La véritable urgence

Je m’étais promis de ne pas ajouter un mot à ma note précédente. Il se trouve cependant que des journalistes ne cessent d’interroger les responsables politiques sur ce qui est devenu « l’affaire DSK ». Il me faut dès lors redire, en guise de point final, que je ne peux formuler le moindre commentaire sur un dossier dont je ne connais rigoureusement rien, tout comme d’ailleurs celles et ceux qui se précipitent actuellement sur les plateaux de télévision, attirés par un besoin irrépressible de lumière cathodique. Mon opposition à Dominique Strauss-Kahn porte sur la politique qu’il applique à la tête du Fonds monétaire international et dont je n’eus pas voulu qu’il la porte, s’il avait été investi par le Parti socialiste en vue de la compétition présidentielle, dans le débat hexagonal en se prévalant de la gauche. Pour le reste, l’homme se trouve présentement sous le coup d’une procédure diligenté contre lui pour des actes de nature criminelle. Quoi que l’on pense de ses méthodes expéditives, c’est devant la justice américaine que la lumière doit être faite et que le justiciable qu’est devenu le directeur général du Fonds monétaire international doit faire valoir ses arguments. C’est en ce sens qu’il n’appartient pas au « monde politique » de porter un jugement sur les faits, et qu’il ne lui est permis, du moins est-ce ainsi que je juge bon de régler mon propre comportement, que de s’exprimer sur l’effet de souffle que ces événements provoquent dans la vie publique française.

Il me faut néanmoins ajouter une considération à ces lignes. Depuis dimanche, je suis littéralement exaspéré par certains comportements. D’aucuns viennent prendre le pays à témoin sur la « présomption d’innocence », ce qui serait de bon aloi s’il ne s’agissait avant tout, pour eux, de se présenter en témoins de moralité. D’autres, à droite évidemment, disent vouloir faire preuve de ”« retenue »”, mais c’est pour mieux répandre le discrédit sur une gauche qui se voit, insidieusement et tout entière, accusée de nuire au crédit de la France. De leur côté, certains des postulants à l’investiture socialiste se précipitent devant micros et caméras pour exprimer leur considération pour un concurrent jusque-là favori des sondages, mais ils peinent à dissimuler la joie mauvaise qu’ils éprouvent de le voir ainsi éliminé de la course à l’Élysée. Sans même parler des auteurs de ces propos inconvenants, qui s’indignent du sort réservé à ”« l’un des personnages les plus puissants de la planète »” (jusqu’à son envoi en détention à Rikers Island), alors qu’ils n’ont jamais songé à exprimer la moindre compassion pour d’autres justiciables – pauvres entre les pauvres, ceux-là – soumis aux mêmes traitements dégradants, et qu’ils négligent un peu facilement que, si les faits étaient avérés, c’est la femme ayant déposé plainte contre « DSK » qui pourrait être la victime.

Parlons clair. Pareil climat annonce de possibles catastrophes. Par le discrédit de la politique qu’il nourrit… Par l’encouragement qu’il donne aux pires réflexes dans la société française… Par la démoralisation qu’il provoque dans une large partie d’un peuple de gauche qui, peu ou prou, s’était préparée à se prononcer pour l’homme que l’univers des sondeurs et des communicants donnait déjà vainqueur en 2012… Il n’est, pour s’en convaincre, que de voir comment Madame Le Pen est immédiatement entrée en scène pour exploiter les événements de New York. À toutes celles et tous ceux qui, à gauche, veulent arrêter la machine à produire des défaites plus dévastatrices les unes que les autres, il appartient de prendre les moyens de relever la gauche. Non pour qu’elle assiste, plus ou moins désabusée, au recadrage forcé de ces primaires socialistes dont les mécanismes viennent, précisément, de se révéler délétères. Mais pour qu’elle renoue enfin avec le peuple ! Pour qu’elle cesse, par conséquent, de s’incliner encore et toujours devant le pouvoir de l’argent, jusqu’à voir certains de ses représentants autoproclamés, à l’instar de Dominique Strauss-Kahn, devenir les symboles ou les agents d’une oligarchie financière mondialisée ! Pour redonner ses lettres de noblesse à la politique, ce qui passe par la rupture avec un système institutionnel ayant conduit toute la vie politique d’un pays à devenir l’otage d’une affaire judiciaire glauque ! Pour s’affranchir de ces prétendues « contraintes internationales » qui placent l’ensemble du continent sous le coup des terribles politiques d’austérité exigées des marchés et du FMI, politiques qui prétendent barrer à jamais aux peuples la voie du bien-être ! Là est la véritable urgence…

Christian_Picquet

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