Et maintenant ?

Régionales, acte 2. J’ai pris du temps pour revenir à ce blog, car les jours d’après le second tour auront été particulièrement chargés. Ainsi, vendredi 26 mars, comme mes six autres camarades de la Gauche unitaire (et, naturellement, les autres élus du Front de gauche) dans d’autres régions de France, j’aurai participé à la séance inaugurale du conseil régional de Midi-Pyrénées. Une matinée très formelle et protocolaire, destinée à désigner le président (en l’occurrence, reconduire Martin Malvy dans ses fonctions), les 15 vice-présidents et la commission permanente (au sein de laquelle, j’aurai l’honneur de siéger). Comme chaque groupe politique eut l’occasion de s’exprimer en fin de matinée, notre Front de gauche aura pu se féliciter de la grande victoire remportée sur la droite le 21 mars et tracer sa feuille de route : donner un prolongement politique à ce succès pour les luttes et les prochaines échéances électorales, agir pour que la Région (comme ses semblables repassées à gauche) devienne tout à la fois un bouclier social autant qu’environnemental au service des populations et qu’elle ouvre des brèches concrètes dans les logiques capitalistes et productivistes mises en œuvre à l’échelon national, poursuivre la bataille autour des propositions que nous avions soumis aux électeurs et électrices à l’occasion de la campagne du premier tour. Concrétisation, dès le lendemain, samedi 27, je me trouvais, comme nouvel élu régional, avec Bernard Thibault, aux côtés des personnels de la clinique privée Pont-de-Chaume de Montauban, qui se sont mis en grève devant l’arrogance avec laquelle leur hiérarchie a accueilli leurs revendication d’un treizième mois et du paiement des trois premiers jours d’absence en cas de maladie (dans un établissement à but lucratif qui dégage 600 000 euros de bénéfice !).

Au-delà de l’enjeu proprement local de ce lendemain d’élections, force est de constater que le second tour des régionales aura confirmé, et même considérablement amplifié, le résultat du premier. La tendance aura ainsi été confirmé : dans un contexte où la spéculation financière met à mal l’ensemble de la zone euro et peut demain plonger dans la tourmente n’importe lequel des pays membres, à commencer par la France, sur fond de défiance de la société française à l’endroit de ses élites dirigeantes, ce pays va au devant d’épreuves sociales et politiques décisives. D’évidence, nous nous trouvons confrontés à un tournant de situation…

La crise est là !

L’abstention en apparaît le signe le plus évident. Il ne s’agit, en effet, nullement d’un de ces mouvements erratiques ponctuels du corps électoral, d’un de ces phénomènes de « zapping » qu’aiment tant à stigmatiser des commentateurs un tantinet méprisants pour les réactions d’un peuple qu’ils ne comprennent décidément pas. C’est à un événement sans précédent dans l’histoire de la V° République que l’on vient d’assister. D’un scrutin régional à l’autre, puisque telle est la première comparaison qui s’impose, jamais on n’avait assisté à une telle progression de la grève du vote : + 41,68% le 14 mars, + 42,27% la semaine suivante, par rapport à 2004. En nombre absolu de suffrages, le trait est encore plus accentué si l’on prend comme base d’étude le second tour de la présidentielle, laquelle avait vu s’opérer un mouvement massif de retour aux isoloirs. Au second tour de ces régionales, les droites auront vu plus de neuf millions d’électeurs s’évanouir et les gauches près de 5,3 millions. Enfin, si l’on prend en compte l’aspect sociologique de ce retrait des urnes, on constate que si les villes bourgeoises sont largement touchées, signe d’une désaffection profonde de l’électorat conservateur envers le vainqueur de 2007, ce sont les quartiers populaires qui s’illustrent par la massivité de l’absentéisme électoral, à commencer par ceux qui avait été en pointe dans la révolte de l’automne 2005, Clichy-sous-Bois en tête…

Plus qu’un simple désintérêt pour le rendez-vous électoral, pareille évolution signe la montée d’un sentiment d’impuissance à se faire entendre, une perte de sens de la politique face à un système qui ne cesse de reproduire son fonctionnement pervers à l’encontre des êtres humains et des plus élémentaires besoins de développement économique, une exaspération grandissante face à des gouvernants incapables d’entendre souffrance sociale et désespérance civique. Dit autrement, la représentation politique et institutionnelle ne correspond plus à la réalité du pays et de ses attentes. On ne saurait, pour autant, en tirer la conclusion que ”« le silence des quartiers »”, pour reprendre une expression de Luc Bronner dans ”Le Monde” daté du 26 mars, s’assimilerait à une sorte d’insurrection citoyenne rampante. Comme toujours, l’abstention porte tout à la fois en germes la révolte, la désorientation et l’auto-exclusion de secteurs entiers des classes populaires.

