Qu’allons-nous faire de notre victoire ?

La bataille des législatives, dans laquelle je me retrouve plongé au niveau de la 10° circonscription de Haute-Garonne, m’a tenu éloigné de ce blog depuis le 6 mai. J’espère que vous m’en pardonnerez si je vous dis que, de ce poste de combat (que j’occupe avec ces frères d’armes que sont les militants et militantes du Parti communiste et du Parti de gauche, sans parler des miens, ceux de Gauche unitaire, qui ne ménagent ni leur peine, ni leur temps), je vois encore mieux se réunir les pièces du nouveau puzzle politique français.

Au soulagement qu’éprouve manifestement la grande majorité des électeurs de ce territoire, qui a donné à François Hollande un résultat bien plus élevé que le pays dans son ensemble (comme d’ailleurs le département qui l’entoure), succède à présent une attente vaguement inquiète de ce que vont faire le nouveau président de la République et son gouvernement pour satisfaire au besoin de changement profond que le pays vient d’exprimer. Si la droite n’a rien perdu de son agressivité, sans néanmoins disposer désormais d’un projet de nature à faire oublier à nos concitoyens les affres du sarkozysme, l’influence conquise par l’extrême droite se fait insidieusement sentir à la chaleur de certaines discussions sur les marchés : non que, vu de cette terre historiquement de gauche où j’ai été élu en 2010, le Front national fût vraiment en position conquérante, mais son influence s’étend (comme, par ailleurs, dans la toute proche vallée de la Garonne où il a réalisé des percées spectaculaires), et l’on devine que ses idées progressent.

C’est, pourtant, de la gauche que me viennent mes principaux sujets de préoccupation. Passons sur une extrême gauche qui semble avoir définitivement renoncé à incarner autre chose qu’une volonté de survie aux marges du champ politique hexagonal. Ou sur des écologistes qui, quoiqu’ils puissent ici ou là bénéficier d’un réel enracinement local, peinent de plus en plus à afficher une identité mise à mal dès l’instant où ils auront estimé opportun d’arrimer leur modeste carriole (bien brinquebalante après la contreperformance d’Eva Joly) au char gouvernemental du Parti socialiste, sans qu’ils parviennent même à dire à quoi serviront leurs deux modestes portefeuilles dans le dispositif conduit, de l’Hôtel de Matignon, par Jean-Marc Ayrault. C’est de la famille même de François Hollande que viennent les signes (avant-coureurs ?) de difficulté à embrasser les immenses défis qui s’annoncent à l’horizon.

ASSURANCE D’AVENIR, PÔLE DE STABILITÉ

Dans ma circonscription, je le perçois avec les deux dissidences qui se sont déclarées à l’annonce de la candidature de Kader Arif (promu, depuis, ministre des Anciens combattants), lequel n’avait pas jugé bon de soumettre son investiture au vote des adhérents de son parti. Je n’ai pas à me prononcer sur le fond des soubresauts qui peuvent agiter les autres composantes de la gauche, mais tout de même… Quel spectacle désolant, au surplus pour la formation dont est issu celui qui vient d’accéder à la plus haute fonction de l’État, que ces querelles auxquelles nos concitoyens ne peuvent rien comprendre. Eux, qui peinent fréquemment à joindre les deux bouts (comment ne pas avoir le cœur serré, lorsqu’une grand-mère vient vous avouer, sur un marché, qu’elle est contrainte de vivre sa retraite dans un modeste studio, en proie de surcroît aux tracas que lui procure, chaque mois, l’obligation de rembourser l’emprunt qu’elle a souscrit, sûrement à un taux usuraires ?), dont l’emploi est quelquefois menacé, et dont l’existence quotidienne pâtit de la casse des services publics de proximité…

Je pourrais, à dire vrai, porter le même jugement à propos de l’attitude irresponsable qui aura conduit Martine Aubry, vigoureusement soutenue par Europe écologie-Les Verts, à briser net l’accord, qui eût parfaitement pu être trouvé, avec le Front de gauche sur les circonscriptions dont la gauche pourrait être éliminée au soir du premier tour des législatives, face à la droite et au Front national. Incroyable cette arrogance… Retour d’un comportement hégémonique que les urnes avaient quelque peu bousculé à la présidentielle ? Calcul, plutôt malsain s’il se confirmait, consistant à rechercher une majorité absolue pour les socialistes dans la future Assemblée nationale, de crainte de devoir tenir compte de cette nouvelle réalité que nous incarnons dorénavant dans la gauche, grâce aux 11,14% recueillis par Jean-Luc Mélenchon, et bien que les quatre millions de voix que cela représente aient été décisives à la victoire du 6 mai ? Volonté, à peine dissimulée, de nous empêcher de former un groupe ayant quelque influence au Palais-Bourbon, même s’il faut pour cela profiter de l’iniquité d’un mode de scrutin et d’un découpage de circonscriptions hérités des savants tripatouillages institutionnels de la droite ? À la limite, peu importe…

