Notre campagne décryptée pour “l’Humanité”

Notre bataille pour 2012 se déploie avec de plus en plus de visibilité. J’évoquais, dimanche dernier, les initiatives du Front de gauche auxquelles j’avais participé. À ce propos, il me faut faire amende honorable : il semblerait que j’aurais sous-estimé la participation à la Fête de l’Humanité de Lanester ; on me parle de 3000, voire 5000 présents… Mais, je vous l’avoue, je préfère me faire corriger dans ce sens là… Cette semaine, ce 1° décembre pour être précis, le meeting de Talence ; en Gironde, organisé en présence de Jean-Luc Mélenchon, a été un franc succès : 25OO personnes. Des succès qu’il nous fait mettre en rapport avec les sondages qui placent désormais systématiquement notre candidat à l’élection présidentielle en quatrième position, avec de 7% à 8% des intentions de vote.

Je vois dans ces faits une confirmation de ce que j’ai déjà souvent évoqué ici : le fort intérêt que suscitent nos propositions de rupture avec un ordre en faillite, le rassemblement dont nous sommes les seuls à gauche à pouvoir délivrer le message, notre volonté de ne pas initier seulement un engouement électoral mais de provoquer un profond élan populaire. Je devrais aussi parler de ce désir de politique que je vois monter un peu partout. À un autre niveau, je viens d’en avoir un autre indice. C’était le 30 novembre, à Toulouse. Pour lancer le collectif appelé à relayer localement l’appel en faveur d’un audit citoyen de la dette, un meeting réunissait Attac et la fondation Copernic, trois organisations syndicales s’exprimant sur une intervention préparée en commun (la CGT, la FSU et Solidaires), ainsi que Europe écologie/les Verts, le NPA et le Front de gauche (dont toutes les composantes, sur la proposition de nos camarades communistes, m’avaient confié la charge d’intervenir en leur nom). Le bon millier de personnes réunies ce soir-là, la convergence (suffisamment rare pour qu’on souligne la portée de ce rendez-vous toulousain) de forces politiques et des principales organisations du mouvement social, l’extrême attention de la salle pour les arguments développés au pupitre auront, je crois, marqué tous ceux et toutes celles (orateurs autant que participants) qui firent cet événement. À l’issue de la soirée, quelques amis n’avaient pas forcément tort de comparer ce qui venait de se passer à la première réunion publique ayant lancé la campagne contre le traité constitutionnel européen.

C’est dans un tel contexte que ”l’Humanité” vient de m’ouvrir ses colonnes, le 1° décembre, afin que je rende compte du travail de la coordination, que je préside, de la campagne présidentielle du Front de gauche, et que j’en tire les premières leçons marquantes, du moins à mes yeux. Je reproduis ci-dessous mes réponses aux questions que m’aura posées Mina Kaci.

CHRISTIAN PICQUET : « NOTRE BUT : NOUS ADRESSER À LA GAUCHE TOUT ENTIÈRE »

Président de la coordination de campagne du Front de gauche, le porte-prole de la Gauche unitaire répond sans détour à chacune de nos interrogations sur le fonctionnement et sur les débats au sein de l’alliance.

Où en êtes-vous, au Front de gauche, dans votre objectif de créer des « assemblées citoyennes » susceptibles de construire ce travail de terrain ?

Christian PICQUET. Elles se créent un peu partout avec une réalité significative. Mais nous voulons aboutir à de vraies assemblées populaires qui drainent largement, au-delà de la sphère militante influencée par le Front de gauche. Cela ne s’improvise pas, il faut le construire, surmonter les difficultés dues à l’incertitude ambiante. D’ores et déjà, les assemblées citoyennes retissent un tissu militant, elles regroupent une série de réseaux qui ne se retrouvaient plus depuis la campagne référendaire de 2005. Outre les adhérents de nos partis, on y retrouve des associatifs, des syndicalistes, des ex-socialistes, ex-communistes, ex-LCR ou ex-NPA. Nous n’en sommes pas encore à la campagne citoyenne que nous visons, avec des gens de gauche qui veulent peser sur ce que va devenir la gauche dans ce pays, exprimer leur opinion que devront faire demain une majorité et un gouvernement soucieux de se hisser à la hauteur de défis colossaux. Cela dit, pour un début, c’est extrêmement positif. Partout, nous rassemblons une vraie force, de 70 ou 80 participants à 150 voire plus…

N’est-il pas surprenant que 40 à 50% des personnes interrogées déclarent ne pas connaître Jean-Luc Mélenchon ou n’avoir pas d’avis sur lui, dans l’enquête Viavoice, publiée le 24 novembre ?

