Fragments de campagne
Les amis, il se passe manifestement quelque chose, dans les profondeurs du pays et de la gauche… Quelque chose que les commentateurs médiatisés, l’œil rivé sur des sondages totalement inaptes à cerner une situation se caractérisant par son extrême volatilité, ne peuvent manifestement pas saisir… Mais que l’on perçoit, intuitivement, sur le terrain, au contact des équipes militantes qui labourent avec énergie le terrain de ces cantonales dont le premier tour interviendra dimanche. Attention ! Je ne me hasarderai pas au moindre pronostic quant au résultat électoral. La conjoncture est bien trop mouvante, faite d’exaspérations et de désorientations, d’une immense attente qu’une réponse crédible soit enfin apportée au total désastre sur lequel débouche l’action de Nicolas Sarkozy et de peurs mêlées pouvant conduire aux replis ou aux comportements irrationnels. D’un profond désarroi aussi, au vu de la manière stupéfiante dont se comporte la composante majoritaire de la gauche, qu’aura reflétée ce documentaire de Canal Plus, diffusé à une heure de grande écoute, dimanche dernier, où l’on entend le favori des sondages, présentement directeur général du Fonds monétaire international, expliquer que les Grecs se sont mis ”« dans la merde »” de leur faute…
Il n’empêche ! Dans un monde dont l’ordre, façonné par le nouvel âge dans lequel est entré le système capitaliste à la fin du siècle dernier, se fissure de toutes parts, la France paraît elle-même en proie à un grand basculement. Rien qui ressemble, en tout cas, à ce que je lis sous la plume des éditorialistes ou à ce que j’entends dans la bouche des sondeurs qui, à l’unisson, nous dépeignent un pays en état d’apesanteur, si incertain et désabusé qu’il se désintéresserait des enjeux du présent scrutin des cantonales, sauf éventuellement pour ce qui a trait à ses dimensions locales. À suivre ces raisonnements, on comprend que, au sommet de l’État, on estime habile d’orchestrer les plus nauséabondes opérations idéologiques, dans le but de retenir ces électeurs sarkozystes de 2007 en train de faire mouvement vers le Front national. Ou encore d’entretenir les angoisses, au moyen de cette guerre à la Libye que notre monarque élyséen paraît si heureux d’être sur le point de déclencher. De mon point de vue, ils se trompent lourdement, entièrement coupés qu’ils se trouvent d’une réalité, certes complexe, mais où tout demeure ouvert.
Sur quoi ladite réalité débouchera-t-elle ? C’est tout l’enjeu de la période qui s’ouvre. Et c’est précisément ce qui requiert une gauche en ordre de bataille. De ce que j’ai pu observer, aux quatre coins du pays, de la campagne du Front de gauche, je retire une série d’impressions et de conclusions parcellaires que je voudrais, par cette note, vous faire partager.
LA FORCE DU NOMBRE
En premier lieu, je veux souligner que, tout au long de ces dernières semaines, nous aurons rempli les salles plus qu’aucune autre force politique n’aura été en mesure de le faire. Le plus important succès aura, de ce point de vue, été réalisé à Toulouse, le 16 mars, avec 1200 participants dans ce haut lieu de la vie locale qu’est la Halle aux Grains. Ailleurs, quoique moins spectaculaire, l’affluence aura, dans l’ensemble été assez exceptionnelle, y compris pour les familles que nous représentons dans le Front de gauche, dans le cadre d’élections cantonales, des 600 présents au meeting de Ronchin (Nord), le 9 février (où Marie-George Buffet, Jean-Luc Mélenchon et moi-même avions fait le déplacement et qui ouvrait, en quelque sorte, nos tournées nationales respectives), aux 500 de Clermont-Ferrand, ce 17 mars (avec André Chassaigne et Éric Coquerel), en passant par les 500 de Nancy le 8 mars ou les centaines de l’Ardèche ou de la Manche et ainsi de suite. Des chiffres dont il ne faut pas retrancher l’affluence impressionnante des forums du « programme partagé » auxquels je me serai rendu, avec mes complice Pierre et Jean-Luc, à commencer par celui de Marseille sur le travail et celui de Nîmes sur l’Europe.
Il est vrai que, presque partout où je serai passé, nous étions les seuls à mener campagne, les autres candidats se contentant soit de postuler à leur reconduction lorsqu’ils étaient sortants (cas de nombreux socialistes), soit de surfer sur l’écho médiatique de leur championne (les représentants du Front national), certains allant même jusqu’à effacer purement et simplement de leur matériel toute trace de leur appartenance au parti présidentiel…
Bien sûr, on me dira que des meetings réussis ne font pas mécaniquement une moisson de bulletins de vote. J’en conviens volontiers, à ceci près que la mobilisation militante s’avère toujours la précondition d’une campagne conquérante en direction des électeurs. Sans doute me dira-t-on également qu’aucun de ces rassemblements ne fut empreint de cet enthousiasme communicatif qui marquait les rendes-vous de 2009 et 2010. C’est vrai, mais j’y vois, pour ma part, moins un objet de réelle inquiétude, qu’un signe de la conscience qui se fait jour que nous vivons un moment d’une exceptionnelle gravité. Autrement dit, un signe de politisation et de gravité…
LA DYNAMIQUE DE L’UNITÉ
Le plus notable est, à mes yeux du moins, que la dynamique de notre rassemblement se soit encore renforcée et même… élargie à la base. D’innombrables petits faits finissent ainsi par manifester une tendance générale bien plus forte que les anicroches auxquelles donne inévitablement lieu ce type de consultation électorale, aux enjeux nationaux et locaux très imbriqués.
