La VI° République ? L’appel à une nouvelle révolution…

Ce matin, avant de monter dans un TGV au départ pour Bordeaux, qui devait m’emmener au meeting girondin du Front de gauche, j’achète la presse du matin. Surprise… ”Libération” barre sa « une » d’un titre choc : « Les bataillons de Mélenchon. » Bon, pas d’illusions déplacées, il gît certainement là-dessous une sourde volonté de nous « extrêmiser ». Qu’importe, toutefois !

Si nous disposons de ”« bataillons »”, c’est que nous sommes une armée. Certes, pas une armée disciplinée autour de son chef, cela ne ressemble pas à ces milliers de militantes et de militants que je croise tout au long de la campagne, et qui sont plutôt des réfractaires à tout culte de la personnalité et à toute caporalisation. À travers cette « titraille », cela dit, le quotidien du matin aura (peut-être involontairement…) dû prendre en compte qu’une force se levait et grandissait, au point que les médias ne pouvaient plus l’ignorer. Même si, d’ailleurs, c’est parfois pour en appeler à un combat sans merci contre nous. À l’instar de Monsieur Barbier, le très sarkophile patron de ”l’Express” qui, sous le titre « Pour en finir avec Mélenchon », écrit dans son éditorial du 14 mars : ”« Mélenchon plaît parce qu’il est la bouche fumante du mécontentement social, parce qu’il y a en lui de la légitimité populaire et un air, si français, de barricades. Le succès dans les sondages de ce candidat furibard, c’est l’annonce, aussi, des conflits et des tensions qui déchireront à coup sûr la France dès après l’élection présidentielle, au plus tard à l’automne. »” En voilà un, au moins, qui ne se trompe pas de diagnostic et sait précisément pourquoi il veut ”« en finir »” avec le cauchemar que nous provoquons chez lui et ses semblables…

Quoiqu’il en aille, tandis que les sondages attestent que nous avons largement franchi la barre des 10% d’intentions de vote, les meetings débordent. Mon vieux complice Gérard Bohner me dit, par exemple, que celui de Clermont-Ferrand, le 14, avec notre candidat, fut le plus important (8 500 personnes) jamais réuni par la gauche dans la capitale du Puy-de-Dôme. Les autres, quoique plus modestes en affluence, n’en marquent pas moins la vie politique des villes concernées. Du moins, pour ne parler que de ceux auxquels j’ai participé. Il faut, par exemple, remonter très loin en arrière – c’est, du moins, ce que m’ont dit mes camarades communistes – pour retrouver 1500 hommes et femmes assemblés à Rennes. Idem pour Montauban, qui aura vu ses 600 participants (largement plus que le « meeting Mélenchon » des européennes de 2010, sur le Tarn-et-Garonne) repartir galvanisés. Ou pour Bordeaux, dont je sors en profitant du voyage de retour pour rédiger cette note, les 1500 participants manifestant par leur combativité et leur enthousiasme que l’espoir était en train de renaître dans la gauche française.

Toutes ces rivières vont, ce dimanche 18 mars, se fondre en un fleuve qui, empruntant le parcours des plus grands défilés populaires de l’histoire parisienne, Nation-Bastille, va révéler au pays que quelque chose de puissant s’est de nouveau levé ici. Peut-être, faudra-t-il encore du temps avant que la gauche dans son ensemble ne s’en trouvât transformée. N’empêche ! Que l’on mesure bien l’exploit que nous nous apprêtons à réussir. Faire le pari, que bien des « raisonneurs » eussent d’entrée de jeu jugé insensé, de prendre la rue en pleine campagne présidentielle, n’était déjà pas évident. Se voir porter, comme nous le sommes, par une attente profondément ancrée, et savoir d’avance que nous serons des dizaines de milliers au rendez-vous, cela vaut confirmation : nous sommes en train de faire bouger les lignes de la politique hexagonale…

À travers l’objectif d’une nouvelle République, c’est en fait une cohérence d’ensemble que nous dessinons. Celle d’une démocratie « jusqu’au bout », pour paraphraser le grand Jaurès, franchissant la frontière invisible du droit de propriété, et répondant à un capitalisme en crise qui entend substituer la souveraineté (aussi insidieuse qu’absolue) des marchés à celle que le peuple tirait jusqu’alors, en principe, de son droit d’élire ses représentants et de décider, par son suffrage, de ce qu’il juge relever de l’intérêt général. C’est sur ce thème que je viens de m’exprimer dans ”l’Humanité”. Dans sa livraison du 16 mars, le quotidien communiste m’a ouvert ses colonnes, au même titre que Paul Aliès (du Parti socialiste) et Jean-Vincent Placé (d’Europe écologie-Les Verts). Je vous en livre ici le résultat.

RÉPONSE À « L’HUMANITÉ » : « FAUT-IL PASSER À LA VI° RÉPUBLIQUE ? »

Le thème de la VI° République n’est pas nouveau dans le débat politique. Lors de la dernière présidentielle, en 2007, il figurait, avec des contenus très divers, dans les programmes de sept des douze candidats. Aujourd’hui, à l’issue du quinquennat de Nicolas Sarkozy, cette revendication d’une VIème République a-t-elle pris une acuité nouvelle ?

