Après les régionales (2) : les responsabilités du Front de gauche

Je reprends donc le fil du billet précédent, en fait de la transcription de mon introduction des travaux du conseil national de Gauche unitaire. Les deux derniers thèmes traités portaient sur l’état de la gauche de gauche et sur le nouvel élan à donner au Front de gauche. Sur ce plan, la déclaration finale du CN s’ordonne autour de la proposition, réitérée pour l’occasion à nos partenaires, d’Assises du Front de gauche, d’ici la fin de cette année en créant, à l’occasion de leur préparation, une dynamique d’élargissement et d’enracinement militants.

Depuis le week-end des 10 et 11 avril, les choses ont d’ailleurs évolué fort positivement. Pierre Laurent, le coordinateur national du PCF, en a ainsi appelé à ”« déployer la stratégie du Front de gauche sur le terrain social en rassemblant sur des alternatives »”. De même se déclare-t-il favorable à un ”« gigantesque travail sur le projet dont devra se doter une nouvelle majorité »” et il dit à juste titre qu’il importe de ”« dépasser certaines limites »” du processus unitaire ”« pour ne pas en rester justement à un cartel qui n’a jamais été sa vocation »”. Des propos que les responsables du Parti de gauche ont si bien accueilli, en dépit encore de quelques échanges aigre-doux à propos de la présidentielle, que cela devrait permettre la tenue prochaine d’une rencontre des porte-parole des trois composantes. Les deux dernières parties de mon rapport s’inscrivent donc directement dans la réflexion collective qui paraît ici devoir s’amorcer.

Où en est la gauche de gauche ? Le premier constat saute aux yeux : à l’occasion des régionales, c’est le Front de gauche qui a confirmé son caractère incontournable. Il apparaît désormais comme la troisième composante de la gauche. Certes, il n’a pas connu de développement qualitatif par rapport aux européennes précédentes. Il n’empêche ! Il a démontré sa capacité de polarisation en élargissant ses listes à divers secteurs de la gauche alternative, voire à des sections du NPA. De même, son aptitude à exister de manière indépendante et à se dégager pour cela de la satellisation par le Parti socialiste conforte le pari majoritairement effectué par la direction du Parti communiste, lorsqu’elle rejoignit la démarche de listes autonomes préconisée par le Parti de gauche et la Gauche unitaire. Son lien avec une série de secteurs du mouvement social s’est en outre renforcé, un « déclic » s’étant même produit ces derniers mois avec la participation active de responsables syndicaux ou associatifs à la campagne électorale.

Ne nous dissimulons pas pour autant les difficultés. Le Front de gauche n’aura pas trouvé le chemin d’une nouvelle dynamique et le nombre de ses élus est moindre qu’il n’était possible d’espérer. Les raisons en sont multiples. La principale tient au « vote utile » ayant profité au Parti socialiste. Mais il convient aussi d’admettre des facteurs « endogènes », renvoyant à la situation de ses deux principales composantes. Car telle est l’aspect contradictoire de la situation : si le Front de gauche apparaît comme l’une des dimensions nouvelles de l’échiquier politique hexagonal, il n’en semble pas moins, à intervalles réguliers, en proie à des soubresauts dont la lisibilité est faible dans l’opinion…

++Le Parti communiste++, avec sa décision de ne pas reconduire, à ces régionales, son alliance traditionnelle avec le PS, a franchi un pas supplémentaire de son engagement dans un processus de reconstruction à long terme d’une gauche vraiment à gauche. Cela ouvre en son sein des discussions capitales sur la vision stratégique globale dont il lui fait à présent se doter. Si sa direction réaffirme son choix d’une construction unitaire pérenne, le Front de gauche, elle doit simultanément affronter des options divergentes sur des points aussi fondamentaux que sa politique d’alliances, les formes de sa présence à la prochaine présidentielle, ou l’avenir même du parti. Ce qui explique tout à la fois, dans un contexte où le congrès de juin doit procéder à la désignation d’un nouveau secrétaire national, l’extrême prudence dont elle semble parfois faire preuve, les tensions qui affectent régulièrement le parti, et l’apparition de nouveaux phénomènes de désagrégation, tel celui qui aura vu le départ d’une partie des « communistes unitaires », parmi lesquels certains élus d’envergure.

