Suite du débat avec Stéphane Alliès, de “Médiapart”

Dans ma note précédente, je répondais assez longuement à Stéphane Alliès qui, sur le site « Médiapart », avait mis en cause ma démarche ou mon style, qu’il estimait « populistes », et l’« antiparlementarisme » que recélaient, à ses yeux, mes remarques sur le fait que la question était désormais posée, pour la gauche, de revendiquer la dissolution de l’Assemblée nationale. Stéphane Alliès m’a longuement répondu, ce dont lui sais gré, et ses arguments me conduisent à poursuivre ici l’échange.

Je ne peux, hélas, reproduire ici l’intégralité de sa lettre car, avec mes réponses, cela risquerait de rendre l’ensemble, quelque peu indigeste. Déjà que certains d’entre vous estiment parfois que la longueur de mes billets (c’est un choix que je fais, ce blog n’ayant pas pour principale vocation de vous faire part de mes états d’âme, mais de contribuer à la réflexion de celles et ceux qui, comme moi ou mes camarades de Gauche unitaire, entendent travailler à la reconstruction d’une gauche à la hauteur des défis qui se posent devant elle) ne rend pas toujours aisée leur lecture sur cet outil, par ailleurs remarquable, qu’est Internet… Je reprendrai donc les principaux points de la démonstration de Stéphane Alliès en les commentant brièvement, afin de dissiper les malentendus ou de prendre acte des désaccords qui demeurent.

À propos de mon « populisme » prétendu

Stéphane Alliès a manifestement entendu mes remarques. Il écrit : ”« J’ai sans doute commis une erreur, du moins un raccourci, en employant le terme “populiste”, pour les raisons que vous avancez justement. Comme déjà écrit dans les commentaires de l’article, je suis conscient des sous-entendus qu’il implique et, en raison de sa dérive sémantique, je reconnais qu’il est désormais difficile de l’employer sans déclencher de légitimes protestations de la part de ceux qui s’en voient taxés. »” Si je comprends bien M. Alliès, son commentaire lui a beaucoup été inspiré par le ton que nous aurions utilisé, Jean-Luc et moi-même. En élevant la voix, j’aurais desservi mon propos… Admettons. Il n’y aurait, par conséquent, aucune raison de poursuivre ici une polémique.

À ceci près que mon interlocuteur nuance son propos pour, toujours à propos la tonalité des discours, relever : ”« Dans un premier temps, j’avais voulu écrire “propos flirtant parfois avec le populisme”, ce qui est très franchement le ressenti que j’ai éprouvé au moment du meeting de samedi après-midi. »” Et d’ajouter un peu plus loin : ”« Notez d’abord que je ne m’en “prends” pas à Pierre Laurent. Reconnaissez ensuite que Jean-Luc Mélenchon, dans” l’Express ”de ce jour, déclare: “Populiste, j’assume.” Je maintiens que le terme de populisme a été dévoyé et n’est pas à tout coup injurieux. En l’occurrence, il n’était pas très gentil mais ne se voulait pas très méchant (mais en fait, “tribunicien” suffisait). » Voilà qui m’incite à penser qu’il y a bien un problème…”

Stéphane Alliès me pardonnera de le lui répéter, peut-être est-ce un défaut de l’historien de formation que je suis, mais pour un acteur du débat public (et il en est un lui-même, tout comme ses confrères qui suivent la vie politique et, de facto, l’influencent et en modifient les coordonnées), les concepts utilisés ne souffrent pas l’approximation. La légèreté de trop nombreux commentateurs concoure, volontairement ou involontairement, à égarer ceux auxquels ils s’adressent. La violence des attaques à laquelle se trouve, de nos jours, confronté quiconque dérange les pouvoirs établis et le conformisme des bien-pensants vise de même, le plus souvent, à obscurcir les questions posées aux citoyens. On l’a encore vu, il n’y a pas si longtemps, lorsque l’Élysée lançait contre le directeur de ”Médiapart” une offensive destinée à la discréditer, sur le thème du ”« fascismo-trotskysme »”…

En l’occurrence, le « populisme » ne saurait concerner le ton d’un discours. Il caractérise une posture, celle qui consiste à instrumentaliser le peuple à des fins démagogiques et autoritaires, dessinant en creux un projet de société en tout point contraire à la démocratie. Que mon ami Jean-Luc, sommé de répondre à la même accusation que moi, croit bon de faire un trait d’esprit, pour signifier qu’il est du côté de ceux d’en bas et non dans le camp des élites dirigeantes, ne change rien à notre problème de définition. Il n’y a que des esprits malintentionnés pour lui prêter une démarche « populiste », lui qui se revendique – tout comme moi, d’ailleurs – de la grande tradition de la République émancipatrice, laquelle suppose que le peuple devienne l’acteur collectif de son destin grâce à l’entrée de la démocratie (donc du vote…) dans tous les domaines de l’existence sociale, de la cité à l’entreprise. Ce qui revient à récuser toute confiscation du pouvoir par une oligarchie ou un « sauveur suprême ».