CHRISTIAN PICQUET. En finir avec la monarchie présidentielle et l’atrophie de la démocratie qu’elle induit, refonder la citoyenneté et permettre aux salariés de conquérir des droits nouveaux : ces exigences ont été portées, à gauche, depuis les origines de la V° République. Le sarkozysme leur confère une actualité nouvelle, en ce qu’il a poussé à leur paroxysme les dérives de ces institutions. Avec, pour facteur aggravant, la soumission à la finance et la négation de tout ce qu’il restait de la souveraineté populaire, afin de pouvoir mieux condamner toute l’Europe à l’austérité.

Des mesures cosmétiques, telles que préconisées par François Hollande sans remettre en cause l’esprit même de ces institutions, ne peuvent permettre la rupture nécessaire avec l’hyperprésidentialisme, l’exercice plébiscitaire autant qu’opaque du pouvoir, la concentration des décisions au sommet de l’État, l’osmose totale entre la politique et le monde de l’argent, l’hypertrophie des appareils répressifs associée à la volonté de criminaliser l’action sociale. Si elle veut répondre à l’attente démocratique qui monte du pays, la gauche tout entière ne peut plus faire l’économie de l’objectif d’une nouvelle République.

Face à l’ensemble des reculs démocratiques et sociaux de l’ère Sarkozy, en quoi est-il pertinent d’élaborer une réponse institutionnelle, en termes de type de République à promouvoir ? On pourrait avoir tendance à considérer, à gauche, que la réflexion sur les institutions ne peut venir qu’en couronnement d’un nouveau rapport de force politique en faveur des classes populaires, appuyé sur le développement des luttes sociales…

CHRISTIAN PICQUET. Historiquement, l’exigence de la République sociale se trouve au débouché du combat du mouvement ouvrier. Non dans une approche réduite à ses dimensions institutionnelles mais, comme le disait si bien Jaurès, pour pousser la démocratie « jusqu’au bout », pour rendre les travailleurs aussi souverains dans l’ordre économique que les citoyens le sont en théorie dans l’ordre économique. C’est dans cette cohérence que s’inscrit aujourd’hui la bataille du Front de gauche pour la VI° République.

La refondation républicaine que nous appelons de nos vœux a, de ce point de vue, une triple spécificité. Elle repose d’abord sur la réaffirmation et l’extension des droits fondamentaux du plus grand nombre, ce que la Révolution française avait dès ses premiers moments désigné sous le terme de « droit à l’existence ». Elle induit ensuite de nouvelles possibilités d’intervention des citoyens et des salariés à tous les échelons (par exemple, à l’entreprise, pour qu’existent des moyens de s’opposer aux plans de licenciements boursiers). Elle aboutit, ce faisant, à une démocratie étendue et libérée du présidentialisme, la clé de voûte de toute la démarche étant la réhabilitation effective de la souveraineté du peuple. Ce qui trouve son prolongement dans les propositions formulées afin qu’une gauche victorieuse, demain en France, contribue à donner de nouvelles bases à la construction européenne.

Le projet d’une VI° République participe-t-il de la construction d’une sortie de crise, d’un dépassement du capitalisme ?

CHRISTIAN PICQUET. Le capitalisme financier et globalisé actuel se révèle incompatible avec toute notion d’intérêt général ou de primauté du suffrage populaire sur la cupidité d’un tout petit nombre d’actionnaires et de banquiers. Confronté à une crise historique, il prétend en sortir sur le dos des populations. Pour faire basculer le rapport des forces, l’action de masse, l’implication du plus grand nombre, se révèlent indispensables. Il se trouve que c’est l’esprit même du projet de VI° République, que nous associons à l’idée de révolution citoyenne.

En avril et mai, il conviendra de débarrasser la France de Nicolas Sarkozy. Mais la victoire de la gauche devra se traduire par de belles avancées sociales et démocratiques. De la Commune à Mai 68, en passant par Juin 36, l’expérience prouve que rien de grand ne s’est jamais fait sans l’engagement du peuple. En avançant aujourd’hui une perspective politique fondée sur une véritable démocratie, il s’agit donc bien de dessiner une réponse globale aux exigences d’égalité et de justice mises en avant par toutes les confrontations sociales de ces dernières années.

À la lecture de ces lignes, chacun et chacune aura compris que l’on ne saurait dissocier la visée politique du changement de République indispensable présentement et de l’Assemblée constituante qui devra être convoquée pour l‘instaurer, de la nouvelle révolution populaire qu’appellent désormais l’urgence sociale autant que la restauration du primat de l’intérêt général. L’enjeu n’est autre que de contrecarrer les égoïsmes déchaînés d’une aristocratie de l’argent dévorant l’existence d’une majorité d’hommes et de femmes, qui ont uniquement leur force de travail à vendre s’ils veulent vivre… ou plutôt survivre. En 2012 comme hier, aucun droit nouveau ne peut être arraché sans la levée en masse du peuple. Oui, pour parler autrement, ce pays a besoin d’un nouveau Juin 36 ! Oui, la révolution, démocratique et citoyenne, c’est-à-dire impliquant la majorité de celles et ceux qui ont besoin d’un changement radical, redevient un facteur d’espérance ! Comme il le fut toujours… Depuis qu’un 14 juillet de l’an 1789, les habitants des faubourgs de Paris décidèrent de s’emparer de la Bastille… Ou depuis qu’un certain 18 mars 1871, la vénalité des élites de l’époque et leur haine du plus grand nombre provoqua la proclamation de la Commune…

Christian_Picquet

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