Ces confrontations, ces soubresauts, pour ne pas dire ces convulsions, sont parfaitement normaux en un moment où s’opère une redistribution complète des cartes à gauche. Ils ne sauraient néanmoins obérer l’essentiel, à savoir l’adhésion ultramajoritaire des militants à la construction d’un Front de gauche durable, l’engagement de leur direction sur le même chemin et l’accord dont la perspective d’Assises semble désormais jouir de ce côté.

++Pour nos amis du Parti de gauche++, la dernière période aura vu prédominer la volonté de devenir un « parti creuset ». Une notion qui s’écarte sensiblement de l’objectif d’un ”« Die Linke à la française »”, défini à la fondation de cette organisation et dont le Front de gauche était censé être le vecteur. Dans le même mouvement, des tensions auront vu le jour entre PCF et PG au gré des incertitudes nées des débats traversant l’aire d’influence communiste à propos des régionales. Cela n’aura, au final, pas empêché la formation de listes communes dans dix-sept Régions, mais il en aura sans doute résulté une visibilité insuffisante du Front de gauche durant la campagne. Aujourd’hui, alors que la démarche de ”« parti creuset »” n’a manifestement pas permis au PG de franchir une étape qualitative de son développement, c’est sur la question du ”« paquet électoral »”, concernant les scrutins à venir jusqu’en 2012, et plus précisément sur l’unité de candidature à la présidentielle, voire sur la candidature de Jean-Luc Mélenchon à cette dernière, que se focalisent de nouveaux accrochages avec le Parti communiste.

Nous le réaffirmons dans notre déclaration, toutes les propositions sont légitimes et il est souhaitable d’en débattre sans tabous. Il est, à cet égard, naturel d’envisager, après les présences conjointes de 2009 et 2010, que le Front de gauche puisse se présenter uni aux législatives et à la présidentielle de 2012. Cela dit, ces questions ne peuvent être réglées qu’à la chaleur d’une vérification aussi collective que progressive. Ce que nous proposons de réaffirmer en ces termes : ”« Le Front de gauche est une construction aussi neuve qu’inédite. Il regroupe des formations aux histoires et aux identités différentes et en son sein les débats sur les moyens d’assurer sa pérennité restent ouverts. Il ne peut, pour cette raison, que progresser pas à pas, sur la base de l’expérience réalisée en commun, et au moyen de discussions franches autant que fraternelles. Cela rend compte des délais nécessaires à son affirmation comme force politique à part entière. Et cela explique les tensions qui peuvent parfois l’affecter, les désaccords ponctuels qui surgissent, les effets que peuvent entraîner les débats agitant telle ou telle de ses composantes. »”

++Quelques mots, maintenant, sur les autres secteurs de la gauche de gauche++. En commençant par les forces alternatives. Elles sont, dans l’ensemble, sorties plutôt affaiblies d’une année de refus de prendre en compte le caractère incontournable du Front de gauche. Certes, selon les Régions, Alternatifs ou composantes de la Fédération pour une alternative sociale et écologique (Fase) ont intégré les listes « Ensemble pour des Régions à gauche », sans néanmoins modifier leur cadre d’appréhension des enjeux stratégiques. La Fase, pour ce qui la concerne, va probablement se trouver quelque peu renforcée par l’arrivée de militants quittant le Parti communiste. Mais l’obsession de ces diverses formations à trouver une autre forme d’union que le Front de gauche, voire l’absurde tentative d’opposer à ce dernier un autre cadre de rassemblement, autour notamment de la Fédération, en tentant pour y parvenir de contourner le PCF, ne peuvent conduire qu’à une impasse et à une impuissance dommageables.