Nous en revenons, encore et toujours, à un identique constat : parce qu’il se détermine, d’abord et avant tout, en fonction de l’intérêt de la gauche tout entière, le Front de gauche est étranger à ce genre d’arrières-pensées et de manœuvres inavouables. Pour toutes celles et tous ceux qui ont à cœur de voir notre camp, celui du travail et du grand nombre, échapper aux désillusions tragiques du passé, il est une assurance d’avenir, et même un pôle de stabilité dont l’utilité ne va pas tarder à se révéler lorsque notre pays entrera dans la zone des tempêtes. Ce n’est en effet, pas d’une alternance tranquille, dans un pays qui serait redevenu apaisé après cinq ans de brutalisation sarkozyenne, qu’a accouché le scrutin présidentiel, mais d’une nouvelle étape de la crise française. Résumons-en, à très grands traits, les principaux éléments.

AVIS DE TEMPÊTE…

À droite, l’éviction de Nicolas Sarkozy ne laisse pas seulement l’UMP orpheline d’un leader et d’une orientation à même d’unifier les classes possédantes, elle ouvre la voie à une recomposition qui s’opérera nécessairement dans la douleur. Quoique, le 6 mai, l’écart entre le deux prétendants ait été moindre qu’annoncé par les sondeurs, retrouvant presque exactement le rapport droite-gauche du 10 mai 1981, au miroir du premier tour, la majorité présidentielle sortante ne dispose plus de majorité pour gouverner le pays. Avec seulement 36,20% des suffrages exprimés, elle aura vu se volatiliser 2,3 millions de ses électeurs du 2007. Et c’est le Front national qui aura perçu les dividendes de cette Berezina.

Je forme, vous vous en doutez, le vœu ardent que l’ami Jean-Luc fasse mordre la poussière à Madame Le Pen, dans la circonscription si regardée d’Hénin-Beaumont. Ne nous y rompons pas pour autant. Avec son score élevé du premier tour de la présidentielle, l’extrême droite aura accru son emprise sur la société française. Travaillant les angoisses de celle-ci depuis presque 30 ans, étant cette fois parvenu à étendre géographiquement et socialement son audience, ayant maintenant réussi à s’implanter dans des départements jusque-là rétifs à ses tentatives de séduction, continuant à s’enraciner dans les régions frappées de plein fouet par la désindustrialisation, elle ne se sera pas contentée d’engranger un vote de protestation, elle sera parvenue à bénéficier d’un authentique vote d’adhésion. Adhésion à cette synthèse que Le Pen fille s’était efforcée de dessiner tout au long de sa campagne, entre une démagogie sociale consistant à se revendiquer abusivement des attentes des classes populaires, et le programme de la préférence nationale par lequel elle souffle sur les braises de la peur et de la haine de l’autre. Parlons donc sans détours : le FN a su offrir sa propre réponse à ce qui aura, au final, surdéterminé la compétition présidentielle, à savoir la profondeur du rejet de Monsieur Sarkozy. C’est ce qui lui laisse espérer, pour demain, d’être le centre de gravité d’une recomposition de la droite française qui verrait, autour de lui et sur les ruines de l’UMP actuelle, se former une grande force de combat réactionnaire, tout à la fois porteuse d’une perspective de reprise en main autoritaire de la France et d’une politique d’exclusion d’inspiration xénophobe. Les bases en existent, hélas, comme en attestent les emprunts de Nicolas Sarkozy aux thématiques frontistes tout au long des derniers mois ou la proximité entre le discours lepéniste et celui de la Droite populaire…