La crise politique est donc là, et elle menace de se traduire en une authentique crise de régime dès lors que la clé de voûte de nos institutions, la présidence de la République, se trouve aujourd’hui affaiblie comme jamais depuis 1958. Six Français sur dix disent souhaiter que l’hôte de l’Élysée ne postule pas à sa propre succession dans deux ans… Plus, l’UMP, machine ostensiblement gouvernée par Nicolas Sarkozy, ne bénéficie plus de la confiance que de 11,6% des électeurs inscrits. Ayant « nettoyé » le champ politique à droite de toute solution de rechange éventuelle, afin de profiter pleinement d’un mécanisme de bipolarisation censé constituer la martingale gagnante des consultations à venir – ce qui constitue l’arrière-fond de la réforme du mode de scrutin appelé à désigner des collectivités territoriales réorganisées en 2014 -, le parti majoritaire se voit menacé d’un véritable effet boomerang. C’est la restructuration du camp conservateur qui pourrait, dès lors, balayer demain celui qui l’a initiée et, avec lui, l’ensemble de ses partisans. Comment, par conséquent s’étonner que, de ce côté de l’échiquier partisan, autour d’un Dominique de Villepin ou d’un Alain Juppé, commencent à s’ébaucher des tentatives visant à éviter que la droite ne devînt bientôt plus qu’un champ de ruines pour des années, ou que ce fût le Front national qui tire les marrons du feu de la déréliction de la droite traditionnelle ?

Est-ce à dire que le sarkozysme serait à présent à l’agonie ? Il serait pour le moins prématuré de s’autoriser une conclusion aussi définitive. La force du premier personnage de l’État tient à la cohérence du projet de révolution néoconservatrice qu’il s’efforce d’imposer à l’Hexagone dans le but de satisfaire aux exigences d’un capital mondialisé et financiarisé. Il tient à la capacité, dont il aura fait preuve jusqu’alors, de réorganiser son camp sous sa houlette. Sa fragilité renvoie à la mise en œuvre dudit projet et de ladite réorganisation.

Gagnant en 2007 par sa capacité d’attirer le vote d’une fraction des classes populaires au moyen d’un discours tournant autour de la revalorisation du travail et d’une remise en ordre d’une société plongée dans un état d’insécurité endémique par la dérégulation et la destruction systématique de toutes les survivances du « pacte républicain », le clan au pouvoir se sera ensuite illustré par une pratique contredisant terme à terme ses engagements de campagne. Pour une majorité de la population, il symbolise dorénavant la volonté cynique de ne satisfaire que les plus fortunés, une propension à ériger la manœuvre en mode de gouvernement, un pouvoir de plus en plus éloigné des citoyens de par son enfermement dans une dérive autoritaire et clanique, pour ne pas dire népotique. De quoi rendre sa politique de casse sociale et de régression démocratique insupportable à un peuple restant viscéralement attaché aux conquêtes nées des histoires imbriquées de la République et du mouvement ouvrier. Ce n’est, sans nul doute, pas un hasard si Dominique de Villepin s’efforce aujourd’hui de retrouver la veine du gaullisme social des lendemains de la Libération, en expliquant que l’on ”« ne peut pas accepter de vivre dans un pays où des situations d’inégalité et d’injustice atteignent un tel niveau »”.

Vers un affrontement à haut risque

Très probablement, la droite aux affaires va maintenant s’efforcer de reprendre la main en ”« droitisant »” son action, comme l’y incite l’exquis M. Balladur. Déjà, on suggère que les jours des ministres « d’ouverture » sont comptés ; on fait droit aux exigences du patronat et des lobbies de l’agrobusiness en abandonnant la « taxe carbone » quitte à mettre au rencart le processus du « Grenelle de l’environnement » ; on annonce à grands coups de clairon une loi radicalement anti-burqa, afin de relancer le nauséabond processus de « débat » sur l’identité nationale ; et l’on met ses forces en ordre de bataille afin d’assumer une confrontation centrale avec le mouvement social sur la question des retraites.

