Le NPA en pleine dérive
Vous l’imaginez, j’ai suivi avec une extrême attention la préparation, le déroulement et les conclusions du Deuxième Congrès du Nouveau Parti anticapitaliste. Un spectacle désolant… Qui m’a laissé sans voix… Dans mes pronostics les plus pessimistes, lorsqu’avec les fondateurs de Gauche unitaire nous décidâmes de consacrer notre enthousiasme à une entreprise plus chargée de sens à nos yeux, en l’occurrence la construction du Front de gauche, je n’imaginais pas qu’en deux ans à peine, on en arriverait à cette balkanisation entre des courants si dissemblables, des unitaires aux chantres du cheminement solitaire des révolutionnaires, qu’ils ne parviennent à trouver aucun accord entre eux. Ni sur l’orientation. Ni sur le rendez-vous de 2012. Ni sur des questions aussi nodales que la laïcité et le féminisme.
Certes, les crises sont indissociables du combat politique, dès lors que les contradictions de la vie le confrontent en permanence à des problèmes imprévus ou à des défis perturbateurs. Là, pourtant, la tempête frappe l’ensemble des domaines, révélant la vacuité d’un projet, minant la place du parti sur le champ politique, disloquant sa cohésion idéologique, ruinant l’autorité d’une direction responsable d’un désastre dont je connais bien peu de précédent mais se montrant incapable de procéder aux révisions qui s’imposeraient, aussi déchirantes fussent-elles…
Je vous l’avoue, dans la dernière période, je me suis plus d’une fois senti à des années-lumière des choix ou de la rhétorique de l’organisation qui se veut la suite de feue la Ligue communiste révolutionnaire. Il n’empêche ! J’ai le cœur serré en songeant à tous ces camarades, à tous ces amis, avec lesquels j’ai partagé les joies et les peines d’une lutte obstinée pour que notre tradition fût utile à l’émergence d’une perspective pour le monde du travail. Je les imagine, assistant avec rage à ce que ”le Figaro” de ce 15 février décrit, non sans pertinence hélas, comme ”« la chute de la maison Besancenot »”. Une chute qui risque d’emporter avec elle des énergies qui seraient précieuses à l’action pour une gauche à la hauteur.
Ces derniers jours, j’ai lu bien des commentaires qui m’ont paru superficiels sur les raisons profondes de cette décomposition spectaculaire. Ni le sectarisme d’un clan directionnel, ni ses pratiques fort peu transparentes ne suffisent à expliquer ce dénouement. Si l’on veut que le découragement ne vînt pas maintenant tout submerger, il importe d’identifier avec précision les fautes constitutives ayant conduit à la proclamation d’un « nouveau parti » auquel était prêté un avenir radieux. J’en vois, pour ma part, six…
SIX FAUTES DRAMATIQUES
Première faute. En vertu de la prétendue rupture, politique autant que générationnelle, censée établir la légitimité de la nouvelle construction, on aura liquidé le meilleur de l’héritage de l’ex-LCR. Que l’on m’entende bien : la famille politique qui fut si durablement la mienne eut pour principale limite de n’avoir jamais su s’extraire du cadre de pensée de l’extrême gauche, par définition minorisant. Elle n’en porta pas moins, au fil de quatre décennies, des éléments essentiels du renouvellement de la gauche et du mouvement ouvrier. Je ne mentionnerai ici, pour mémoire, que la prise en compte des apports des nouveaux mouvements sociaux, l’attention de tous les instants portée aux débats et réflexions traversant la gauche, l’articulation défendue entre l’unité indispensable à gauche face au camp adverse et l’indépendance vitale des forces de transformation, la nécessaire refondation d’un projet socialiste tirant les leçons des catastrophes du XX° siècle et intégrant l’exigence cardinale de la démocratie (en n’esquivant pas le caractère incontournable, dans ce cadre, du suffrage universel), la bataille en faveur d’un syndicalisme aussi fidèle aux intérêts des travailleurs qu’unitaire et démocratique dans ses pratiques et son mode de fonctionnement etc. En l’occurrence, s’il convenait effectivement de dépasser « la Ligue », ce ne pouvait être en bradant l’ensemble de ses apports, au profit d’un brouet confus à souhait dont la seule fonction était, manifestement, d’éviter des clarifications qui eussent pu altérer l’image idyllique du processus engagé. Cette manière de procéder aura, ultérieurement, été responsable de bien des malaises, voire de véritables convulsions, qu’il s’agisse du problème de la violence terroriste (soulevé dès le ralliement de Jean-Marc Rouillan au nouveau parti) ou, plus récemment, du rapport aux religions (avec la présentation d’une candidate voilée dans le Vaucluse)…
