La Gauche européenne en congrès
Tout ce week-end, j’aurai participé au Troisième Congrès du Parti de la gauche européenne, qui se tenait à Paris, et je ne serai donc, pour cette raison, parvenu qu’à rendre une brève visite à mes camarades du conseil national de Gauche unitaire, qui se réunissait au même moment. Un congrès d’importance, dans le contexte de turbulences aiguës que traverse notre continent, et à l’occasion duquel GU est devenu membre de ce rassemblement d’une trentaine de partis de la gauche transformatrice européenne, au premier rang desquels se trouve désormais l’ensemble du Front de gauche. Notre jeune mouvement était représenté par une délégation particulièrement jeune, au nom de laquelle Patrick Auzende et Lucille Jamet auront pris la parole devant l’assemblée plénière. Signe, quelque part, de l’intérêt que les forces partenaires portent à l’expérience française, c’est Pierre Laurent qui sera devenu le nouveau président du PGE, sa candidature ayant été portée par les trois composantes du Front de gauche.
Outre l’adoption d’une importante résolution d’orientation pour les trois ans à venir et de diverses motions d’actualité (portant aussi bien sur la défense des services publics que sur les droits du peuple palestinien ou le retrait des troupes occidentales d’Afghanistan…), le congrès aura pris pour décision le lancement d’une grande campagne citoyenne (appuyée sur une pétition qui, si elle réunit un million de signatures, contraindra la Commission de Bruxelles à délibérer sur les suites à lui donner, conformément aux fonctionnement des institutions européennes actuelles) exigeant la taxation des mouvements de capitaux et la création d’un Fonds européen pour le développement social (un Fonds orienté vers le financement des investissements publics, d’infrastructures socialement utiles ou de réalisations environnementales urgentes), dont l’objectif serait de soustraire les États à la pression des marchés financiers et qui reposerait sur la redéfinition des missions de la Banque centrale. Cette proposition, fort bienvenue pour dessiner une alternative concrète aux absurdes dérives de la construction libérale de l’Europe, est de nature à donner à la Gauche européenne sa pleine visibilité sur le théâtre continental et à lui conférer une véritable dynamique militante de terrain, émana de l’ami Francis Wurtz.
Ce sont les trois formations du Front de gauche qui auront, ensemble, symboliquement, accueilli les délégués, ce vendredi 3 décembre, à l’ouverture des travaux. En guise d’éclairage de la démarche qui aura amené Gauche unitaire à intégrer le PGE, je reproduis ici le discours de bienvenue que j’aurai prononcé à la suite des porte-parole du Parti communiste et du Parti de gauche…
DISCOURS DEVANT LE CONGRÈS DU PGE
« Chers Camarades, c’est un plaisir et un honneur pour moi que de m’associer à mes camarades du Parti communiste et du Parti de gauche pour vous souhaiter la bienvenue.
« C’est un plaisir et un honneur, puisqu’il se trouve que Gauche unitaire est la dernière des formations adhérentes au Parti de la gauche européenne : notre entrée a, en effet, été ratifiée hier soir, par le bureau exécutif.
« Issu de ce qu’il est en général convenu d’appeler l’extrême gauche en France, notre mouvement – qui est encore jeune, puisque sa création ne date que de mars 2009 – n’a pas accepté que cette dernière, le Nouveau Parti anticapitaliste en l’occurrence, s’enlise dans le sectarisme, la marginalité et l’impuissance. Il était donc très naturel que, engagés depuis le début dans le Front de gauche, nous ayons voulu rejoindre cette grande et prometteuse convergence qu’est maintenant devenue la Gauche européenne.
« C’est un plaisir et un honneur, parce que la France, vous le savez, vient de s’illustrer par le plus grand mouvement social de son histoire depuis Mai 68, avec le soutien d’une très large majorité de son peuple – 70% selon les sondages -, derrière un front syndical uni comme rarement il l’a été dans notre pays, contre les mêmes politiques libérales qui ravagent l’ensemble de notre continent, détruisent partout le droit fondamental à la retraite et à la protection sociale, privatisent et ouvrent les services publics au privé, et vont jusqu’à menacer l’idée européenne elle-même.
« Tout notre combat, au Parti de la gauche européenne, trouve d’une certaine manière sa confirmation dans le mouvement social français, comme il trouve sa confirmation dans les grandes mobilisations qui s’organisent et se développent dans nos différents pays, de la Grèce à l’Espagne, de l’Irlande au Portugal…
« Ces mouvements sociaux expriment le refus de l’injustice toujours plus poussée de la répartition des richesses.
« Ils expriment le rejet de cette oligarchie financière qui prétend imposer ses vues à nos peuples, alors que leur folie spéculative a déjà mis, et met en permanence, le continent au bord du gouffre.
