Week-end avec la “Gauche européenne”

Je reviens d’un week-end (des plus studieux) à Luxembourg. A peine rentré, j’avais à mon agenda la participation à la Commission permanente du conseil régional de Midi-Pyrénées… Ainsi s’écoulent les semaines du militant et responsable politique que je suis… Je veux ici revenir sur mon séjour luxembourgeois. En la compagnie – toujours agréable – de Patrick Auzende (un vieux complice déjà, quoique que de nombreuses années nous séparent, des batailles passés pour que l’ex-LCR redevienne une force active de la reconstruction d’une gauche de gauche en France), nous avions pour mission de soutenir, devant le bureau exécutif du Parti de la gauche européenne, la demande d’adhésion de notre Gauche unitaire à cette formation.

Réalité des plus intéressante que cette « Gauche européenne », née voici déjà quelques années. Si les réalités nationales se pérennisent sur le continent, la question n’en devient pas moins pressante de savoir si la gauche de transformation se montrera capable de porter un véritable projet européen, alternatif aux logiques destructrices du néolibéralisme et du productivisme. Tout y conduit, y compris les nouvelles dispositions institutionnelles qui devraient régir le prochain scrutin des européennes. Le PGE est, de ce point de vue, un instrument prometteur. Où se retrouvent les principales forces de la gauche qui ne se résigne pas aux consensus mous que l’on prise tant à Bruxelles ou Strasbourg (de Die Linke pour l’Allemagne au Blog de gauche portugais, de l’Alliance rouge et verte danoise à nos partenaires communistes et pégistes du Front de gauche, de Refondation communiste en Italie à Synaspismos en Grèce ou à Izquierda unida pour l’Espagne…). Où se déroulent aussi des échanges enrichissants, pour chacune des formations membres, sur les évolutions de la situation de l’Union européenne, les expériences de reconstruction politique conduites dans les différents pays, les réponses apportées à des mobilisations sociales qui montent partout en puissance (rien que pour la semaine qui s’ouvre, nous aurons ainsi une grève générale en Espagne et la grande journée française de manifestations en défense du droit à la retraite saccagé par l’excellent M. Sarkozy), le programme d’une gauche qui veut redevenir la gauche, c’est-à dire une force de résistance et d’espoir.

Le congrès du PGE devant se tenir à Paris les 3, 4 et 5 décembre, nous nous devions d’intégrer ce processus et de rejoindre ses 32 membres, à présent que Gauche unitaire a, elle-même, consolidé ses assises politiques et son enracinement militant. Je reproduis ci-dessous la communication que j’ai présentée devant le bureau du PGE (la présentation de GU et de ses ambitions pouvant intéresser bien au-delà de ses sympathisants), à l’appui de notre demande. Laquelle devrait nous permettre d’intégrer le parti le 2 décembre.

Mon intervention devant le bureau du PGE

« Chers Camarades, je vous remercie de nous avoir invités à présenter, devant votre bureau exécutif, notre demande d’adhésion. Nous avons, depuis notre arrivée, écouté avec attention vos échanges, à propos notamment du document qui sera discuté au prochain congrès du PGE. Nous y avons, avec plaisir, trouvé la confirmation des considérables convergences entre vos partis et notre propre point de vue.

« Commençons par les présentations. Gauche unitaire s’est créée en mars 2009. C’est dire qu’il s’agit d’une formation d’origine récente, dont l’apparition renvoie au mouvement de recomposition qui traverse la gauche française.

« A l’origine de cette création, le refus de dirigeants minoritaires de l’ex-Ligue communiste révolutionnaire et du Nouveau Parti anticapitaliste de se résigner au cours sectaire suivi par leur famille politique, leur volonté de s’engager dans le Front de gauche aux côtés du Parti communiste et du Parti de gauche, et la nécessité de constituer à cette fin un mouvement qui puisse devenir la troisième composante dudit Front et en élargir la diversité.

« Je suis, pour ma part, l’un des militants qui participèrent à la fondation de l’ex-LCR après Mai 68, et j’ai appartenu à sa direction exécutive durant une trentaine d’années, occupant notamment la fonction de directeur de son hebdomadaire ou encore celle de responsable des relations avec le reste de la gauche. Mon camarade Patrick, aujourd’hui responsable des relations internationales de Gauche unitaire, a été l’un des dirigeants de la IV° Internationale et il fut l’un des principaux animateurs du réseau de la Gauche anticapitaliste européenne, un certain nombre d’entre vous l’ont connu à ce titre.