Quant au Nouveau Parti anticapitaliste, son second échec électoral cinglant en moins d’un an le confronte à une crise de projet et de devenir. Les « fondamentaux » ayant présidé à sa fondation se sont l’un après l’autre effondrés. Il ne peut donc plus faire l’économie d’une remise à plat global. Mais l’abandon de ce qui a justifié sa posture isolationniste autant que ses théorisations aventureuses le menacerait d’explosion, comme le dessinent les sept textes de bilan des régionales sortis de sa dernière direction nationale. Le risque est donc de le voir s’enkyster davantage dans une conduite gauchiste, au prix d’un enfermement irréversible dans l’espace rabougri de l’extrême gauche. Celles et ceux de ses militants qui se sont battus pour l’unité de candidatures aux régionales doivent en tirer sans retard les conclusions : c’est le Front de gauche qui porte désormais l’espoir de reconstruction auquel ils ont consacré leurs énergies.

Nos propositions pour le Front de gauche. Sur ce dernier point, je commencerai par souligner les responsabilités particulières qui incombent à notre Gauche unitaire dans le débat qui commence. Ce qui m’amène à souligner à quel point nous avons eu raison de nous détourner, depuis un an, du tropisme qui eût pu être le nôtre en fonction de l’histoire de nombre d’entre nous, celui de la « petite gauche », pour prendre toute notre place dans une construction dont l’ambition se place résolument au cœur de la gauche. En nous confrontant à un projet se déployant à cette échelle, et en récusant systématiquement les attitudes de témoignage, nous n’avons rien perdu de notre spécificité. Au contraire, nous avons pu mieux argumenter – et être entendu – sur le projet que nous défendons : la reconstruction globale d’une perspective pour la gauche et le mouvement ouvrier, un parti qui puisse porter cette visée à terme. Nous avons retiré de notre choix une incontestable autorité, même si nous ne sommes toujours que la « troisième composante » du Front de gauche. Le début d’ancrage institutionnel que nous octroient nos sept élus régionaux, pour être encore modeste, procède de cette place acquise comme de la capacité de tous nos camarades à faire leurs preuves sur le terrain.

Prolongeant cet acquis, il nous revient la tâche de formuler des propositions de nature, non à nous conférer une « posture » avantageuse, mais à faire pratiquement progresser le Front de gauche, en agissant de telle sorte qu’il devienne une force politique à part entière. Pour parler autrement, les suggestions que nous soumettons aujourd’hui à nos partenaires, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui se tournent vers le Front de gauche, partent et devront sans cesse partir d’une seule considération : l’intérêt du mouvement…

Dans le cours de la campagne des régionales, nous avons mis en débat l’idée d’Assises du Front de gauche. En ce début de printemps, c’est autour de cette échéance (peu importe le nom que nous lui donnerons, in fine, collectivement) que doit se décliner la cohérence de notre démarche. Les Assises sont, en quelque sorte, le nouveau pas à franchir pour le Front. La première était sa constitution, au feu de l’épreuve du scrutin européen. Elle n’avait rien d’évident, après la longue suite d’échecs subis par les tentatives antérieures de regroupement d’une gauche digne de ce nom, alors qu’il fallait affronter des divisions aussi vives que par le passé, et face à un NPA auquel étaient médiatiquement promis tous les succès. L’étape a été franchie, autorisant la suivante, celle de la durabilité, d’un front permanent. Les régionales auront permis, à encore, de surmonter les obstacles, au point que notre nouvelle configuration s’est installée dans le paysage politique. Il s’agit maintenant de passer à la phase d’un front militant, d’un front dynamique, agissant dans toutes les circonstances importantes en véritable force à même de prendre des initiatives et de porter dans la vie publique les grands repères d’une alternative pour la gauche et pour le pays. Je résumerai de quatre thèmes les propositions que nous mettons en discussion : enracinement, élargissement, dynamique populaire, projet.