« Ils expriment l’aspiration à une autre construction européenne, qui viendrait se substituer à celle que dessine le calamiteux traité de Lisbonne et redonnerait aux citoyens de nos différents pays leur entière souveraineté, afin qu’ils puissent par eux-mêmes construire l’Europe qu’ils appellent de leurs vœux pour répondre aux attentes et aux intérêts du plus grand nombre.
« Ils expriment l’attente d’une gauche résolument européenne, mais tournée vers la satisfaction des besoins du plus grand nombre, et cessant donc de s’incliner devant les exigences des banques, des marchés et des agences de notation à leur service. À l’inverse de cette soumission permanente à la norme du libéralisme, source de régressions sociales et démocratiques insupportables, qui caractérise les formations du Parti socialiste européen.
« Voilà qui m’amène, Chers Camarades, à la dernière des raisons pour laquelle j’ai tant de plaisir et d’honneur à vous accueillir et à me retrouver parmi vous, avec mes camarades de Gauche unitaire.
« Chers délégués de la Gauche européenne, ce sont les trois composantes du Front de gauche qui sont désormais membres du PGE.
« En écho avec les objectifs que s’est donné notre parti européen, nous menons ici le combat pour que la donne à gauche change radicalement. Que ce soit une politique résolument à gauche, déterminée à se confronter aux logiques capitalistes dominantes, qui devienne majoritaire à gauche.
« Nous nous sommes rassemblés en France, dans le respect scrupuleux de nos identités respectives, dans le même esprit que nous nous retrouvons au sein du Parti de la gauche européenne.
« Je conclurai ce mot de bienvenue sur une dernière considération. Nos responsabilités, aux uns et aux autres, sont aujourd’hui considérables.
« Nos peuples souffrent comme ils n’ont probablement jamais souffert depuis la chute du fascisme en Europe.
« Le néolibéralisme, la toute-puissance des marchés financiers portent en eux la misère et la précarité, la destruction de décennies de conquêtes sociales, la guerre également… La guerre qui, comme le disait le grand Jaurès voici un siècle, est consubstantielle à un système capitaliste qui engendre la course au profit et la mise des peuples en compétition les uns avec les autres.
« Si n’est pas rouverte une perspective d’espoir pour les classes populaires, une perspective dont l’ambition soit de devenir majoritaire, le risque est grand que le désarroi, les difficultés de plus en plus grande de la vie quotidienne, les destructions sociales et écologiques, l’exaspération des laissés-pour-compte finissent par servir les desseins des démagogues de l’extrême droite raciste et chauvine, des représentants du populisme le plus réactionnaire.
« Notre congrès doit situer son ambition à cette échelle historique. Il doit permettre à nos militantes et à nos militants de se mettre en ordre de bataille pour répondre aux attentes que manifestent partout les mobilisations sociales. Bienvenue et bon travail à nous tous et toutes. »
PS. Le jour même où s’ouvrait le congrès du PGE, nous arrivait la terrible nouvelle de la disparition de Claire Villiers. Je la savais malade depuis des années. J’admirais son courage lorsque je l’interrogeais sur sa santé et qu’elle me parlait avec une impressionnante liberté de l’évolution de son cancer. Comme chacun, je voulais toujours espérer que sa détermination finirait par l’emporter. Mais la combattante, fille d’ouvrier devenue intellectuelle, « catho » de gauche ayant fait ses premiers pas à la Jeunesse ouvrière chrétienne, figure de proue du syndicalisme unitaire et combatif à l’ANPE, fondatrice d’AC ! contre le chômage, conseillère régionale d’Île-de-France entre 2004 et 2010, militante obstinée d’une gauche antilibérale rassemblée, a fini par rendre les armes. Nous étions nombreux à savoir, depuis quelques jours, que la partie était perdue. Il n’empêche que la disparition de Claire me (nous) laisse un grand sentiment de vide. Une immense tristesse… Un terrible regret qu’elle n’ait pu voir l’aboutissement du combat qui nous était commun et qui nous avait réunis sur de communes estrades en 2006, lorsqu’il était question d’une candidature unique des forces du « non » de gauche de 2005 à l’élection présidentielle. Mais nous avions repris la bataille, dès 2008, en lançant en commun l’appel de Politis, « L’alternative à gauche, organisons-là ». Je me souviens lui en avoir soumis l’idée et l’avoir vu, lors d’un déjeuner qui se déroulait place de Clichy et en dépit du scepticisme qu’elle ne m’avait pas caché, mettre toute son énergie au service de ce nouvel engagement, m’ouvrant immédiatement son carnet d’adresses et me permettant de décrocher le soutien d’importantes figures associatives des quartiers populaires. Du fait de cette communauté d’espérance et de combat, je l’avoue, j’ai fort mal vécu, et mes camarades de GU avec moi, qu’elle ne retrouve pas, au mois de mars dernier, une place éligible sur la liste du Front de gauche en Île-de-France. Claire, tu resteras pour moi l’exemple de ce que le mouvement ouvrier de ce pays a produit de meilleur. Adieu à l’amie et à la camarade…