« C’est donc la décision d’une majorité de la direction de l’ex-LCR et du NPA, de tourner le dos à la tradition d’ouverture et d’unité qui a très longtemps caractérisé notre famille politique d’origine, qui nous a conduit à un acte politique majeur pour des militants souvent engagés de longue date. Il nous paraissait, en effet, impossible de nous dérober : à nos yeux, l’émergence du Front de gauche représentait une chance historique de reconstruire à gauche une perspective porteuse d’espoir. Une perspective dont, pour notre part, nous souhaitons qu’elle affiche l’ambition résolue de devenir majoritaire dans la gauche et dans le pays.

« Depuis sa fondation, Gauche unitaire s’est vue rejointe, non seulement par de nouveaux membres du NPA en désaccord avec le cours suivi par leur parti, mais encore par des militantes et des militants issus d’autres cultures et d’autres expériences militantes, ainsi que par des syndicalistes ou acteurs du mouvement associatif soucieux de donner un prolongement directement politique à leurs engagements de terrain.

« Depuis le scrutin des régionales de mars 2010, Gauche unitaire dispose de sept conseillers régionaux, élus dans sept des principales Régions du pays. Désormais implantée sur l’ensemble du territoire national, elle participe activement à la construction du Front de gauche, aux côtés de ses partenaires du PCF et du PG. Depuis sa fondation, elle a participé de manière dynamique aux campagnes politiques dans lesquelles le Front de gauche se trouvait impliqué, ce qui, je me permets de le souligner, renvoie à notre détermination de rectifier la sous-estimation des combats institutionnels et électoraux qui constituait l’une des grandes faiblesses du courant que l’ex-LCR incarna longtemps dans la vie publique française.

« Je veux ajouter que nous nous honorons particulièrement d’avoir été rejoints, au long de l’an et demi écoulé, par un grand nombre de jeunes. Cela confère notre mouvement la particularité d’être celui dont la moyenne d’âge est sans doute l’une des plus basses de la gauche française, et qui dispose de ce fait d’un grand nombre de jeunes dirigeants. Nombre de femmes, et de jeunes femmes, prennent encore une part active à l’animation du mouvement, ce qui s’est traduit par la récente désignation, à mes côtés, de deux d’entre elles comme porte-parole nationales.

« S’agissant du projet que nous cherchons à faire avancer, vous en aurez un aperçu dans le manifeste fondateur que nous vous avons mis à la disposition des membres de votre bureau. Ce document sera remplacé, à l’occasion du Premier Congrès de notre mouvement, en décembre prochain, d’un nouveau texte définissant plus précisément l’identité de Gauche unitaire et son horizon programmatique et stratégique.

« Ce projet procède de notre analyse de la crise de la gauche et du mouvement ouvrier, en France autant qu’aux échelles européenne ou internationale. À nos yeux, la chute du Mur de Berlin sera venu sanctionner l’échec de tous les projets ayant jusqu’alors structuré ce qu’il est convenu d’appeler le « camp progressiste » : échec du projet social-démocrate, dont les tentatives redistributives grâce aux mécanismes de l’État-providence n’auront pu résister au surgissement d’un nouveau mode d’accumulation du capital ; échec du projet communiste, tel qu’il se sera majoritairement identifié aux pays dits du « socialisme réel », avec pour conséquence qu’il s’avère désormais assimilé, à une large échelle, à un système bureaucratique et totalitaire ; échec du projet de la gauche révolutionnaire des années soixante, qui aura simultanément subi le contre-coup du reflux des luttes libératrices, qu’enregistra la fin du siècle passé, et sa propre impuissance à s’extraire d’un schéma stratégique calqué sur le modèle de la Révolution russe…

« Gauche unitaire s’estimant héritière de la tradition du socialisme historique et d’un communisme émancipé du cancer stalinien, vous comprendrez que le capitalisme ne soit pas, pour nous, « l’horizon indépassable » auquel s’est résigné une grande partie des courants de la gauche, à commencer par une large majorité des élites de la social-démocratie. Sa crise actuelle révèle d’ailleurs les limites désormais atteintes par le nouveau mode d’accumulation aux origines du capitalisme globalisé et financiarisé d’aujourd’hui.

« Nous considérons qu’une nouvelle période historique s’est ouverte à la fin du siècle passé et que son enjeu n’est autre que la refondation d’une perspective de transformation socialiste, crédible et mobilisatrice, démocratique et émancipatrice, ce qui implique qu’elle dispose de nouveaux instruments pour la porter.

