Le NPA après le retrait de Besancenot
J’ai pris, la semaine passée, quelques jours de repos durant lesquels, vous l’avez constaté, j’ai déserté mon blog… Puis je suis reparti sur les chapeaux de roue, enchaînant rendez-vous et initiatives, de la participation à la manifestation parisienne du Premier Mai au grand meeting du Parti de la gauche européenne contre le « Pacte pour l’euro plus », le 3 mai, en passant par le forum organisé la veille sur la culture dans le cadre du processus du « programme partagé »… Lors de chacune de ces échéances, j’aurai retrouvé mes désormais deux complices : Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon. Au fil de nos activités respectives, nous commençons à sentir que les rythmes politiques ne cessent maintenant de s’accélérer. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai tant tardé à reprendre la plume…
Au moment de renouer le fil de mes notes, comment ne pas m’arrêter sur la décision d’Olivier Besancenot, révélée ce 5 mai, de ne pas se mettre sur les rangs de la compétition présidentielle de 2012, au titre du Nouveau Parti anticapitaliste ? Une annonce dont les militants auront pris connaissance par une lettre où leur ex-porte-parole (il avait officiellement renoncé à cette fonction après le dernier congrès du NPA) revient sur l’un des principaux points faibles du rôle qu’il assumait, vaille que vaille, depuis 2002 : ”« Il y a quelques années déjà, j’avais clairement prévenu que je ne comptais pas prendre un abonnement à l’élection présidentielle, parce que je n’aspirais pas à en être l’éternel candidat d’extrême gauche. Depuis de nombreux mois, je fais aussi partie de ceux qui mettent en garde notre parti contre les risques politiques de la personnalisation à outrance. Que les idées s’incarnent ponctuellement dans un contexte social et politique déterminé, ou qu’il faille déléguer la tâche militante de la représentation publique, par un mandat précis et limité dans le temps, est une chose. Jouer des ambiguïtés du système politique et médiatique pour se substituer à l’action militante réelle au sein de la lutte de classe, en est une autre. »”
On doit, naturellement se garder de toute polémique mal placée face au choix de l’homme et du militant. Dans sa missive, il avoue la charge accablante que peut faire peser, sur un individu n’ayant pas nécessairement toutes les capacités de l’assumer, la responsabilité de porter le destin d’un parti et de sa visée. Mais l’aveu de cette fragilité personnelle résonne également comme la prise de conscience tardive d’un choix effectué, sans la moindre maîtrise collective, par la majorité de la direction de la LCR, puis par celle du NPA : celui qui aura consisté à se plier à la personnalisation outrancière de la vie publique, telle que l’orchestrent désormais les institutions de la V° République, au prix du décalage croissant entre l’influence d’une figure hyper-médiatisée et la représentativité véritable de sa formation, sur le terrain et à l’épreuve du suffrage universel. Dans les derniers temps de la LCR, à l’occasion notamment d’un mémorable passage d’« OB » sur le canapé rouge de Michel Drucker, nous avions été quelques-uns à mettre en garde nos camarades d’alors sur l’illusion potentiellement dévastatrice que ce décalage pouvait entretenir. De fait, elle fut à la source de l’interminable suite d’erreurs commises ces dernières années, justifiant la posture de splendide isolement du NPA au nom de la popularité dont les sondages créditaient le postier portant ses couleurs.
L’ÉCHEC D’UN PARI AVENTURISTE
Au-delà de cet aspect des choses, certes non négligeable, on ne peut toutefois ignorer la dimension proprement politique de l’échec auquel la lettre semble vouloir mettre un point final. Lorsqu’il dit ne pas vouloir ”« être l’éternel candidat d’extrême gauche »”, ou que, quelques lignes auparavant, il revendique ”« la possibilité, pour le NPA, de se lancer sur de nouvelles bases, conformes au projet d’émancipation qui, plus que jamais, m’anime »”, Besancenot renvoie, au fond, ses lecteurs à la vacuité du pari qu’il avait lui-même fait en poussant à la création d’un nouveau parti, sur les ruines d’une LCR aux acquis liquidés sans autre forme de procès.
Précisément, à l’inverse d’une LCR qui avait, tout au long de ses quarante années d’existence, manifesté une extrême attention aux confrontations traversant l’ensemble de la gauche et du mouvement ouvrier, le NPA prétendit d’emblée qu’une social-libéralisation irréversible déferlait sur l’ensemble du camp progressiste et que cela lui conférait le devoir historique de représenter, dorénavant seul, les intérêts des classes populaires. Aussi, ses dirigeants décrétèrent-ils que leur cœur de cible se situait ”« hors du centre de gravité du mouvement ouvrier organisé »” et que leur isolement à gauche était en quelque sorte le prix à payer pour la pureté révolutionnaire qu’ils proclamaient fièrement… sans d’ailleurs s’atteler à en fournir une définition un tant soit peu rigoureuse.