Au passage, Stéphane Alliès devrait hésiter avant de reprendre à son compte la notion de « tribunicisme ». D’abord, parce qu’elle ne peut se confondre avec celle de « populisme ». Ensuite, parce que l’emploi de ce terme a toujours visé à la dévalorisation des responsables, politiques ou syndicaux, qui ne se contentent pas de parler du peuple comme d’une réalité éthérée – qu’il est bon d’invoquer entre gens de bonne compagnie sur un plateau de télévision -, mais se placent en toute circonstance à ses côtés, dans le combat social notamment. Ceux-là sont, en effet, convaincus que les luttes populaires concentrent l’intérêt général contre les intérêts particuliers de ceux qui possèdent tout et prétendent imposer leur volonté au plus grand nombre. Autrement dit, qu’il n’est de changement possible sans construction d’un rapport de force sur le terrain. Si la détermination et la conviction, à une tribune, mise au service d’une argumentation consistant à contester les fausses évidences d’une pensée qui se voudrait unique, relève d’une attitude « tribunitienne »… alors, là, je n’hésite pas à m’en revendiquer ! N’en déplaise à Stéphane Alliès qui n’a jamais, si je ne m’abuse, recouru à pareille charge, à ses yeux manifestement accusatoire, à l’encontre d’Olivier Besancenot ou Nathalie Arthaud…

« Dissoudre » l’Assemblée ou « marcher sur elle » ?

Il est, je l’ai compris en lisant sa réponse, un élément expliquant sans doute le propos outrancier de M. Alliès. Il m’écrit : ”« Sur le fond, il me semble aussi que s’en prendre au Parlement, quasiment appeler à marcher vers l’Assemblée (je vous concède que vous avez été plus explicite lors du meeting de Montreuil de mercredi sur le sujet), en employant un ton aussi comminatoire, dessert le fond des propositions du Front de gauche. Par le passé, ceux qui ont marché vers l’Assemblée n’étaient pas vraiment du bon côté de la barricade… »” Et d’ajouter, tout en me donnant acte que ”« le crédit politique de la majorité au pouvoir est aujourd’hui très faible »” : ”« Face au passage en force du pouvoir, doit-on répondre par le coup de force? Cela se débat, et je vous accorde amplement que cela n’est affaire que de subjectivité, et que la mienne vaut sans doute moins que la vôtre, qui êtes un élu. »”

Là, j’ai envie de dire : « On se calme ! » De « tribunitien populiste », M. Alliès est ici à deux doigts de me taxer de tentation putschiste… En quoi, en un moment où la confrontation politique devient aiguë, où chaque enquête d’opinion souligne plus que la précédente l’isolement du régime, dire que les électeurs doivent reprendre la main relèverait-il du ”« coup de force »” ? On peut, bien sûr, considérer que la démocratie se résume à la faculté dont disposent les citoyens (en lisant les remarques de Stéphane Alliès, j’ose à peine parler de droit…) d’exprimer leur opinion une fois tous les cinq ans. Ceci dit, dès lors, à quoi bon manifester pour changer le cours de l’orientation suivie par les pouvoirs en place ? À quoi bon s’organiser afin de faire entendre la volonté populaire lorsqu’elle est bafouée ? À quoi bon, pour une opposition qui se respecte, recourir à tous les moyens à sa disposition pour faire capoter des projets iniques ou carrément scélérats ? À quoi bon, pour parler autrement, se soulever en permanence contre le despotisme, qu’il se manifestât de manière sournoise dans les périodes de calme apparent, ou qu’il fût tranquillement assumé comme dans le cas présent d’un sarkozysme tentant de sortir de l’impasse où il s’est imprudemment aventuré ?