« La perspective à laquelle nous entendons nous attacher devra, toujours selon nous, réaliser une audacieuse synthèse : du meilleur de la tradition socialiste et communiste ; du meilleur des apports de l’écologie politique, du féminisme ou de l’altermondialisme ; du meilleur de l’expérience portée par des acteurs sociaux ou les nouvelles générations militantes qui ont conscience de l’urgente nécessité d’un débouché politique à leurs combats pour la justice sociale et l’égalité des droits.

« Ce qui nous paraît réunir les conditions pour qu’une semblable perspective finisse par émerger est que, à l’échelle internationale et tout particulièrement en Europe, la gauche et le mouvement ouvrier se voient traversés de deux orientations opposées : d’un côté, celle que défendent les courants considérant que le capitalisme a historiquement gagné la partie et qu’il est impossible de viser au-delà de son accompagnement afin d’en limiter les effets les plus dévastateurs ; de l’autre, celle que portent les forces, dont nous sommes les uns et les autres ici, pour lesquelles l’intérêt général, je dirais même la sauvegarde de l’humanité, supposent la rupture avec l’ordre capitaliste et néolibéral dominant.

« Nous défendons, en conséquence, l’idée du rassemblement de toutes les forces qui aspirent à une transformation sociale radicale, des secteurs de gauche qui continuent à se battre au sein de nombreux partis sociaux-démocrates jusqu’aux diverses composantes de la gauche révolutionnaire et alternative. Et nous croyons également que, si l’on veut que ce courant de rupture devienne majoritaire au sein des gauches et des mouvements ouvriers, il convient d’agir en faveur de l’émergence de nouvelles formations, de nouveaux partis pour tout dire, s’identifiant par la diversité des courants et traditions qu’ils font converger en leur sein.

« Naturellement, les modalités pratiques à travers lesquelles s’opéreront de pareils processus varieront en fonction des diverses configurations nationales.

« Ainsi, en France comme dans d’autres pays européens, il se concrétise par la construction de fronts. Des fronts qui permettent de faire entrer en synergie des forces militantes, tout en respectant les histoires comme la souveraineté de chacune des composantes. D’où le choix de nous engager dans le Front de gauche pour, avec nos partenaires du Parti communiste et du Parti de gauche, lui donner une dynamique militante et un ancrage dans le mouvement populaire. Une nouvelle étape a, à cet égard, été franchie à l’occasion de la dernière Fête de ”l’Humanité”, avec le lancement d’un travail d’élaboration d’une « plate-forme partagée » que nous entendons mener en étroite collaboration avec ces syndicalistes, ces animateurs du mouvement associatif, ces militants de gauche ou ces citoyens qui suivent avec attention notre démarche commune.

« Je terminerai en vous disant que nous suivons depuis longtemps l’action du Parti de la gauche européenne. Elle nous apparaît d’un très grand intérêt dès lors que, comme vous, nous considérons qu’il est impossible de relever dans les seuls cadres nationaux les défis auquel nous confronte un capitalisme en proie à une crise majeure. Nous nous considérons, au demeurant, tout comme nos camarades du PCF ou du PG, comme les héritiers de la bataille pour une autre Europe qui se traduisit, en 2005, par la grande campagne du « non » de gauche au traité constitutionnel européen.

« Nous nous retrouvons dans les prises de position essentielles de la Gauche européenne et répondons aux critères que vous avez fixés pour y appartenir. Ce que je vous ai dit de notre propre démarche vous explique donc, j’imagine, les raisons pour lesquelles je suis venu ici défendre notre demande d’adhésion.

« Le PGE est, à nos yeux, un cadre essentiel de réflexion et d’action collectives. Il nous apparaît comme un levier primordial pour commencer à dessiner une alternative européenne aux projets des classes dirigeantes du continent.

« La participation d’un courant comme le nôtre serait le prolongement naturel de notre insertion dans le Front de gauche en France. Je dirais même que, avec notre adhésion, si vous l’acceptez, l’ensemble du Front de gauche se retrouverait dans la Gauche européenne, ce qui ne manquerait pas de produire des effets positifs pour la préparation en France des combats européens qui s’annoncent dans la prochaine période, à commencer par les prochaines élections européennes. Cela dit, avec toute la modestie que nous donne notre jeune existence, nous pensons également que notre venue parmi vous pourrait enrichir d’un nouvel apport le travail que la Gauche européenne a initié. J’espère donc que vous accepterez notre adhésion. »

Christian_Picquet

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