Tout peut basculer, Sarkozy peut être battu !

Nous nous trouvons à l’un de ces moments historiques qui peut faire basculer la situation d’un pays. Résumons : un bon quart de manifestants en plus dans les rues ce 12 octobre (progression que même le ministère de l’Intérieur s’est vu contraint de reconnaître) ; des grèves reconductibles s’organisant en divers secteurs d’activité, sans que les médias ne daignent (ou ne sachent) les recenser ; onze raffineries sur douze paralysées, tandis qu’un certain nombre de dépôts de carburants commencent à être bloqués à l’heure où j’écris ces lignes ; des grèves perlées ici ou là (pour limiter les pertes de revenu pour les salariés) ; la montée en puissance, lente mais régulière, d’un mouvement de la jeunesse scolarisée (déjà un quart des lycées est touché) ; une opinion majoritairement et inflexiblement aux côtés de la mobilisation sociale… Le pouvoir sarkozyste reçoit en boomerang le prix de son mépris affiché pour un peuple refusant, dans des proportions croissantes, la logique générale de sa politique.

Rien, jusqu’à présent, n’aura amélioré le rapport des forces en faveur des défenseurs du projet de casse du système de retraites, de plus en plus recroquevillés autour du noyau dur de l’électorat UMP et des organisations patronales. Ni la tentation gouvernementale d’accélérer l’adoption par le Sénat des volets de la loi portant sur l’allongement du nombre d’annuités nécessaires à l’obtention d’une pension à taux plein (vote pourtant immédiatement relayé par des médias annonçant en boucle la mort des 60 ans). Ni la stratégie de tension que la majorité en place semble vouloir adopter, en stigmatisant (pour ne pas dire qu’il cherche à le criminaliser…) le mouvement lycéen pour provoquer des réactions de violence (ou de peur) de sa part. Ni l’intransigeance affichée par un Nicolas Sarkozy ou un François Fillon expliquant, en toute occasion, qu’ils ne bougeraient pas sur les équilibres de leur texte.

Trois batailles déjà gagnées

La droite n’a pas encore perdu la partie mais, de notre côté, nous avons d’ores et déjà remporté trois batailles essentielles.

D’abord celle de l’opinion. Aveuglée, dans un premier temps, par un matraquage destiné à la persuader qu’il n’existait pas d’autres choix possibles, cette dernière n’a ensuite cessé de manifester une hostilité grandissante envers le projet porté, devant les Assemblées, par le ministre le plus déconsidéré du gouvernement Fillon. Le front syndical en sachant conserver son unité, le relais de l’appel d’Attac et de la Fondation Copernic, le travail d’explication du Front de gauche et la diffusion de sa proposition de loi alternative ont contribué à l’enclenchement d’un processus d’auto-éducation populaire rappelant celui qui aboutit, voilà cinq ans, au rejet du trait constitutionnel européen. L’Hexagone est aujourd’hui, sans contestation possible, le pays dont les citoyens maîtrisent le mieux les enjeux et les termes du débat sur la protection sociale, ce qui n’est d’ailleurs pas sans expliquer l’entrée en lice des lycéens et des étudiants.

Ensuite celle de la logique alternative au projet du pouvoir. Dans le monde syndical, autant que dans le camp progressiste, on le sait, les réponses ne sont pas identiques. Il n’en demeure pas moins que l’opposition unanime aux choix gouvernementaux aura, au moins, eu une vertu : arracher la conviction que la loi était injuste, conçue pour épargner les revenus du capital et faire payer les déficits des caisses de retraite aux seuls salariés, imaginée pour ouvrir aux grandes compagnies d’assurances le marché juteux de la généralisation des contrats de capitalisation.

Enfin, celle des repères idéologiques. L’éditorialiste Denis Jeambar se répand, ces derniers jours, en considérations selon lesquelles, face à une crise financière et économique qui met en pleine lumière la répartition toujours plus déséquilibrée des richesses, l’aspiration égalitaire redevenait le ciment d’un soulèvement majoritaire du peuple. Une fois n’est pas coutume, je lui en donne acte, il a parfaitement raison. Les principes d’égalité citoyenne et sociale, d’intérêt général, de souveraineté populaire, hérités de la Grande Révolution, ont été à l’origine de la constitution du mouvement ouvrier et du mouvement socialiste dans ce pays. Ils y ont catalysé tous les processus révolutionnaires, ceux de 1830, de1848, de la Commune, de Juin 36 ou de la Libération. N’est-ce pas Ernest Renan qui relevait, en 1869, que ”« la Révolution est un événement si extraordinaire que c’est par elle qu’il faut ouvrir toute série de considérations sur les affaires de notre temps. Rien d’important n’arrive en France qui ne soit la conséquence directe de ce fait capital, lequel a changé profondément les conditions de vie de notre pays ».” À 150 ans de distance, ces remarques résonnent toujours justes !

