Le peuple ou Bayrou : il va falloir choisir !

Il n’aura pas fallu longtemps, après la mise en ligne de ma dernière note, significativement intitulée « Une bataille pour la gauche », pour que les risques d’embardées alors signalées viennent se confirmer. Voici donc que François Hollande, se détournant des rives de la gauche et se lançant à la poursuite échevelée du centre, vient de proposer à François Bayrou d’intégrer une majorité (voire un gouvernement) qu’il incarnerait, pour peu que le chef de file du Modem se prononçât, contrairement à 2007, en faveur du candidat de gauche au soir du premier tour de la présidentielle.

Quelle étrange précipitation ! Ségolène Royal, au moins, avait attendu l’entre-deux tours pour faire miroiter un maroquin à M. Bayrou. Son successeur se lance, lui, cinq mois avant le premier tour… Était-ce vraiment le moment, alors que la campagne socialiste peine manifestement à retrouver du souffle après les « primaires », de replacer cette fraction de la droite au centre du jeu ? Fallait-il accréditer l’idée d’une convergence de vues avec le célèbre Pyrénéen, alors que celui-ci multiplie les signes de bonne volonté envers Nicolas Sarkozy et maquille son changement de pied sous le vernis de l’exhortation à l’union nationale pour mieux faire passer l’austérité qu’il appelle de ses souhaits, lutte prioritaire contre les déficits publics oblige ? Devrait-on trouver judicieux de déconcerter ainsi le monde du travail, alors qu’il se trouve sous le coup d’attaques terribles de la part de la droite et des puissances d’argent (par exemple pour diminuer l’indemnisation des salariés malades à partir de 2500 euros de salaire), qu’il se désespère d’être le plus souvent ignoré des grands appareils partisans, que la gauche ne lui suggère pas véritablement de raisons de s’enthousiasmer ? Était-il responsable de semer, de cette manière, des germes de division profonde au sein de son camp, en se montrant un peu trop ostensiblement certain de l’inéluctabilité d’un « vote utile » de l’électorat de gauche contre Nicolas Sarkozy, cherchant du coup dans l’urgence à débaucher une aile de la galaxie adverse ?

D’une certaine manière, nous retrouvons ici le débat qui tenaille l’aire d’influence socialiste depuis des années : où gît la clé d’un succès électoral ? Dans une étude récente, la très sociale-libérale Fondation Terra nova suggérait de s’intéresser moins aux classes populaires, censées lorgner vers l’extrême droite ou se montrer enclines à déserter les isoloirs, qu’aux couches moyennes et supérieures de la société, supposées se situer au centre de l’échiquier politique et former le réservoir de suffrages à conquérir pour tout représentant de la rue de Solferino.

UNE ÉLECTION SE JOUE TOUJOURS DANS LES CLASSES POPULAIRES

Qu’importe à ces adeptes d’une vision particulièrement élitaire de la réalité sociale française, si c’est pour avoir négligé de s’adresser au peuple que, successivement, Lionel Jospin et Ségolène Royal se virent mettre en échec dans les urnes. Que leur importe aussi que la droite la plus brutale et cynique que la France ait connue depuis la Libération se fût bien gardée, elle, de commettre la même faute. En 2007, le sarkozysme excella à dévoyer les attentes populaires, au moyen de discours démagogiques et de propositions relevant du miroir aux alouettes, lorsque son adversaire socialiste dissertait à l’envi sur ”« l’ordre juste »”.

Évidemment, on ne saurait conquérir le peuple sans répondre à ses angoisses devant un avenir singulièrement sombre, et sans se faire l’écho de ses attentes. Ce qui se révèle rigoureusement incompatible avec les odes à la rigueur budgétaire qu’entonne, à la moindre occasion, l’entourage de François Hollande… jusqu’à ne même plus faire sienne la promesse de rétablissement des 60 000 postes supprimées par l’UMP dans l’Éducation nationale, désormais noyée dans l’évocation de fort nébuleux loi de programmation et plans d’investissement.

Parlons sans détours. L’instant est d’autant plus dangereux que ces errements additionnés constituent le plus précieux aliment de la campagne du président sortant. Je ne veux pas principalement parler des sondages – dont on sait ce qu’il convient de penser, si loin de l’échéance -, ni de l’intox savamment orchestrée par le cabinet obscur qui travaille à pleine puissance à l’Élysée pour convaincre l’opinion que le tenant du titre redeviendrait populaire. Mais de cette contre-performance du vainqueur des « primaires », qui offre à M. Sarkozy l’opportunité de se sauver de la noyade qui le guettait, de retrouver une mine conquérante, de repartir à la bataille comme si de rien n’était… en utilisant éhontément les moyens de l’État.

C’EST SARKOZY QUI RIT…

Je n’ignore pas que les concepteurs de cette étrange stratégie croient dur comme fer avoir atteint le summum de l’efficacité électorale. Ils devraient s’intéresser d’un peu plus près à la réaction des partisans du pouvoir. Je lis toujours avec intérêt les éditoriaux de M. du Limbert dans ”Le Figaro”. Ils sont si éclairants de l’intelligence dont peut faire preuve la droite lorsque la formation majoritaire de la gauche part dans le décor. Ce 29 novembre, il écrit fort à propos : ”« En faisant miroiter à François Bayrou un poste de ministre, (François Hollande) ne dit-il pas à sa façon la fameuse phrase de Lionel Jospin :” ‘’Mon projet n’est pas socialiste’’ ”? Les experts électoraux du PS expliquent souvent que l’ancien Premier ministre avait ruiné ses chances le jour où il avait prononcé ces cinq mots. On sait bien ce qui survient chez le militant socialiste lorsque son candidat se met à jouer devant lui la danse du centre. »” Dans le même sens, il eût pu nous remémorer que c’est en croyant avoir choisi la voie à ses yeux la plus sûre d’accéder aux commandes, celle qui consistait à ne plus se revendiquer de la gauche mais d’un brumeux « centre-gauche », que la formation italienne affiliée à la social-démocratie européenne, le Parti démocrate pour le nommer, offrit à Silvio Berlusconi sa plus belle victoire…

Je ne suis pas de ceux qui chercheront, dans ce nouvel épisode, un argument justificatif de polémiques dont l’effet est généralement démoralisateur à une large échelle. Au-dessus de tout, dans une période comme celle que nous traversons et sur laquelle je ne crois pas utile de revenir ici, il nous faut mettre le besoin de rassembler la gauche et, au-delà, le peuple sur l’orientation qui pourra seule mener à un succès durable. C’est au service de cette ambition qu’il importe de mener à leur terme les clarifications indispensables. Je ne crois en effet pas qu’il existât, parmi le peuple de gauche, une majorité pour jeter des passerelles dans la direction de François Bayrou. Car militants de terrain et acteurs du mouvement social savent bien que ce type de mouvement s’opère immanquablement au prix d’un ralliement à des thèmes essentiels de la droite – dont le Modem n’est qu’une variante, on ne saurait un seul instant manquer de le rappeler -, d’une édulcoration toujours plus importante de ce qui identifie fondamentalement notre camp, donc de la certitude qu’un gouvernement élu grâce aux classes populaires leur tournera le dos sitôt installé.

Notre offre publique de débat, au fond, vise à mettre en pleine lumière l’alternative devant laquelle la gauche tout entière se voit placée : se tourner vers le peuple ou vers le centre, unir les forces progressistes ou chercher à nouer des alliances avec des partis adeptes du néolibéralisme s’avèrent des options incompatibles entre elles…

Christian_Picquet

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