Réflexion à chaud sur “l’affaire” Strauss-Kahn

Je me préparais à mettre en ligne ma nouvelle note sur le bilan du 10 mai 1981, lorsqu’a éclaté « l’affaire ». Ma première réaction, comme celle de la plupart des hommes et des femmes de gauche de ce pays, aura été de prendre avec l’événement la distance qui s’impose. L’acte imputé à « DSK », qu’il fût déclaré innocent ou coupable, scelle peut-être son avenir personnel. Mais, à l’inverse de ce que la mobilisation de nos grands organes audiovisuels pourrait laisser croire, et quoiqu’il concernât une personnalité de premier plan, il relève d’une affaire privée dont la justice est sans doute la seule à même de dénouer les fils embrouillés. Et puis, la bulle médiatique ne cessant de gonfler, il m’aura bien fallu réfléchir à l’attitude qu’un responsable politique se devait d’adopter… Même s’il n’est nullement strauss-kahnien… Même s’il ne compte pas au nombre des sympathisants du Parti socialiste… Tout simplement parce que la gauche tout entière sort interpellée d’un dimanche plombé par le tour sordide qu’aura soudainement pris l’actualité…

C’est d’ailleurs ce en quoi ma réflexion rejoint mes notes précédentes. Elles s’efforçaient de traiter d’une crise impossible à interpréter sans opérer un retour sérieux sur les dérives dans lesquelles les septennats de François Mitterrand auront plongé notre camp. De ce point de vue, nous y sommes comme jamais. Et force nous est, à la lumière glauque de la procédure judiciaire engagée par l’État de New York contre le directeur général du Fonds monétaire international, de soulever des questions ignorées de la plupart des commentateurs qui se seront succédé sur nos écrans : est-il normal que la vie démocratique de tout un pays fût à ce point bouleversée par une affaire de cette nature ? Est-il dans l’ordre des choses que l’issue d’une confrontation électorale essentielle, celle de l’an prochain, pût dépendre du sort d’un personnage dont officiellement nul ne savait encore s’il se porterait candidat contre Nicolas Sarkozy ? Est-il pensable que l’avenir de la gauche se trouvât si dépendante de ce que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de ”« séisme politique »” ?

DE GLISSEMENTS EN GLISSEMENTS…

C’est, d’évidence, sur les socialistes que ces interrogations pèsent d’abord. La fascination de leurs responsables pour les sondages, leur obnubilation des indices de popularité établis par les enquêtes d’opinion sur des critères ignorés du plus grand nombre d’entre nous, le peu de cas qu’ils accordent au rapport intime que certains d’entre eux entretiennent désormais avec l’argent et la haute finance au prix d’un comportement des plus cyniques, auront fini par vider de leur substance la délibération et la réflexion collectives du corps militant. Comme en 2006, c’est sur l’unique critère de la sympathie attribuée à chacun des prétendants que l’investiture socialiste semblait devoir se trancher. Non en fonction d’une confrontation transparente entre lignes d’action claires ou programmes aux arêtes précisément définies… Cette manière d’appréhender le combat politique révèle, une fois encore, toute sa fragilité : à la moindre secousse imprévue, c’est le verdict des urnes lui-même qui peut s’en trouver brouillé. Autrement dit, peut-être cette fois au profit de Monsieur Sarkozy, ou pire encore de Madame Le Pen, c’est à l’expression de la souveraineté populaire qu’il est ainsi porté atteinte.

Couronnant un glissement que chaque élection présidentielle vient accentuer, les « primaires » socialistes – on pourrait, à dire vrai, en dire autant de leurs semblables écologistes – ne font que pousser à leur paroxysme la logique, de plus en plus présidentialisée et personnalisée au fil du temps, des institutions de la V° République. Loin de représenter un progrès de la démocratie, elles concourent à une dépolitisation phénoménale des enjeux, à l’asphyxie des débats, à l’hypertrophie du pouvoir de communicants s’inscrivant dans l’univers opaque de l’oligarchie financière mondialisée (les derniers jours sont venus nous apporter leur lot de révélations sur l’influence tentaculaire d’un grand groupe de communication dans l’entourage de « DSK », que ce soit pour « l’éclairer » dans le cadre de ses activités au FMI ou pour préparer son retour sur le champ de bataille français), donc à la coupure grandissante entre les citoyens et la vie publique.

Formellement, Lionel Jospin n’eut pas à se soumettre à des « primaires », mais sa désignation comme compétiteur de Jacques Chirac dut moins à la vision d’avenir qu’il proposait au pays qu’à son bilan de Premier ministre, qu’il pensait suffisant pour lui permettre de l’emporter. Ségolène Royal triompha de ses concurrents pour l’unique raison que les sondages lui donnaient la victoire acquise. Quant à Strauss-Kahn, ses promesses de succès lui venaient essentiellement des compétences qu’on lui décrivait complaisamment dans la gestion des relations économiques internationales. Au final, pour aucun de ces postulants, les résultats escomptés n’auront été au rendez-vous.

SURSAUT COLLECTIF NÉCESSAIRE

La politique sait toujours rappeler ses lois : lorsque l’on se revendique de la gauche, singer l’adversaire et son mépris de la délibération publique se révèle le plus souvent mortel. Croire que l’on peut tordre à son bénéfice les mécanismes ultradélégataires du présidentialisme revient à s’aveugler soi-même. Postuler à la victoire, c’est retrouver le chemin du peuple et lui proposer un projet dans lequel il peut trouver le ressort de devenir acteur de son destin.

Je l’ai dit, je ne me réjouis nullement de ce qui vient d’arriver à Dominique Strauss-Kahn, car l’on a tout à redouter des effets possibles de la judiciarisation du climat politique. Cela dit, la soudaine bifurcation de la pré-campagne présidentielle pourrait devenir une chance, si elle s’accompagnait d’une prise de conscience collective. Si la course délétère aux « primaires » se poursuit, ressemblant autant qu’aujourd’hui à un concours de beauté dont les classes populaires resteront inévitablement spectatrices, on peut tout redouter de l’année qui vient.

Rien n’est toutefois joué. Si s’ouvre à gauche un vaste débat où programmes et propositions puissent se confronter à l’occasion d’innombrables assemblées de terrain… Si, à l’occasion de ce processus, se rassemblent toutes celles et tous ceux qui ont à cœur que la gauche redevienne la gauche, c’est-à-dire qu’elle cesse de se dérober à l’affrontement avec les intérêts dominants pour se nourrir de l’implication populaire… Alors, tout peut changer et le grand vent de l’espoir du changement politique et social se lever. En commençant à travailler publiquement son « programme partagé », le Front de gauche a ouvert une porte…

Christian_Picquet

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