Une désignation ne fait pas une dynamique de rassemblement
La semaine qui s’achève fut celle… de François Hollande. Le triomphateur des « primaires » socialistes est célébré par les gazettes, primé par des sondages que l’intéressé n’eût sans doute pas imaginé dans ses rêves les plus fous, attaqué avec la dernière virulence par une droite qui ne fait ainsi que dévoiler sa situation d’extrême faiblesse. Ses partisans entrent en force dans les instances de la rue de Solferino, bousculant les lieutenants de Martine Aubry pour la gestion des dossiers les plus sensibles. Avant que le couronnement de l’ex-« impétrant » n’intervienne en grande pompe, ce samedi, dans un grand gymnase parisien.
On me demande souvent si je m’attriste ou, au contraire, si je me réjouis de l’issue du second tour de la consultation organisée par le PS. À dire vrai, je ne fais mienne aucune de ces attitudes… Pourquoi devrais-je être dans la déploration, alors que j’ai toujours considéré que cette consultation n’avait d’autre objet que de choisir la personnalité qui porterait, pour la présidentielle, les couleurs du Parti socialiste et des radicaux de gauche ? Au prix, je l’écrivais dans ma précédente chronique, d’une incontestable altération de la discussion de fond : quoique ses propos sur la « gauche molle » aient laissé affleurer l’une des dimensions de la compétition entre les deux finalistes, Martine Aubry aura mis un point d’honneur à répéter sur tous les tons que l’ensemble des candidats avaient souscris au même projet, celui que je ne considère pas précisément à la hauteur des circonstances exceptionnelles que traversent l’Europe et la France. Et pourquoi aurais-je dû afficher ma satisfaction, en délivrant au passage un message d’hostilité aux 43% d’électeurs ayant fait le choix de Martine Aubry, de la victoire de François Hollande qui, en dépit d’une modération assumée, n’élargira pas mécaniquement l’espace du Front de gauche ?
S’il me faut retenir quelque chose de cet événement à bien des égards sans précédent dans notre histoire politique, j’irai plutôt le chercher dans ce qu’il a révélé des attentes de la société française et du peuple de gauche. On peut bien me dire que ni la classe ouvrière, ni les quartiers populaires, ni la jeunesse ne se seront déplacés aux isoloirs, ce qui est incontestable. On ne pourra pour autant occulter que trois millions d’hommes et de femmes auront répondu à l’appel de ces « primaires », certains ou certaines ne se préparant pas nécessairement à mettre un bulletin socialiste dans l’urne du premier tour, l’an prochain. Ce qui traduit un désir de politique, une envie de démocratie et de participation active au débat public, une volonté trop longtemps contenue de chasser Nicolas Sarkozy du pouvoir, une implication citoyenne n’ayant d’autre objet que de conforter la gauche avant le choc décisif du printemps 2012. Sans nul doute, est-ce d’ailleurs ce dernier facteur qui aura donné à François Hollande son ample majorité de 57% des votants. Reste à savoir si, au-delà d’enquêtes d’opinion pour le moment flatteuses, le candidat investi répond à ces aspirations multiples.
NE PAS IGNORER LA RÉALITÉ DE LA GAUCHE
L’élu de Corrèze et ancien premier secrétaire du parti aura d’emblée choisi une posture « au centre » de l’échiquier politique : accent mis sur la réduction prioritaire des déficits publics, donc sur une austérité de gauche corrigeant aux marges celle que la droite nous a brutalement infligée ; obsession de la « crédibilité » gestionnaire (qui se confond manifestement, dans son esprit, avec l’acceptation des normes et contraintes édictées par les marchés financiers et les agences de notation à leur service) ; faible prise en compte des souffrances d’un peuple ayant vu saccager, ces dernières années, au nom du dogme libéral sur lequel s’est bâtie l’Union européenne, toutes ses protections sociales comme la souveraineté de ses décisions.