Nouveau 95 ou… nouveau 68 en gestation ?

À ce propos, ce n’est pas un hasard si des commentateurs avisés, tel le sociologue du travail Henri Vacquin, considèrent que la contestation populaire d’aujourd’hui s’assimile moins à novembre-décembre 1995 qu’à Mai 68. Je me garderai, à cet instant, de m’aventurer à leur suite. Tant de choses nous séparent de l’explosion de ce printemps-là : les rapports de force internationaux, la réalité du salariat et sa capacité à opposer sa puissance concentrée à l’avidité sans bornes des possédants, l’effacement de l’idéal socialiste qui modelait alors la conscience de la jeunesse comme des acteurs sociaux… La comparaison n’en possède pas moins un grain de vérité.

Si, en se lançant à la conquête de l’Élysée, le président de la République avait promis de liquider l’héritage de la plus grande grève générale de notre histoire, c’est que celle-ci révéla tout à la fois la profondeur de l’aspiration à une société émancipée de la tutelle du capital et la faille intime de la V° République. Dans un ouvrage passé quelque peu inaperçu à sa parution, ”Mai 68 ou la révolte du citoyen disparu” (Les Empêcheurs de penser en rond), Christine Fauré écrivait : ”« Dans la France affaiblie de la guerre d’Algérie, la légitimité personnelle du Général résistant avait permis de rendre à l’exécutif sa capacité de fonctionnement et de pacifier la vie politique aux prises avec les luttes intestines des partis. Mais dans ce nouvel édifice, le grand oublié était le citoyen, inactif entre deux élections, réduit à un être social dévalué. En mai 1968, le citoyen, étudiant, ouvrier ou artiste s’est fait connaître de cette sphère de politiciens technocrates, peu réceptifs aux attentes des électeurs. »”

Comment, en cet automne 2010, ne pas être tenté d’appliquer cette grille d’analyse au sarkozysme ? Un sarkozysme qui a entrepris de soumettre la France à une véritable contre-révolution conservatrice, dont le projet est de satisfaire à toutes les exigences d’un capitalisme financiarisé pour lequel ne compte plus que la progression des dividendes des actionnaires et qui, pour ce motif, cherche à pousser les feux de l’anéantissement d’un siècle et plus de conquêtes ouvrières. Dont les élites, enfermées dans leur toute-puissance, ignore tout de l’overdose qui caractérise la société française devant le constat que les difficultés du plus grand nombre s’accumulent tandis que la richesse nationale n’a jamais été aussi grande (je lisais, hier, dans ”Le Figaro”, la prose de Luc Ferry qu’un culot sans limites amenait à affirmer que ”« jamais la situation des jeunes n’a été, au total, aussi enviable qu’aujourd’hui »”). Qui pousse à son paroxysme le présidentialisme, la concentration des pouvoirs au sommet de l’État et l’autoritarisme, mécanismes structurant des institutions imaginées par le général de Gaulle ?

Répondre à une crise politique, sociale, morale

La référence aux années soixante souligne, quelque part, que nous sommes entrés dans une période d’instabilité générale, sur les plans social, politique, moral… Cette période qui place la France au bord de l’explosion et la met à l’heure de tous les possibles, mais également de tous les dangers. De tous les dangers, oui, dans la mesure où, si une crise d’une pareille ampleur ne trouve pas d’issue pertinente à gauche, c’est du côté d’une droite populiste voire de l’extrême droite qu’elle pourrait bien se dénouer. Ainsi, les diatribes de Marine Le Pen dénonçant une future « trahison » des syndicats, appelant à la formation de satellites sociaux du Front national, et cherchant à faire dériver la colère populaire vers la thématique de la « préférence nationale », ne doivent-elles pas être prises à la légère…

Les jours à venir seront fonction de deux éléments. En premier lieu, de la capacité de l’intersyndicale à offrir au mouvement des perspectives lui permettant de s’organiser dans la durée, de préserver son unité autour d’une épreuve de force sans concession avec le régime, de s’enraciner sur les lieux de travail, de chercher sa cohésion dans la délibération démocratique des assemblées générales. Après tout, c’est parce que les organisations syndicales n’ont pas plié devant l’intransigeance des gouvernants que la mobilisation s’est sans cesse élargie et que les formes d’action se sont diversifiées sur le terrain, plaçant gouvernants et possédants dans la difficulté que l’on sait. Les journées du 16 et du 19 s’avèreront, à cet égard, déterminantes.