Dans mes propos de la Fête de ”l’Humanité”, je ne serai même pas allé jusqu’au point dont étaient partis les constituants de l’An I, en 1793. Eux, n’hésitaient pas à proclamer le devoir d’insurrection pour défaire l’oppression ! Plus modestement, j’aurai seulement fait le constat que le clan sarkozyste est à ce point dépourvu de légitimité, donc d’autorité, qu’il ne saurait imposer sa contre-réforme des retraites alors que deux Français sur trois, sans disposer d’autres moyens de s’exprimer que la rue et les sondages, ne cessent de lui crier leur indignation. Puisque Nicolas Sarkozy s’obstine dans sa stratégie du passage en force, c’est au suffrage universel de dénouer l’impasse.

Ségolène Royal, Cécile Duflot ou Jean-Luc Mélenchon en sont, d’un certain point de vue, parvenus à une conclusion voisine, en revendiquant l’organisation d’un référendum. Les bouches à feu de l’Élysée ont d’emblée dit « non ». Avec le mépris qui les caractérise pour le point de vue de ceux qui s’opposent aux élites, ils nous expliquent que ce serait comme demander aux électeurs s’ils préfèrent les jours avec soleil ou avec pluie… L’affaire est, à les en croire, entendue, sans que fût pour autant réglée la question de la légitimité du pouvoir en place. Au demeurant, si j’ai un temps penché pour une telle solution, je tends maintenant à considérer que l’ampleur de la vague sociale qui déferle (et va encore mettre des millions de personnes dans les rues le 23 septembre) pour le retrait du projet Sarkozy-Woerth, si elle se voit une fois encore ignorée, appelle un autre dénouement. Il n’est qu’une proposition de nature à prendre en compte la crise politique et morale dorénavant béante : qu’une Assemblée s’asseyant délibérément l’aspiration majoritaire du pays soit dissoute et que des élections générales viennent trancher le conflit !

Être de gauche, en tout cas d’une gauche soucieuse de faire corps avec la mobilisation sociale et de lui proposer un prolongement à la hauteur, c’est à mon sens ne pas redouter, lorsque les circonstances l’imposent, de bousculer les calendriers. Où est, ici, la trace du ”« coup de force »” dont Stéphane Alliès pense déceler la tentation chez moi ? Où réside l’analogie avec l’action de ceux qui crurent bon, jadis, de marcher sur le Palais-Bourbon et… ”« n’étaient pas vraiment du bon côté de la barricade »” (j’imagine que mon détracteur songe aux fomenteurs de l’insurrection du 6 février 1934) ?

Je ne cherche même pas, je le précise, ainsi qu’il m’y invite lui-même dans sa missive, à précipiter le surgissement d’une autre architecture institutionnelle, à poser ”« les termes et enjeux de la révocabilité des élus de la République et du peuple souverain »”. Jusque dans le cadre de notre actuelle V° République et des possibilités qu’octroient sa Loi fondamentale, il n’est nullement déplacé de revendiquer que la parole revienne aux lecteurs et électrices.

Le Front de gauche impuissant à tenir ses promesses ?

Stéphane Alliès livre peut-être le fond de sa pensée lorsque, revenant sur son accusation initiale de « populisme », il me parle de ”« la déception de l’observateur attentif que je suis du Front de gauche depuis sa création, face à un débat où j’attendais un calendrier de réflexion, quelques pistes de travail, une méthode de propositions partagées. Et où l’on n’a eu droit qu’à des incantations, certes enthousiastes, mais en rien différentes des meetings de l’année passée au même endroit, promettant mille fleurs s’épanouissant mais ne voyant toujours pas éclore la queue d’une tige… Ce qui ne signifie en rien que je ne reconnais pas ¨la qualité du débat public¨ à venir (et le document du PG est déjà une première réponse concrète à mes interrogations), mais que, pour l’heure, ce qui était annoncé comme ¨le lancement d’un programme partagé¨ n’a rien lancé du tout. Nous n’avons même pas les dates des deux forums sur la VIe République et l’Europe… Enfin, cet article est venu après une très longue interview de Jean-Luc Mélenchon, publiée la veille, où ce dernier avait développé l’essentiel des positions et propositions qui ont été évoquées à la tribune. »”