++Enracinement, d’abord.++ Au long de la dernière année, nous avons sauté d’une échéance électorale à l’autre. Mais, de même que la confrontation avec la droite ne saurait attendre 2012, agir en véritable force politique suppose l’intervention commune dans les mobilisations, afin d’y défendre les éléments clés d’une logique de rupture avec les logiques libérales et capitalistes. Le premier rendez-vous sera, à cet égard, le Premier Mai, corrélé à la grande bataille qui s’annonce sur les retraites.

++Élargissement, ensuite.++ Depuis le début, le Front de gauche se distingue par une visée large. Il doit, par conséquent, confirmer sa disponibilité envers l’ensemble des formations, courants et militants disponibles, à la condition bien sûr qu’ils partagent ses objectifs et le dessein majoritaire qui l’anime. Le réalisme commande toutefois de constater que peu de partenaires organisés se montrent actuellement prêts à faire ce pas, à l’exception de nos amis de République et socialisme. En revanche, le mouvement d’acteurs sociaux en direction du Front de gauche doit sans tarder recevoir une réponse adaptée, en ce qu’il s’agit d’un des faits les plus prometteurs de la période écoulée. Le travail sur les contenus, sur le projet à défendre, peut y aider, dans la perspective des Assises et au moyen de cadres spécifiques où ces partenaires syndicaux et associatifs pourraient apporter la richesse de leur expertise sans se sentir instrumentalisés par les forces politiques constitutives du Front de gauche.

++Dynamique populaire, encore.++ S’il veut polariser à une échelle bien plus large qu’actuellement, le Front de gauche ne peut demeurer un cartel de sommet. Il doit se structurer aux divers échelons du pays et, surtout, s’appuyer sur une réalité militante dépassant ses composantes d’origine. Le Parti de gauche a avancé l’idée d’adhésions directes, un peu comme cela se réfléchit du côté d’Europe écologie. Cette réflexion est parfaitement légitime. Simplement, il convient d’en créer les conditions, car l’idée peut être tuée ou pervertie si elle ne rencontre pas une attente à la hauteur, ou si les « adhérents directs » éprouvaient ensuite le sentiment de n’avoir aucun poids sur des décisions restant entre les mains des formations politiques. Il semble, pour cette raison, plus efficient à ce stade, pour réaliser un premier test grandeur nature en quelque sorte, d’œuvrer à la tenue régulière, sur le terrain, d’assemblées militantes de débat et d’action, ouvertes à l’ensemble de celles et ceux qui le souhaiteraient, qu’ils fussent ou non adhérents de l’une des organisations constitutives.

++Projet, enfin++. Dépasser une existence rythmée par les seuls rendez-vous électoraux, c’est s’atteler à l’élaboration d’une plate-forme partagée (d’un programme, pour le dire autrement) et à la définition d’une nouvelle voie pour la gauche (ce à quoi, pour notre part, nous tentons de répondre avec l’offre de « nouveau Front populaire »). Ce devrait être le principal objet des Assises, permettant au Front de trouver un nouvel élan propulsif pour toute la phase décisive qui s’annonce. Bien sûr, en disant cela, je n’entends pas évacuer la discussion sur 2012 et, singulièrement, sur la présidentielle. Pour dire les choses nettement, elle est indispensable. Si elles ne veulent pas décevoir l’espoir qu’elles ont commencé de faire naître, il faudra bien que les diverses composantes du Front de gauche s’attellent à trouver une solution à leur présence commune lors de cette échéance. Cela dit, l’élaboration d’un contenu engageant chacune de nos forces aidera grandement à cette discussion : comment ne pas défendre ensemble un projet qui serait commun ? Surtout, la politique et la gauche ont été suffisamment polluées par la présidentialisation exacerbée de la vie publique pour que, précisément, nous sachions démontrer que nous avons pour carte de visite la revitalisation de la démocratie, en faisant du contenu de l’alternative à proposer au pays notre priorité du moment présent.

Telle est la feuille de route dont la Gauche unitaire doit, à mon sens, se doter.

Christian_Picquet

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