Le calcul n’est guère mystérieux : en se recentrant sur le noyau dur de sa base sociale, le pouvoir peut espérer profiter des inconsistances d’une gauche toujours en proie à ses démons sociaux-libéraux, autant que des divisions traversant le front syndical. Il n’est toutefois pas sans risques : se lancer dans une épreuve de force sociale doté d’une si faible légitimité électorale, se hasarder sur le chemin de l’escalade alors que le bipartisme vient d’être sévèrement mis en échec et que s’élèvent à l’UMP des voix de plus en plus nombreuses mettant en garde contre le sentiment d’injustice montant du pays, affronter une société à ce point au bord de l’explosion qu’une majorité de personnes sondées disent présentement souhaiter la relance de l’action intersyndicale (l’enquête CSA pour ”l’Humanité” du 30 mars atteste que plus de 70% des ouvriers et employés s’expriment en ce sens, ainsi que… 31% des sympathisants de la droite) peut vite rendre la situation incontrôlable.

Une fois encore, la question nodale apparaît bel et bien celle de l’alternative politique. Si rien de significatif ne venait à bouger à gauche, une conjoncture devenue totalement incertaine pourrait bien déboucher sur des défaites sociales et politiques d’ampleur, voire favoriser le dévoiement de l’exaspération vers l’extrême droite. Mesurons exactement le message que viennent de délivrer les urnes, les 14 et 21 mars. Le Front national apparaît actuellement en mesure de s’engager sur la voie de sa reconstruction. Lors du second tour de ces régionales, à la faveur des douze triangulaires qui le concernaient, il aura ainsi partout progressé, jusqu’aux quasi 25% recueillis par Le Pen père en Provence-Alpes-Côte-d’Azur et aux 22,2% de Le Pen fille dans le Nord-Pas-de-Calais. Une progression aussi notable, qui recoupe presque exactement la carte des régions les plus touchées par le délitement social autant que par la grève du vote, et qui de surcroît échappe à toute pression en faveur du « vote utile » même lorsque l’issue du scrutin peut sembler incertaine, traduit une volonté de rupture avec les formations dominantes. Il s’agit donc moins d’un vote velléitaire que d’un vote d’adhésion d’autant plus en voie de consolidation que celles et ceux qui viennent – ou reviennent – au vote frontiste ne se laisseront pas abuser une seconde fois par la magie du verbe sarkozyen.

La question clé de l’alternative

Ce qui nous amène à l’état de la gauche. La confirmation de sa poussée, à la faveur de la dynamique d’union née des accords de second tour dans la plupart des régions, ne saurait lui faire ignorer la nature des défis qui se posent à elle. Plus concrètement, la thématique de la ”« gauche solidaire »”, martelée par Martine Aubry et la direction du Parti socialiste ne différera pas longtemps les débats de stratégie et de projet qu’il importe maintenant de trancher. Il convient d’ailleurs de remarquer qu’il n’aura pas fallu une semaine après la victoire pour que les tropismes de l’accompagnement du libéral-capitalisme et de la recomposition au centre revoient le jour, en dépit de ce que reflète l’abstentionnisme populaire et de l’effondrement du Modem.

Un jour, c’est Jean-Christophe Cambadélis qui invite ses camarades à faire moins de ”« social »” et plus de ”« sociétal »” pour espérer gagner en 2012. Un autre, c’est le très fabiusien Claude Bartolone qui appelle élégamment à tourner le dos aux vieilles alliances PS-PC (relevant à ses yeux de « l’histoire ») pour considérer Europe écologie comme un ”« partenaire privilégié »”. Le surlendemain, c’est l’inévitable Cohn-Bendit qui braque de nouveau les projecteurs vers la droite, en exhortant sans le dire à liquider les Verts (manifestement trop marqués par l’histoire de la gauche de ces 20 dernières années) au profit de sa fameuse ”« coopérative politique »” d’évidence destinée à occuper tout l’espace de l’écologie d’accompagnement d’un « capitalisme vert » et du centre (dans son « Appel du 22 mars », publié par ”Libération”, pas une seule fois n’est utilisé le mot « gauche, tout un programme). Sans parler d’un François Hollande qui continue à battre la campagne… pour l’allongement du nombre d’annuités nécessaires à une pension à taux plein ! Ni d’un Manuel Valls qui évoque maintenant un ”« pacte social »” associant droite et gauche sur ce problème des retraites…