Deuxième faute. Au nom de la funeste théorie de « deux gauches » aux frontières hermétiquement closes sur elles-mêmes, on aura conclu que la social-libéralisation avait contaminé tout l’espace de ce qui était désigné avec mépris comme celui de la « gauche institutionnelle » (terme sans doute choisi pour signifier que la dérive commençait avec un nombre significatif d’élus et la direction de collectivités territoriales). Ce qui aura abouti à l’imparable déduction que ne restaient face-à-face qu’un Parti socialiste ayant satellisé une série de courants par-là même voués à la trahison et le NPA. D’aucuns, et non des moindres, se laissèrent même aller à prophétiser qu’il ne demeurait plus rien entre ce dernier… et l’UMP ! C’est, par exemple, sous la plume d’Olivier Besancenot et Daniel Bensaïd que l’on put un jour lire : ”« Il y a d’un côté tous ceux, Sarkozy en tête, qui prétendent aujourd’hui ¨refonder¨, ¨réinventer¨, ¨moraliser¨ le capitalisme. Et de l’autre côté, il y a ceux – nous – qui affirment que la crise est le résultat logique du capitalisme… »” (in ”Prendre parti, pour un socialisme du XXI° siècle”, éditions Mille-et-une nuits). On aura, de cette manière, justifié le peu d’importance accordé au clivage droite-gauche qui détermine toujours le comportement de millions de citoyens, l’indifférence totale aux réorganisations en gestation à gauche, et le refus ”a priori” de toute unité avec les secteurs à la recherche d’une alternative de rupture.
Troisième faute. Sur la base de ces postulats un tantinet hallucinés, on aura conçu un « nouveau parti » se désignant lui-même, en dépit de sa très faible consistance programmatique et idéologique, comme l’unique garant des intérêts du monde du travail. Cette prétention aura été très sérieusement établie par Besancenot et Bensaïd, alors que le NPA était encore dans les limbes de son processus constituant : ”« Une minorité dicte aujourd’hui sa loi à la société. En France, elle a un syndicat pour défendre ses intérêts sociaux, le Medef, et un parti politique pour porter son programme, l’UMP. Avec le NPA, il existe désormais un formation qui porte un programme et des propositions défendant jusqu’au bout les intérêts de la majorité. »” Tout simplement !
Quatrième faute. En allant au bout de cette logique, et en n’envisageant la question du pouvoir que dans le contexte d’une grève générale insurrectionnelle (ce qui n’était toutefois qu’implicite dans la charte adoptée au congrès fondateur mais s’exprimait fréquemment par l’emprunt à Rosa Luxemburg qu’il fallait prendre le pouvoir ”« par en bas »” et non ”« par en haut »”), on aura réuni les conditions de la crise existentielle n’ayant pas manqué de venir très vite percuter la toute neuve structure. Avec pour constante de refuser toute initiative à même de faire bouger les lignes au sein de la gauche politique et sociale (seul comportement de nature à ouvrir l’horizon d’une majorité et d’un gouvernement rompant avec l’ordre libéral et capitaliste), le NPA aura, selon les circonstances, oscillé entre une posture de super-syndicat – le ”« camarade Olivier »” étant appelé, par certains de ses proches, à devenir un ”« super délégué syndical »” – dénonçant les trahisons des grandes confédérations, et l’attitude classique d’une force d’extrême gauche réduisant sa mission aux incantations révolutionnaristes.
Cinquième faute. On aura, en contradiction d’ailleurs avec les diatribes officielles contre le « casting » auquel se réduit désormais le scrutin présidentiel français, conçu la nouvelle formation comme un parti de la V° République. Un parti reposant à ce point sur l’impact médiatique de sa figure de proue, que ses dirigeants auront fini par s’aveugler sur la réalité de leur enracinement et de leur influence dans la société française. Comment ignorer, qu’à l’origine de l’hostilité affichée à l’endroit d’un Front de gauche à peine émergent en 2009, résidait la certitude, nourrie par une croyance naïve en la véracité des sondages, que la popularité d’Olivier Besancenot ferait, à elle seule, la différence…
Last but not least, la dernière faute aura consisté à lancer le NPA en affichant, d’un même mouvement, la volonté de se débarrasser du passé trotskyste et le rejet de la moindre discussion avec des courants organisés. Là où l’ex-LCR postulait à faire émerger une nouvelle force qui serait le produit de reclassements et d’alliances à l’intérieur de la gauche et du mouvement populaire, les concepteurs de la démarche se voulait, eux, porteurs d’une option radicale : ”« Nous avons renoncé à nous échiner en vain à recoller les morceaux radicaux du vieux mouvement ouvrier »” (Besancenot et Bensaïd, ”op cit”). De sorte que, par l’effet mécanique d’une théorisation assez perverse, les cadres de l’ex-LCR se retrouvèrent la seule colonne vertébrale d’un parti prétendant incarner une synthèse audacieuse. Et que, la représentation des points de vue divergents ayant été soigneusement amoindrie dans la direction (j’en fus l’une des victimes, avec les principales figures du courant Unir de la Ligue), le seul noyau majoritaire de l’unique courant d’importance nationale présent dans le parti put s’octroyer les moyens d’en verrouiller la vie interne.
