mouvement le « premier cercle » du peuple militant, de convaincre de la solidité de notre accord, d’éclairer la durabilité de notre démarche pour sauver la gauche du désastre qui la menace si tout continue comme actuellement, de montrer la pertinence des propositions que nous avançons pour la région. Sylvia Zappi a rendu compte, dans un article du ”Monde”, des interrogations que j’aurai eu à affronter à l’occasion du meeting organisé au cœur de l’ex-bassin minier de Carmaux, plus précisément à Saint-Benoît-de-Carmaux, vieille commune communiste où le vote Front de gauche a largement dépassé les 30% le 7 juin dernier.

Depuis ce dimanche 21 février, nous sommes entrés dans un nouveau moment. Longtemps ignorés des médias locaux, et même un brin méprisés par les élites politiques régionales, nous serons finalement parvenus à briser le mur d’isolement au sein duquel on aurait tant voulu nous enfermer. Hommage soit ici rendu au dévouement et au travail de terrain des militantes et militants, les communistes au premier chef, qui m’ont littéralement adopté, moi qui ne suis pas natif de cette terre de résistance et de solidarité. C’est grâce aux trésors d’énergies qu’ils auront déployés ces dernières semaines, couvrant les villes de nos affiches rouges et quadrillant marchés et cités populaires, que j’aurai été convié au débat organisé par France 3, entre les quatre ”« poids lourds »” de l’élection (le terme n’est pas de moi, mais de la ”Dépêche du Midi”, qui en a fait le titre de sa page « Événement », le 22 février). J’aurai pu y faire valoir notre détermination à barrer la route du conseil régional aux sarkozystes et notre volonté de redonner à la gauche des couleurs que lui ont fait progressivement perdre les dirigeants du Parti socialiste et d’Europe écologie. Nous voici donc, à présent, installés sans le paysage politique régional et l’on nous donne crédit de notre objectif affiché d’un score à deux chiffres…

Du régional au national…

Avec mes colistières et colistiers, avec les militantes et militants qui se donnent à fond pour assurer nos idées du maximum d’écho, nous allons maintenant déployer encore plus d’énergie et d’enthousiasme pour fonder l’utilité du vote en faveur de notre Front de gauche. Notre message est, au fond, des plus simples : nous voulons changer la gauche ! Parce que telle nous apparaît la condition permettant d’infliger au camp adverse une défaite sur le fond et dans la durée, une défaite qui prépare nos futurs succès, politiques autant que sociaux, et doit aboutir à un changement radical de la politique conduite à la tête du pays. Parce qu’il n’est pas de gauche digne de ce nom qui renonce, avant même que la première banderole ait été sortie, à cette conquête fondamentale du monde du travail qu’est la retraite à 60 ans. Parce que le bilan des 20 Régions conquises à gauche en 2004 n’est pas suffisamment probant : elles n’ont pas été l’instrument de la résistance et de la construction de la contre-offensive indispensable pour faire reculer un régime au service exclusif d’actionnaires tout-puissants ; pour qu’elles le deviennent, il faut qu’au cœur de la gauche, une force pèse de tout son poids et agisse afin d’une politique de rupture à l’ambition majoritaire. Parce que, dans leurs champs de compétences, les Régions peuvent commencer à ouvrir des brèches non négligeables dans l’entreprise de révolution néoconservatrice que M. Sarkozy veut infliger à notre société, et dégager de nouveau un horizon à celles et ceux qui se battent, à l’instar des enseignants d’Île-de-France contre la Révision générale des politiques publiques qui ravage l’école, des salariés de Total en butte aux destructions d’emplois orchestrées par des actionnaires qui se goinfrent éhontément, des employés d’Ikéa en révolte pour des salaires décents.

Je mène campagne dans une région dont le président sortant, Martin Malvy, peut se targuer de réalisations positives. Les limites de son bilan n’en sautent pas moins aux yeux, notamment en matière d’emploi, les entreprises passant les unes après les autres ”« sous la coupe des marchés financiers »”, comme l’écrivait fort justement Alain Raynal dans ”l’Humanité” du 17 février. Il évoquait d’ailleurs, l’ami Raynal, quelques-uns des secteurs victimes du dogme du rendement maximal pour l’actionnaire : Molex et ses 300 emplois liquidés par le groupe américain, les sites Pechiney des Pyrénées emportés dans une OPA de la multinationale canadienne Alcan, Freescale et ses 820 postes de travail menacés d’ici 2011… Vous me direz que la majorité de la Région n’y est pour rien… Sans doute, à ceci près que l’argent public eût pu être orienté différemment. Si la volonté politique en avait existé, si l’on ne s’était pas contenté de gérer sans les contester frontalement les politiques de la droite, si l’on s’était dressé avec intransigeance contre le démantèlement de la SNCF, la fusion des hôpitaux dans le cadre de la loi Bachelot, ou la réduction du nombre de fonctionnaires dans le but d’interdire au service public d’assurer ses missions d’intérêt général.