Au vu des enjeux primordiaux d’un moment à bien des égards historique, il convient sans délai de sortir de ces ambiguïtés fatales. Être à gauche aujourd’hui, se montrer à la hauteur du raz-de-marée qui vient de submerger la Sarkozie, c’est se tourner résolument vers les classes populaires, ne pas craindre de recouvrer sa vocation de force de changement social, ne pas se laisser une fois de plus emporter par cette tendance récurrente qui n’a cessé de l’éloigner de ces millions d’hommes et de femmes qui boudent présentement les isoloirs (au nom de cette ”« lecture cynique »” que pourfendait à juste titre Luc Bronner, dans le papier déjà cité du ”Monde”, qui considère les banlieues comme des ”« territoires définitivement ″non rentables ″ électoralement »”).

L’équation des victoires politiques futures se trouve pourtant de ce côté-là. Elle exige de se détourner des logiques de renoncement qui ont mené à tous les échecs des deux dernières décennies. De faire corps avec le mouvement populaire dans toutes les échéances qui se profilent, à commencer par le rendez-vous de la défense de la retraite à 60 ans, laquelle ne peut être dissociée de l’exigence d’une redistribution radicale des richesses. D’oser affronter la vulgate dominante afin de faire de la satisfaction des attentes du plus grand nombre la priorité de l’action publique. De reprendre la main sur l’économie, au moyen de la nationalisation des grandes banques et de la réappropriation publique de tous les secteurs d’activité correspondant à des besoins fondamentaux des populations. D’opposer à l’hyper-présidentialisme sarkozyen et à la future contre-réforme des collectivités territoriales le besoin d’une grande révolution démocratique, passant par l’instauration d’une VI° République, parlementaire, sociale, laïque. De rompre enfin avec la construction libérale de l’Europe, dans les clous de laquelle aucune politique de transformation ne pourra jamais être conduite, et qui révèle aujourd’hui à quel point elle fait le jeu que des banques d’affaires et des fonds spéculatifs internationaux.

La responsabilité primordiale du Front de gauche

Parce qu’il a su s’imposer comme la troisième composante – incontournable – de la gauche, quoiqu’il n’ait pas bénéficié de la dynamique escomptée du fait de l’importance du taux d’abstention et de la pression du « vote utile » en faveur du Parti socialiste, parce qu’il a su porter les couleurs du rassemblement des anticapitalistes, le Front de gauche sera un acteur essentiel du débat qui s’ouvre à gauche. C’est la raison pour laquelle il ne saurait prendre le risque de décevoir !

Il lui appartient de s’enraciner dans les mobilisations sociales. Il lui faut s’élargir à toutes les forces acquises à l’idée d’une reconstruction d’une gauche digne de ce nom au cœur de la gauche et, en tout premier lieu, aux acteurs syndicaux ou associatifs en recherche d’un débouché à leurs engagements de terrain. Il lui incombe de dépasser une existence seulement rythmée par les échéances électorales, pour commencer à affirmer un projet de société restituant la cohérence d’ensemble de son action. Et il doit porter dans le débat public une offre politique permettant à la gauche de redevenir la gauche. L’avenir n’est, en effet, ni dans la reproduction des impasses mortifères du social-libéralisme, ni dans la recherche d’une recomposition au centre qui tuerait instantanément tout espoir de changement et ruinerait davantage encore le crédit de la politique en dissolvant le clivage entre gauche et droite. Il réside dans l’avènement d’un nouveau Front populaire, adapté aux conditions de l’époque.

J’utilise cette formule à dessein. Non par illusion qu’il serait possible de reproduire une tentative appartenant à un passé déjà lointain, ou par ignorance des aspects pour le moins négatifs de cette expérience d’une majorité de gauche qui s’acheva dans la désagrégation de la République. Mais avec pour principal souci de définir une perspective de nature à répondre vraiment au message qui vient de sortir des urnes. Une perspective qui, à la différence de toutes les alternances du passé, s’appuierait sur la mobilisation du peuple, se rassemblerait autour d’un programme de combat contre l’ordre établi, manifesterait sa capacité à faire converger la réflexion des militants du mouvement social avec la démarche propre des forces politiques.

Évoquer tous ces points ne fait, au fond, que renforcer à mes yeux la nécessité d’aller vers ces Assises du Front de gauche, dont notre Gauche unitaire a suggéré l’organisation d’ici la fin de l’année.

Christian_Picquet

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