J’en veux pour exemple qu’à Cherbourg, les trois composantes du Front de gauche départemental n’auront pas mis longtemps à s’entendre, en pleine tragédie nucléaire japonaise, sur une position commune reprenant l’exigence d’un vaste débat citoyen couplé à la revendication du retour du secteur de l’énergie dans le service public (dans la continuité de la plate-forme des collectifs antilibéraux issus de la bataille du « non » de gauche de 2005). Ou encore que, dans l’Allier, à Montluçon, avec Marie-Pierre Vieu nous ayons dû, à l’issue de la rencontre à laquelle nous participions, répondre aux sollicitations de nos amis respectifs pour dédicacer à la chaîne, une bonne demi-heure durant, notre bouquin commun (indice de l’intérêt suscité par cette confrontation croisée – et inédite – de nos deux traditions et de nos deux histoires personnelles). Qu’à Nancy, un conseiller général sortant socialiste ait tenu à venir expliquer à l’assistance la raison pour laquelle il était cette fois pour lui indispensable de porter les couleurs du Front de gauche. Qu’à Toulouse, le groupe de militants venant de quitter le Nouveau Parti anticapitaliste ait délégué l’un des siens pour exposer son désir de s’inscrire désormais dans la construction que nous avons commencé à dessiner. Qu’à Clermont-Ferrand, de jeunes socialistes soient venus nous écouter, tandis que, parmi les candidats de notre rassemblement, se trouve une figure locale d’AlterEkolo.
Je pourrais multiplier ici les anecdotes, les innombrables rencontres avec des socialistes estimant l’heure venue de réhabiliter une véritable perspective de gauche, les apartés avec des amis ou sympathisants du NPA atterrés devant l’impasse où s’enfonce le parti dont ils avaient tant espéré, les dialogues avec ces syndicalistes m’exhortant à ouvrir notre construction unitaire à l’expérience qu’ils peuvent apporter… Je ne veux, à cet instant, retenir que le sentiment que le besoin de se rassembler abat progressivement tous les obstacles qui se dressaient encore devant lui (du fait d’histoires souvent douloureuses et conflictuelles). Qu’il se propage à de nouvelles cultures, donnant plus de pertinence encore à la nécessité de porter la bataille de la refondation au cœur de la gauche. Que c’est son efficacité même qui plaide pour la solidification et l’élargissement de l’expérience commune…
LE MANDAT QUE NOUS DÉLIVRE CETTE CAMPAGNE
À l’instant où j’achève cette sorte de « carnet de campagne », les dés sont pratiquement jetés. Nos amis, nos camarades auront mis toutes leurs forces pour convaincre, arracher de nouveaux suffrages, sortir des citoyens découragés de la tentation de l’abstention, en détourner d’autres de ce choix de la désespérance que représente le bulletin Front national. Dans vingt-quatre heures, le verdict des urnes nous dira si nous avons réussi le pari de l’augmentation de notre capital électoral de départ, voire (comme un sondage, au moins, en a esquissé l’hypothèse) du franchissement de la barre symbolique des 10%.
Quoi qu’il en aille, nous aurons mené un beau et noble combat : pour une gauche en situation de débarrasser durablement le pays d’une droite cynique, arrogante et provocatrice ; pour faire refluer une extrême droite qui croit voir l’horizon s’ouvrir devant elle ; pour faire exister, dans les conseils généraux, des groupes portant l’objectif de la confrontation sans concession avec la politique mise en œuvre au somme de l’État et de la mise en pratique d’alternatives concrètes à celle-ci ; pour réveiller l’espoir et susciter, chez les nôtres, ces travailleurs et travailleuses du rang, dont les ”« fins de mois sonnent clair »”, comme le chantait si bien Jean Ferrat disparu voilà un an, l’envie impérieuse de redevenir les acteurs de leur destin ; pour redonner, en résumé, ses lettres de noblesse à la politique.
La suite va consister à achever, d’ici la fin du mois, comme nous nous y sommes engagés, notre programme et la définition de notre démarche stratégique pour la prochaine période. Elle va nous amener à finaliser notre dispositif pour 2012, armés de la conviction qu’aura, j’en suis intimement convaincu, ancrée chez toutes nos équipes militantes, cette campagne des cantonales : nous n’avons pas le droit de décevoir l’espoir que nous avons commencé à faire naître…