Christian PICQUET. Je ne suis pas étonné. Jean-Luc Mélenchon et le Front de gauche sont connus de celles et ceux qui se situent dans le cœur de la gauche politisée. Notre démarche les intéresse – je ne dis pas qu’ils pensent d’emblée voter pour nous. La haine de Sarkozy étant profonde et leur volonté de s’en débarrasser puissante, il nous faut les convaincre que voter pour nous, c’est voter utile pour la gauche tout entière. Cela représente tout de même des centaines de milliers de gens, et même des millions. Au-delà, nous constatons cependant une désespérance terrible dans les profondeurs du pays. Les classes populaires sont sous le coup d’attaques de plus en plus dures, le sentiment est que les politiques ne répondent pas à leur attente, la gauche ne suscite pas vraiment l’espoir. C’est ce qu’il faut faire bouger. C’est possible : si le Front de gauche est encore minoritaire à gauche, ses idées y sont potentiellement majoritaires.

Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que les idées du Front de gauche sont « potentiellement majoritaires » à gauche?

Christian PICQUET. Prenez l’exemple des primaires socialistes. Si on additionne le score d’Arnaud Montebourg, une partie des voix de Ségolène Royal ou de celles de Martine Aubry, si l’on tient compte que la motivation principale de ce scrutin a été la volonté de battre Sarkozy, et si on met cela en rapport avec ce qui s’exprime au-delà du PS, on voit bien que la majorité en faveur du « non » au traité constitutionnel européen existe toujours à l’intérieur de la gauche. Le Front de gauche s’est installé dans le paysage, il suscite beaucoup d’intérêt, comme en attestent les sondages ou le succès de nos initiatives partout en France, mais il lui reste à construire de l’adhésion. Nous voulons pour cela apparaître comme une force utile à toute la gauche, qui agit en fonction de ce qu’il pense être l’intérêt de celle-ci. Notre intention n’est nullement de camper sur le pré-carré de la gauche radicale. Elle est plutôt de nous adresser à la gauche tout entière, à partir des propositions de rupture qu’appelle la crise historique du capitalisme, la faire gagner en la rassemblant sur la politique qui peut seule lui permettre de retrouver le chemin d’un peuple qui souffre et qu’il faut lui aussi rassembler. François Hollande ou Eva Joly ne pourront longtemps ignorer notre offre publique de débat, car nous ne renoncerons pas à la concrétiser. J’ai en ce sens proposé à une réunion de la coordination que l’on réfléchisse à des débats régionaux ouverts à toute la gauche afin que les citoyens soient juges de ce que chacun propose pour sortir de la crise.

« LE PLURALISME EST TOUJOURS UN DÉFI. LE GAGE DE NOTRE RÉUSSITE EST ET SERA NOTRE CAPACITÉ À DONNER DE LA VISIBILITÉ À NOTRE DIVERSITÉ. »

À ce stade, comment envisagez-vous le fonctionnement du Front de gauche, composé de diverses formations politiques ?

Christian PICQUET. Le pluralisme est toujours un défi. Nous sommes un front, rien n’est donc simple pour nos différentes formations. Ni pour le PCF, qui a investi un candidat ne venant pas de ses rangs. Ni pour le Parti de gauche, dont est issu Jean-Luc Mélenchon, qui ne peut être uniquement le prestataire de service de la campagne commune. Nous ne sommes pas une formation unifiée. Chacun, à l’intérieur du Front de gauche, à ses rythmes, ses règles de fonctionnement, ses débats, ses implantations de terrain à respecter. Le gage de notre réussite est et sera notre capacité à donner de la visibilité à notre diversité. Nous sommes les seuls à disposer de cet atout. Jean-Luc Mélenchon s’est ainsi mis dans la peau d’un candidat qui exprime une démarche collective. Lui-même dit d’ailleurs ne plus employer le « je » mais le « nous ». L’unité est en train de forger une culture commune.

N’êtes-vous pas tenté de privilégier une campagne médiatique, maintenant que Jean-Luc Mélenchon passe régulièrement sur les ondes audiovisuelles ?

Christian PICQUET. Nous avons conscience de devoir passer à une campagne de terrain, d’aller au contact des citoyens, du peuple. D’autant que nous mesurons aujourd’hui l’extrême incertitude dans laquelle se trouvent les hommes et les femmes de gauche, la population. C’est une incertitude terrible. Certes, dans ce type de scrutin, la rançon du présidentialisme veut que le candidat compte énormément et ait fort à faire. Cela dit, l’essentiel va se jouer sur notre capacité à investir le terrain et à répondre aux questionnements, aux interrogations, aux attentes de ceux qu’intéressent notre positionnement et nos propositions. Le Front de gauche dispose d’atouts considérables pour mener une telle campagne : la cohérence de sa démarche et sa cohésion, son implantation, les liens que ses différentes forces ont construits au fil des années avec le mouvement social. Il n’y a que nous, grâce au Front des luttes qu’anime Marie-George Buffet, qui pouvons, comme à Montataire, organiser une initiative préparée sur toutes les entreprises de l’Oise.

Entretien réalisé par Mina Kaci

Christian_Picquet

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