Fort heureusement, à ce stade, c’est à gauche que se sera cristallisée la lame de fond antisarkozyste, la dynamique bataille du Front de gauche ayant amené le total des voix de gauche, au premier tour de la présidentielle, à un niveau inégalé depuis 1988 ; ce qui ne compta pas pour rien dans l’élection de François Hollande. De sorte que ce dernier, quel qu’ait été son programme officiel, aura bénéficié d’une double polarisation : entre droite et gauche, les espoirs un temps caressés par le candidat socialiste d’élargir au centre ses soutiens n’ayant pas résisté à la réactivation du clivage qui structure depuis toujours notre vie publique ; sociale, puisque la victoire n’eût pas été permise si 58% des employés, 68% des ouvriers, ou encore 60% des 18-24 ans n’avaient pas porté leurs choix sur le représentant de la gauche, son adversaire ne trouvant plus de majorité que chez les Français les plus âgés et auprès de ceux gagnant plus de 3500 euros par mois.

Ce 6 mai est ainsi le révélateur d’immenses paradoxes. Si le nouveau président se sera, depuis sa désignation au terme des « primaires », voulu le tenant d’une ligne de prudence – qui l’amena, un temps, à expliquer qu’il souhaitait ”« donner du sens à la rigueur »” -, le ressort de son élection aura davantage résidé dans le désir populaire de mettre à la retraite son prédécesseur. Dit autrement, il renvoie au rejet massif de la gestion de classe des années 2007-2012, donc au refus des dévastations sociales qu’avait par exemple manifesté le grand mouvement social de 2010 contre la remise en cause de la retraite à 60 ans. C’est, par conséquent, en ayant reçu un mandat implicite n’étant pas exactement celui qu’il attendait, que le deuxième président socialiste de la V° République va devoir se confronter à un contexte que son programme ne lui permet guère d’affronter.

CES AFFRONTEMENTS QUI SE NOUENT

Je n’écris pas ces lignes animé de je ne sais quel esprit mauvais. Mais parce que je souhaite que la gauche réussisse… Et que le premier devoir, à cet égard, exige de faire preuve de lucidité… Ce que j’évoquais précédemment des réorganisations en gestation à droite amène à conclure que nous allons devoir faire face à un bloc de droite réactionnaire comme ce pays n’en avait plus connue depuis les années 1930. Différés par les actionnaires l’espace d’une joute électorale, de crainte que leur meilleur allié ne se trouvât balayé, les plans de suppression d’emplois vont se multiplier dès les prochaines semaines, dans l’automobile, la métallurgie, le transport aérien, la logistique, la grande distribution… Sur la toile de fond de la récession provoquée sur le continent par les politiques d’austérité, et alors que tout indique un reprise de la spéculation, le système bancaire hexagonal va entrer dans des turbulences aiguës, Dexia et le Crédit immobilier de France se voyant, d’ores et déjà, menacés d’un effondrement à l’effet de souffle imprévisible…

Dans le même temps, l’Union européenne se prépare à aborder une séquence qui peut l’amener au bord du gouffre. Alors que grèves et manifestations se développent dans un très grand nombre de pays contre la casse sociale, jusqu’au cœur de cette Allemagne érigée en modèle par les libéraux bien que ses travailleurs ne paient au prix fort la « compétitivité » des firmes, la Grèce vient de voir balayés les partis associés à la purge qui laisse sa population exsangue. Les prochaines élections générales pourraient même donner une majorité à la formation-sœur du Front de gauche, la coalition Syriza. Il n’en fallait pas davantage pour que, de Bruxelles, Francfort ou Berlin, sans parler des sommets du Fonds monétaire international, on suggère l’exclusion de ce pays de la zone euro. Au risque d’engendrer un maelström à travers lequel l’Espagne, l’Italie ou… la France se retrouveraient à leur tour prises pour cible par les fonds d’investissement.

BESOIN D’UNE POLITIQUE DE SALUT PUBLIC

Comment aborder pareil moment en se bornant à des mesures par trop imitées pour sauver le changement qu’attend la majorité du pays, pour épargner aux citoyens les souffrances que veulent leur infliger les marchés ? Comment la France peut-elle délivrer, par-delà ses frontières, le signal qu’un autre chemin est possible pour le continent, aidant du même coup les peuples à faire basculer le rapport des forces en leur faveur ?