À propos des « pôles de compétitivité »

Un seul exemple, qui me semble parlant : on a versé, en quelques années, plus de seize millions d’euros aux « pôles de compétitivité ». Martin Malvy considère que lesdits pôles sont le ”nec plus ultra” de la modernité économique, il me l’a encore répété, sur le plateau de France 3, ce 21 février. Pourtant, qui peut nier que le patronat y fait la loi, sans que les salariés n’aient le moindre mot à proférer et alors que les élus eux-mêmes ne disposent pas du moindre moyen d’y effectuer le moindre contrôle ? Qui peut contester que ces réalités n’aboutissent qu ‘à mettre en concurrence salariés et territoires ?

Il se trouve que j’en ai eu une nouvelle démonstration, en rencontrant, le 18 février, un représentant CGT de l’entreprise SCT située à Bazet, commune des Hautes-Pyrénées. Là, un bassin d’activité spécialisé dans la céramique haut de gamme, intégré à un pôle de compétitivité centré sur Limoges, regroupait jusqu’alors plusieurs entreprises. ESK Ceramics a fermé ses portes en novembre dernier. SCT, sa voisine, est aujourd’hui devant le tribunal de commerce et menacée de liquidation judiciaire. Les actionnaires ont cependant empoché treize millions de bénéfices en huit ans, sans jamais accepter de renflouer une entreprise à laquelle la Région a versé 175 000 euros au titre du développement des PME. Cherchez l’erreur… Du coup, ce département déjà sinistré voit se profiler la menace de la disparition d’une de ses principales activités économiques, dotée de surcroît d’une technologie de pointe…

Ne sommes-nous pas, dès lors, fondés à dire qu’il faut changer la donne ? Réorienter les fonds de la Région en défense de l’emploi ? Subordonner les aides aux entreprises au respect de critères sociaux et environnementaux stricts, en particulier à un engagement à ne ni licencier, ni délocaliser pour satisfaire la voracité sans limites de leurs actionnaires ? Créer un fonds régional emploi-formation, afin de desserrer l’étau dans lequel se trouvent prises les PME et PMI de la part des banques ? Substituer aux « pôles de compétitivité » des pôles de coopération, qui oeuvrent concrètement à la relocalisation de l’emploi ? Constituer un Établissement public foncier destiné à défendre l’agriculture paysanne, à aider au maintien et à l’installation des petits exploitants victimes de l’agro-business ? Soustraire la gestion de l’eau aux appétits des requins du privé, en constituant une Agence régionale de l’eau en charge d’aider les collectivités locales à gérer ce bien commun en régies publiques ? Affecter 5% de la part du budget consacré à l’économie au secteur social et solidaire ?

De semblables choix, appliqués à la tête d’une majorité de Régions, commenceraient à dessiner le chemin d’un vrai changement pour le pays tout entier. Les fonds régionaux emploi-formation désignent en pointillé le besoin de la renationalisation d’un large pan de l’activité financière, afin qu’un pôle bancaire public voit le jour et se trouve en mesure de réorienter le crédit vers la création d’emplois stables. Défendre l’idée que les secteurs de l’économie correspondant à des besoins fondamentaux de la population doivent échapper aux logiques marchandes ouvre le chemin à l’arrêt des processus de privatisation de la SNCF ou de la santé, à la renationalisation de l’énergie, des télécommunications ou de La Poste, à la création de nouveaux services publics en matière de logement ou de petite enfance pour ne prendre que ces exemples… Revenir à une gestion publique de l’eau mettrait nécessairement à l’ordre du jour la nationalisation d’un groupe comme Veolia. Et je pourrais ici multiplier les exemples.

On le voit, cette bataille électorale mêle inévitablement enjeux nationaux et locaux. Il appartient aux organisations du Front de gauche de lui donner sa pleine cohérence. Souvent, sur le terrain, au gré de sondages incertains, on me reproche l’insuffisante visibilité de la construction que nous avons initiée pour le scrutin des européennes. La critique est assurément fondée, et c’est la raison pour laquelle la Gauche unitaire s’en est fait l’écho auprès de ses partenaires du PCF et du PG. Il nous reste trois semaines à peine pour convaincre que le bulletin des listes « Ensemble pour des régions à gauche », présentées par le Front de gauche en alliance avec d’autres formations, représentera le vote utile du 14 mars.

Christian_Picquet

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