Sur ce point, je le dis franchement, je peux comprendre l’incompréhension manifestée devant les lenteurs avec lesquelles le Front de gauche progresse. Je suis le premier à m’exaspérer des retards pris, des raidissements passagers entre composantes ou des messages contre-productifs délivrés à celles et ceux qui ont placé beaucoup d’espoir dans cette construction inédite. Mais que mon interlocuteur mesure bien le chemin parcouru. Combien d’observateurs exprimaient leur scepticisme lorsque le Front de gauche apparut à l’occasion du scrutin des européennes ? Combien assénaient doctement qu’il ne parviendrait pas à franchir le rude obstacle des régionales ? Et le voilà qui s’attelle à cette entreprise, des plus fondamentales et symboliques, qu’est la rédaction d’une ”« plate-forme partagée »”… Dit en d’autres termes, d’un projet et d’un programme synthétisant la politique qu’il mettrait en œuvre s’il devenait majoritaire…

À elle seule, l’intention vaut événement ! Historiquement, la donne s’est toujours trouvée bouleversée à gauche lorsque des familles de traditions et de trajectoires différentes, sans rien renier de ce qui identifie chacune d’entre elles, se trouvaient suffisamment de convergences pour entreprendre pareil exercice. Contrairement à ce que suggère Alliès, les propositions ne manquent pas, il le remarque lui-même à propos du travail d’ores et déjà effectué par Jean-Luc Mélenchon et ses amis. Une investigation un peu plus poussée l’aurait, de surcroît, amené à prendre aussi en considération le fruit des cogitations du dernier congrès du Parti communiste, ou encore le long document adopté par Gauche unitaire lors de sa conférence nationale de juin, document qui formera la base de discussion du Premier Congrès de notre mouvement, à la fin de l’année. En outre, j’en suis certain, il est un observateur trop attentif pour ne pas avoir remarqué que les « marqueurs » d’une politique transformatrice, mis en avant par nos trois formations, identifient la singularité de l’approche défendue par le Front de gauche.

Ni résignation aux destructions perpétrées par un capitalisme vorace, ni repli sur un positionnement impuissant dans son radicalisme formel, mais détermination à porter le fer au cœur des logiques libérales-capitalistes qui saignent à blanc la population avec pour souci de conquérir une majorité à gauche et dans le pays : le simple énoncé de l’ambition rend compte des raisons pour lesquelles les rythmes s’avèrent plus lents que nous ne le voudrions. Le Front de gauche reste un rassemblement, dont la pluralité requiert le respect des rythmes et de la souveraineté de chacun. Dans la mesure où il veut que sa démarche devienne dominante au sein de la gauche, il lui incombe de s’élargir… De s’ouvrir… De s’enrichir de l’expertise d’acteurs sociaux ou d’intellectuels engagés au quotidien… De s’enraciner sur les lieux de travail, à l’échelon local, dans la jeunesse… Pour que cela ne restât pas un vœu pieu, il convient de construire un authentique processus d’élaboration et de réflexion collectives. Ce qui prend nécessairement du temps…

J’en arrive au terme de l’échange. Finalement, les propos de Stéphane Alliès auront eu une vertu. Me permettre de revenir sur des discussions essentielles et d’en clarifier les termes…

”PS. Au passage, Stéphane Alliès revient sur l’emploi du terme “socialo-communiste”.” « Je constate,”m’indique-t-il,” qu’il heurte certains lecteurs (dont vous), qui y voient l’aveu d’un positionnement “figaresque” de l’époque des chars sur les Champs de 81. Pour la peine, je vous jure qu’il n’y avait rien de cela, ni ironie, ni stigmatisation. Cherchant un synonyme à “Front de gauche” pour le chapô de l’article, il m’est se voulait plutôt bienveillant (je vous le jure, vraiment!) et respectueux de la réalité (Mélenchon continuant de se revendiquer d’un “socialisme historique”). Cette tentative d’effet de style, vue la tension qu’elle génère, ne connaîtra pas de lendemain (il faut savoir reconnaître quand ça ne fonctionne pas). » ”J’avais donc eu raison de subodorer qu’il n’y avait pas matière à prolonger l’échange…”

”PPS. Il me reproche aussi, un tantinet ironique, de ne pas autoriser de commentaires sur mon blog. « C’est pas très web 2.0 », remarque-t-il. Il a raison, mais je m’en suis expliqué voici quelques mois. Le parasitage, par certains, de cette possibilité de commenter les notes d’un blog – Jean-Luc Mélenchon ou Jean-Francois Kahn en ont fait la triste expérience il y a peu – m’ont amené à rendre inactive cette fonction. Je le regrette, mais cela m’évite des heures passées à traquer leurs délires ou insultes…”

Christian_Picquet

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