À l’une et l’autre de ces questions, on ne peut répondre hors la démarche que le Front de gauche s’est efforcé de défendre depuis des mois. Sans nationaliser les banques, non pour socialiser leurs pertes comme s’y prépare le pouvoir de droite espagnol, mais pour récupérer le contrôle du crédit, impossible de juguler les crises bancaires menaçant en chaîne plusieurs pays et, plus encore, impossible de mettre en œuvre la grande politique industrielle dont dépend la création de centaines de milliers d’emplois. Sans redistribuer radicalement les richesses, pour reprendre au capital ce qu’il a dérobé au travail au fil des 20 dernières années, impossible d’améliorer immédiatement la vie du plus grand nombre de nos concitoyens, de combattre la précarité, de redéployer les services publics. Sans interdire les licenciements boursiers, réquisitionner les entreprises en butte aux délocalisations, permettre aux salariés d’accéder à de nouveaux droits d’intervention et de contrôle, impossible de contrecarrer la soif de rendement financier des actionnaires. Sans augmenter les salaires et les pensions, en se servant à cette fin de ce levier que représente en France le Smic, impossible d’imaginer la moindre relance de l’activité économique. Sans entrer dans la novation que représente la planification écologique, impossible de soustraire aux multinationales ces biens communs que sont l’eau et l’énergie, impossible de concevoir la protections des productions européennes grâce à la mise en place de visas sociaux et écologiques sur les importations. Sans la détermination à renégocier de A à Z le traité « Merkozy », sans le courage de remettre à plat tous les mécanismes libéraux dont la faillite n’est maintenant plus à prouver, impossible de refonder l’Europe pour la placer au service des peuples et sous leur contrôle.

POUR UN NOUVEAU JUIN 36

Voilà, en d’autres termes, notre Front de gauche confirmé dans sa mission. L’écho de sa campagne pour la présidentielle, sa capacité à replacer la question sociale au centre du débat public, la sympathie ou l’engagement dont il aura bénéficié dans le monde syndical ou associatif, la puissance de ses rendez-vous jusque dans les plus petites villes, la participation à ses assemblées citoyennes de milliers d’inorganisés, le succès qu’aura constitué au final le résultat de Jean-Luc Mélenchon (un score à deux chiffres que ne laissait même pas entrevoir les premiers sondages, voici moins d’une année), seront autant d’atouts dans le contexte tourmenté qui se profile. La colère sociale, demeurée si longtemps orpheline d’un débouché politique, aura pu enfin pénétrer les urnes et la visibilité que lui aura conférée notre percée électorale va lui permettre d’en ressortir dopée. Essentiel, si l’on veut qu’un nouveau Juin 36 succède, le plus rapidement possible, au succès enregistré dans les isoloirs…

Le cap tracé dès le lancement de notre rassemblement est, dans ces conditions, plus valide que jamais. Non point nous cantonner au témoignage ou aux postures incantatoires. Non point en appeler abstraitement à entrer en opposition au gouvernement dont le PS forme la colonne vertébrale, comme deux dirigeants du NPA viennent de le préconiser sans le moindre égard pour l’inefficience d’une attitude ne pouvant nourrir que la marginalisation impuissante. Mais se porter aux avant-postes de la gauche, en lui proposant le chemin et les moyens de relever les défis de l’heure et de répondre vraiment aux attentes populaires. Être, pour parler autrement, un facteur de rassemblement des forces vives de la gauche et du peuple dans les affrontements à venir avec la droite et le monde de la finance. Agir dans l’objectif de donner une majorité à un changement en phase avec les attentes du peuple, d’aboutir à une majorité de gauche mettant en œuvre une politique de rupture avec les dogmes libéraux dominants. Travailler à la refondation de toute la gauche, à partir d’un nouvel axe stratégique et programmatique tirant la leçon du besoin de tourner audacieusement la page des logiques d’accompagnement du libéral-capitalisme. En résumé, faire entrer ladite gauche dans cette nouvelle période qui exige que l’on fasse impérativement le choix de la République sociale contre les intérêts d’une nouvelle aristocratie de l’argent.

C’est dire à quel point il est vital de faire entrer à l’Assemblée nationale le plus grand nombre possible de députés du Front de gauche. S’ils peuvent faire entendre leurs propositions avec l’écho maximal, s’ils disposent des moyens de peser avec force sur les décisions de la majorité de gauche qui sortira de la consultation de juin, si leur influence est à la mesure de la nécessité de relayer les exigences portées par les mobilisations, la réponse s’imposera d’elle-même à la grande question posée par le 6 mai : « qu’allons-nous faire de notre victoire ? »

Christian_Picquet

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