De sorte que, à peine né, le NPA s’illustra par sa constante dénonciation du reste de la gauche, par le procès véhément de la trahison guettant le Front de gauche, par le refus du moindre cadre d’alliance, eût-il été ponctuel, avec ce dernier, en vertu de l’impossibilité de s’entendre avec… de potentiels futurs partenaires du Parti socialiste. Porté sur les fonts baptismaux au nom de la haute ambition de dépasser le périmètre d’action de feue la Ligue, le Nouveau Parti anticapitaliste se montra, ce faisant, incapable de sortir de l’espace étroit de « l’extrême gauche » (ce que traduit implicitement la phrase citée précédemment de la lettre de Besancenot), comme de la version la plus caricaturale de la culture identifiant généralement cette dernière. Un trait qui aura été d’autant plus accentué que des secteurs militants, un temps attirés par la possibilité d’un renouveau de la gauche, ne tardèrent pas à s’éloigner, tandis que la colonne vertébrale du NPA se réduisait progressivement à ce qu’il demeurait du noyau majoritaire de l’ex-LCR.
Ces errements ne pouvaient, au final, que générer les interrogations sur l’utilité même de la nouvelle construction partidaire. Avec, à la clé, les deux échecs cinglants que consacrèrent les élections européennes et régionales de 2009 et 2010, la quasi-inexistence au dernier scrutin des cantonales (en dehors des cas où des structures locales s’étaient affranchies de la ligne officielle pour passer alliance avec le Front de gauche), une saignée des effectifs ramenant le NPA à l’étiage militant de la Ligue communiste (cohérence du projet en moins…), la division paroxystique du congrès de février dernier débouchant sur l’absence de majorité et de ligne d’action.
LA QUESTION POSÉE D’UN TOURNANT RADICAL
En politique, les échecs ne signent pas mécaniquement une disparition. Du moins si l’on sait en tirer jusqu’au bout les leçons, afin d’opérer à temps les réorientations indispensables pour éviter une marginalisation mortelle. J’ai, pour ma part, le souvenir du désastre qu’avait représenté, pour la Ligue, son alliance avec Lutte ouvrière aux élections régionale et européennes de 2004. Sanctionnée électoralement au point d’avoir vu le tandem Laguiller-Besancenot obtenir moins de 3% en Île-de-France, sorti exsangue financièrement de l’aventure, étrillée sur le plan moral, l’organisation s’était pourtant révélée capable (sur la proposition de la minorité dont j’étais alors) de rebondir, en renouant les liens distendus avec ses partenaires pour lancer ce qui devint ensuite la campagne du « non » de gauche au traité constitutionnel européen.
La direction du NPA en aura-t-elle l’énergie et la volonté ? Telle est, présentement, la seule question digne d’intérêt. D’évidence, Olivier Besancenot n’entend pas participer d’un tel ”aggiornamento”. Il écrit, dans son courrier à ses camarades : ”« Cela signifie qu’ici et maintenant, nous appelons, sans relâche et en conscience, tous les anonymes à s’approprier leur destinée. Voilà pourquoi nous exaltons systématiquement les classes populaires à faire irruption sur la scène politique en brisant les enceintes dressées par les politiciens dans le but de nous tenir à distance de l’arène, là où se jouent nos vies. Partout où nous intervenons, nous portons ce message original et subversif : dans les quartiers populaires, les entreprises, les lycées, les facs, sur les marchés, dans les manifs, pendant les élections. Ce message tout terrain qui est la marque de fabrique de notre parti, nous ne devons pas le ternir au nom d’un quelconque ¨réflexe¨ électoral. »”
Parlons sans diplomatie. Cette approche reproduit une conception profondément erronée du combat révolutionnaire : au nom des promesses du lendemain, on se détourne des enjeux magistraux du moment présent et de l’impérative nécessité de défendre, devant le suffrage universel et en lien étroit avec les mobilisations sociales, une solution crédible de pouvoir. Qu’importe si, ici et maintenant, le peuple aspire à se débarrasser d’un Nicolas Sarkozy qui lui a porté tant de mauvais coups en quatre ans et s’il importe, plus que jamais, de faire émerger une perspective de majorité et de gouvernement permettant qu’une authentique politique de gauche pût enfin être conduite à la tête du pays…
Le Nouveau Parti anticapitaliste tout entier, ses militants autant que ses courants, se retrouvent devant des décisions cruciales pour leur avenir. Depuis deux ans, le Front de gauche n’a cessé de leur tendre la main, mû par la méthode et la stratégie qui, à l’inverse de celles qui paraissent toujours avoir les faveurs de Besancenot, ont fait leurs preuves (y compris au travers de la progression de ses résultats électoraux) : la méthode du rassemblement de celles et ceux qui veulent rompre avec un ordre capitaliste et productiviste générateur de désastres pour l’humanité ; la stratégie de la conquête d’une majorité populaire en portant la bataille des choix d’orientation au cœur de la gauche. Ensemble, ses trois composantes viennent de rééditer leur offre d’union, sur la base d’un programme audacieux (dont chacun s’accorde à dire qu’il ne devrait pas être très difficile d’en définir les arêtes) et d’une stratégie tournant le dos à tous les tropismes minorisants, lors d’une rencontre avec une large délégation du NPA, le 4 mai.
Pour quelque formation que ce fût, il n’y a de fatalité à l’échec et à la déroute. Pourvu que la lucidité soit au rendez-vous et qu’elle éclaire le chemin qui ramène à la réalité des attentes des classes populaires.Un dialogue intense doit à présent s’instaurer entre le Front de gauche et les militants du NPA…