C’est ensuite du message émergeant à gauche que dépendra l’évolution de la situation. Une fois encore, si l’on doit se féliciter de la présence de l’ensemble des composantes de ladite gauche derrière le front syndical, force est simultanément de constater un flottement qui peut se révéler préjudiciable au développement de la mobilisation. Toute la gauche devrait à présent, dans l’unité, et par-delà les approches divergentes de la solution à apporter au déficit des systèmes de retraite, avancer l’exigence d’un retrait immédiat de la loi Sarkozy-Woerth, qu’une majorité absolue de la population rejette sans réserves. Elle ne devrait pas hésiter un seul instant à mettre en cause la légitimité d’une équipe qui ne peut se réclamer d’aucun mandat populaire pour conduire une contre-réforme de cette ampleur. Surtout, il conviendrait que se dissipent, en son cœur, des ambiguïtés que la droite exploite sans vergogne à l’heure où elle ne dispose plus du moindre argument propre pour convaincre nos concitoyens.

Parlons sans détours, ce sont ses tergiversations qui sont en train de rattraper le Parti socialiste et d’amoindrir, du même coup, la capacité de riposte de la gauche tout entière. Lorsque certaines de ses figures les plus médiatisées en viennent à désavouer les propos de Ségolène Royal, alors qu’elle n’avait fait que justifier les manifestations lycéennes. Lorsqu’un François Hollande, un Manuel Valls, un Jean-Marie Le Guen ou un Jérôme Cahuzac se relaient sur les antennes pour expliquer que, de retour aux affaires, leur formation devra demander des efforts aux Français, ce qui revient à annoncer que l’austérité de gauche suivra celle de droite. Lorsqu’un Dominique Strauss-Kahn, l’un de ses deux principaux prétendants à la magistrature suprême est, de par ses fonctions, impliqué dans la publication d’une recommandation du Fonds monétaire international préconisant l’allongement de l’âge légal du départ à la retraite. Lorsque Martine Aubry elle-même, invitée de l’émission « À vous de juger » sur France 2, s’empêtre dans des explications alambiquées destinées à justifier qu’elles et ses amis n’envisagent pas de rétablir les 60 ans à taux plein pour l’ensemble des travailleurs. Lorsqu’un rescapé des années Mitterrand, Jacques Attali, rend public un rapport prônant une cure d’austérité drastique pour le pays. Enthousiasmant… Vraiment enthousiasmant…

Au Front de gauche de jouer !

Il n’en est que plus impératif que notre Front de gauche donne de la voix. À Paris, ce 12 octobre, nous avions formé cortège et l’accueil des manifestants nous en aura dit long sur l’attente d’une gauche renouant enfin avec un programme de gauche. Il serait à présent urgent que nos trois organisations, à partir de leurs propres propositions, s’adressent spécifiquement au mouvement social afin d’élargir, à ceux de ses animateurs qui le souhaitent, la construction de l’alternative de rupture dont l’émergence devient décidément urgente.

Au cœur de cette région Midi-Pyrénées qui m’est chère puisque j’en suis l’élu, à Toulouse plus précisément (où des dizaines de milliers de personnes viennent encore de manifester hier et où les grèves touchent des secteurs d’activité variés), mes camarades de Gauche unitaire se sont, par exemple, adressés à leurs partenaires communistes et pégistes en leur suggérant la tenue, dans les meilleurs délais, d’un grand meeting en présence de Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon et moi-même. Des initiatives du même ordre pourraient se tenir ailleurs. Ce qui conférerait un élan dynamique au processus d’élaboration de la « plate-forme partagée » que nous avons lancé à la dernière Fête de l’Humanité.

Nul ne sait désormais dans quel sens évoluera la confrontation de classe. Une chose est certaine : l’inquiétude a changé de camp. En quelques heures, en quelques jours, les cartes peuvent être redistribuées. Ce n’est pas le moment de mollir !

Christian_Picquet

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