SE TOURNER VERS L’AVENIR
À l’arrivée, que de gâchis ! Que de frustrations ! Que d’aigreurs et de colère rentrée ! Le NPA ne sera pas l’artisan de ce renouveau générationnel et social du paysage à gauche pour lequel tant de militants s’étaient investis. Beaucoup de ceux qui en partent, ou qui l’avaient déjà quitté, attribuent cet échec à ce qu’ils croient être la manipulation orchestrée par l’ex-LCR. J’ai, tout au long de cette chronique, tenté de montrer qu’il n’en était rien, que le vice originel de cette opération fut, précisément, d’avoir voulu tourner le dos au projet porté par la Ligue depuis 1991, celui d’un parti large émanant de la réalité des recompositions et recherches à gauche.
Que chacun relise, d’ailleurs, le manifeste fondateur de notre Gauche unitaire, ”Ensemble pour changer de gauche”, et il y trouvera la référence à cette approche fondamentalement différente de celle qui présida à la proclamation brouillonne du NPA : ”« Le Nouveau Parti anticapitaliste aurait pu être un levier précieux. Il lui fallait cependant se construire comme une étape vers la réorganisation indispensable de la gauche et du mouvement ouvrier, un moyen de faire bouger les lignes au sein de ces derniers et d’ouvrir le débat sur l’avenir, un levier pour engager un vaste débat à gauche, un premier pas et non une fin en soi. Au lieu de cela, sa majorité de direction l’a entraîné dans l’ornière consistant à se présenter comme l’unique réponse à la crise d’alternative à gauche, l’instrument censé aider ¨ceux d’en bas¨, et eux seuls, à se ¨représenter eux-mêmes¨. Jusqu’au refus obstiné de s’engager dans la constitution du Front de gauche pour les élections européennes de 2009… »” À l’époque, sans doute emportés par un volontarisme compréhensible, beaucoup ne voulurent pas entendre ces mises en garde…
À dire vrai, avoir eu raison ne procure aucun plaisir particulier. Une seule chose m’importe vraiment : que cette nouvelle impasse n’engendre pas de découragement supplémentaire. Le moment est par trop important. Lorsque l’histoire s’accélère, lorsqu’elle ouvre de nouveaux possibles mais voit en même temps s’accumuler de lourds nuages à l’horizon, lorsque la gauche ici et ailleurs joue son avenir, ce serait pure folie que de jeter l’éponge. Raison pour laquelle, je ne discuterai même pas l’idée émise par Besancenot d’une candidature issue du mouvement social pour 2012. Qui ne voit que, comme lors des dernières régionales, il s’agit d’un leurre destiné à justifier, dans quelques mois, la présentation d’une candidature portée par le seul NPA ? Ladite candidature risquant, une fois encore, de détourner des forces et des engagements militants du seul objectif qui compte à présent : la refondation de la gauche, afin d’en changer le centre de gravité, d’offrir un débouché majoritaire à la colère sociale, de battre la droite sur le fond et dans la durée.
Chacun et chacune peut en dresser le constat, le Front de gauche est le seul instrument qui puisse nous faire avancer vers l’objectif. En ce sens, à toutes celles et tous ceux qui, au lendemain du congrès du NPA, se montreraient enclins à la tristesse et au repli, je veux dire que leurs espoirs et leurs attentes s’incarnent maintenant dans ce qu’ont entrepris de bâtir le Parti communiste, le Parti de gauche et Gauche unitaire. Que, dans la foulée de son travail d’élaboration d’une « plate-forme partagée », il va appartenir à ce Front de gauche de devenir une vraie force militante, ouverte à de nouveaux apports qui partageront ses objectifs programmatiques et sa visée stratégique, enracinée sur le terrain grâce à des collectifs comme il s’en constitue déjà dans de nombreux départements et localités. Que leur place est, par conséquent, avec nous. Dans cette tentative qui est parvenu, en deux ans, à surmonter tous les obstacles qui se présentaient devant elle. Parce qu’elle avait su faire du rassemblement sa raison d’être…