Voilà ce qui s’appelle ignorer superbement l’un des aspects les plus forts de ces « primaires ». Clairement, à travers le nombre des suffrages recueillis par Arnaud Montebourg ou, de manière plus diffuse, avec les votes s’étant portés sur Ségolène Royal, le premier tour de ces dernières aura traduit la demande d’une gauche plus ancrée à gauche que dans le passé et assumant l’affrontement avec les puissances d’argent. De même, bien que chargé de motivations fort diverses, avec l’abstention d’une bonne moitié des « montebourgeois » aussi bien qu’à travers une proportion non négligeable du score recueilli par Martine Aubry face à son concurrent, le second tour n’aura pas démenti cette inclinaison. Ce qui m’amène à un rappel qui se voudrait solennelle mise en garde. Depuis 2005 et l’irruption du « non » antilibéral au traité constitutionnel européen, traversant le Parti socialiste mais le dépassant aussi très largement, chaque rendez-vous politique et social a mis en évidence la même tendance lourde : dans ce pays, la majorité de la gauche ne communie pas dans un social-libéralisme ayant mené les peuples du continent à toutes les catastrophes imaginables, MM. Papandréou et Zapatero en portent encore les témoignages.
De ce point de vue, à s’imaginer que l’issue du scrutin cardinal de notre V° République se jouera du côté des électeurs du centre ou, comme il le dit lui-même, auprès de tous ceux qui ”« ne se sentent plus de droite »”, François Hollande court le risque majeur de se couper des exigences de ces centaines de milliers d’hommes et de femmes sans lesquels la victoire sur la droite sera difficilement atteignable et, surtout, sans lesquels elle risque de ne pas être durable. Dit d’une autre manière, l’intronisation d’un candidat ne fait ni un programme, ni une dynamique de rassemblement à même de faire renaître puis croître irrésistiblement un espoir mobilisateur à gauche.
LES ESPOIRS DU CAMP ADVERSE
Notez bien que le camp adverse ne s’y est pas trompé et il n’est pas sans intérêt, par les temps qui courent, de lire l’organe officieux de l’UMP, je veux parler du ”Figaro”. Dès le 17 octobre, M. du Limbert, plume du quotidien, relevait une faille dont il faut reconnaître qu’elle est béante : ”« Le vrai problème pour François Hollande sera de réunir toutes ces gauches qui se sont exprimées au cours de la primaire. La “gauche dure” de Martine Aubry, la gauche “démondialisatrice” d’Arnaud Montebourg, la gauche péremptoire de Jean-Luc Mélenchon, sans oublier bien sûr la gauche antinucléaire d’Eva Joly et, in fine, la “gauche molle”, c’est-à-dire la sienne. »” Quant au modérantisme vers lequel penche manifestement le courant « hollandais », il aura quasi inévitablement pour effet de pousser encore plus à droite le curseur des joutes hexagonales, ainsi que le note, ce vendredi, toujours dans le ”Figaro”, Ivan Rioufol, l’un des penseurs d’une « droite populaire » cheminant aux lisières du Front national : ”« Le résultat de la primaire lui offre” (à la droite, c’est moi qui précise)” l’occasion de quitter le marais centriste où elle s’est enlisée pour laisser les néosocialistes y établir l’étape obligée de leur aggiornamento.” (…) ”L’UMP ne trouvera sa base électorale qu’en accélérant sa mue vers l’authentique courant de droite qu’elle tarde à incarner : c’est-à-dire en devenant un parti ancré sur les réalités et les valeurs.” (…) ”Bref, la droite ne doit pas craindre d’être à droite si elle veut gagner contre la gauche light et contre le FN épicé. Une droite à la fois libérale, conservatrice et sociale doit pouvoir se rassembler et faire bloc pour répondre au nouveau progressisme marécageux, conformiste à l’excès dans l’inébranlable politiquement correct qui fait le bonheur des médias suiveurs. Ce néosocialisme en charentaises, qui veut accorder le droit de vote aux immigrés pour les scrutins locaux, ne sait plus s’adresser à la classe moyenne et populaire. Mais il gagnera par défaut si l’actuelle majorité ne réagit pas contre elle-même. »”
Passons sur la diatribe concernant le droit de vote des étrangers, qui a pour seul intérêt d’éclairer la campagne que vient de nous annoncer, sur cette thématique, le ministre des Transports, Thierry Mariani. Reconnaissons cependant la cohérence des propos. Loin d’être une martingale gagnante, un tropisme centriste des socialistes ne ferait qu’ouvrir un boulevard à une droite encore plus dangereuse ainsi qu’à l’extrême droite, dès lors qu’elle répandrait la confusion à l’intérieur de la gauche, qu’elle la diviserait et qu’elle s’éloignerait des préoccupations des classes travailleuses. À son échelle, Arnaud Montebourg nous fournit l’indication de ce possible affaiblissement des rangs progressistes. Il doit aujourd’hui s’expliquer, sur son blog, à propos de son soutien personnel à François Hollande au second tour des « primaires », qui a d’évidence déconcerté une grande partie de ses amis. ”« J’ai reçu,” écrit-il, ”beaucoup de messages de méchante désapprobation, d’accusation de trahison, et de noms d’oiseaux de toutes sortes de plumes. J’ai même lu que je me serais laissé corrompre par on ne sait quelle promesse de haute fonction… »” Significatif !
UN DÉBAT PLUS QUE JAMAIS NÉCESSAIRE
Tout ce qui précède me conforte dans le sentiment que les « primaires » ne sauraient clore un débat de fond… qui n’a même pas commencé. Elles se sont déroulées au prix d’une personnalisation réduite à l’aire d’influence socialiste et n’ont, pour cette raison, pas permis l’indispensable confrontation des projets et réponses existants à gauche. Ni la logique de présidentialisation dans laquelle nous enferment les institutions en place, ni celle du bipartisme où d’aucuns aimeraient manifestement cadenasser la vie publique, ni les mauvaises habitudes de négociations en coulisses de laborieux compromis programmatiques ou électoraux ne peuvent venir étouffer, au nom d’une prétendue efficacité, le besoin de démocratie et de participation citoyenne qui s’est fait jour ces dernières semaines.
D’autant que, comme nous étions nombreux à le prédire, l’Europe entre dans une nouvelle zone de tempêtes, balayée qu’elle se trouve par la spéculation financière, en proie à des politiques d’austérité responsables de souffrances inouïes pour les populations, menacée de ce fait d’une récession qui ne fera qu’alourdir le poids de la dette des États, placée devant un risque de chaos des pays soumis aux mêmes pillages que la Grèce, tétanisée par la menace d’un délitement de la zone euro.
Devant une telle montée des périls, l’heure est moins que jamais aux atermoiements, aux flous, aux demi-mesures. Elle est à une politique volontaire, qui ne se dérobe pas à l’affrontement avec l’oligarchie qui régente les affaires du monde. À la mise au pas des marchés financiers et des fonds d’investissement. À une reprise en main de l’économie par la nationalisation des grandes banques et par la création d’un pôle financier public. À une action prioritaire contre l’insécurité sociale, au moyen de la redistribution radicale des richesses. À l’engagement d’une grande politique de reconversion écologique À l’ouverture d’un autre horizon pour l’Europe, grâce à la sortie d’un traité de Lisbonne qui révèle chaque jour sa faillite. À une refondation républicaine qui restaure la souveraineté du peuple.
C’est de ces questions, dont chacun devine qu’elles seront au cœur de la prochaine campagne, que citoyens et électeurs de gauche doivent être rendus juges. C’est à eux de se prononcer sur les bases autour desquelles doivent se constituer demain une majorité et un gouvernement soucieux de changer la vie du plus grand nombre. C’est à eux qu’il faut donner les moyens de s’investir dans un vaste processus populaire, réunissant en toute transparence militants de partis et animateurs du mouvement social, hommes ou femmes de gauche souhaitant travailler au changement indispensable.
C’est l’ambition du Front de gauche, avec son « programme partagé », l’offre publique de débat qu’il a adressée aux autres composantes de la gauche, et les assemblées citoyennes qu’il appelle à réunir sur tout le territoire dans les prochaines semaines. Elle a été signifiée avec éclat le 18 octobre, lors de l’inauguration du siège de la campagne de Jean-Luc Mélenchon et de la mise en place du « conseil national » qui réunit une grosse centaine d’acteurs sociaux, élus et personnalités du monde des arts et de la culture.