Dix réflexions pour l’après-6 mai

Peu à peu, la nouvelle réalité française née du 6 mai se précise. Naturellement, le débat des élections législatives tend à l’occulter quelque peu, au gré des comportements boutiquiers, des conflits individuels ou des dissidences difficilement explicables que génère fréquemment ce type de scrutin, quoi que le moment n’eût rien de banal et quoi qu’il fût d’une importance capitale sur la politique appelée à être mise en œuvre sur les cinq prochaines années. Évidemment, la mise en place de la nouvelle machine gouvernementale, dans un contexte électoral aussi tourmenté qu’indécis, peut autoriser certains à évacuer provisoirement les choix essentiels au profit d’une communication relayant les comportements en usage sous la V° République, les citoyens étant seulement appelés « donner une majorité au président de la République ». Sans plus de contenu… Conjuguée aux soubresauts affectant une droite plus étrillée qu’elle ne veut l’avouer par l’éviction de son chef de file, semblable configuration est de nature à entretenir cette impression de flottement que chacun, candidat, militant ou électeur, éprouve à chaque instant…

Ne nous y trompons cependant pas. De redoutables épreuves se dessinent. Pour la France, dans une Europe au bord du chaos dès lors que ses gouvernants se sont, depuis des lustres, transformés en chiens de garde serviles de la finance. Pour ce peuple, qui aimerait bien souffler par la grâce de la désignation d’un président de gauche, après dix ans de violence infligée à notre société par la droite et les néolibéraux, mais qui voit se rapprocher des rendez-vous décisifs pour son avenir. Pour la gauche, qui vient de l’emporter au terme d’une confrontation d’une rare brutalité, et qui ne saurait à présent se contenter de substituer l’affichage de ses compétences gestionnaires au projet que le pays attend d’elle pour le redresser et lui redonner espoir.

Puisque, ici et là, semble venu le temps des tribunes ou articles de « prospective », j’ai soustrait quelques heures à ma campagne haut-garonnaise pour, à mon tour, prolonger mon avant-dernière chronique de dix réflexions synthétisant ce que je crois être les enjeux essentiels de cet après-6 mai.

I. AVEC LE RENVOI DE NICOLAS SARKOZY, NOUS AVONS REMPORTÉ UNE PREMIÈRE VICTOIRE POLITIQUE

La première, s’agissant d’une élection générale – et même du scrutin cardinal de nos institutions, et non plus de consultations n’ayant pas pour objet l’orientation mise en œuvre à la tête de l’État -, dont nous puissions nous féliciter… depuis quinze (les législatives de 1997) voire vingt-quatre ans (la présidentielle de 1988). Bien sûr, je n’ignore pas que François Hollande a souhaité placé son élection sous le signe d’une alternance qui réconcilierait l’austérité avec la justice. Il n’empêche !

Parce qu’il aura fallu faire face au bloc d’une droite et d’une extrême droite animées, chacune à sa manière, d’une âpre volonté d’un finir avec l’identité républicaine de la France, l’affrontement n’aura laissé aucune place aux tropismes de l’ouverture au centre : il se sera noué (et dénoué) sur une ligne de partage classique, droite contre gauche, classe contre classe, camp contre camp. Et le monde du travail, le salariat au sens le plus général du terme autant que les classes populaires, auront ressenti l’issue du second tour de la présidentielle comme leur revanche sur des années de régression imposées, de défaites subies, d’humiliations éprouvées.

II. CE SONT DES AFFRONTEMENTS MAJEURS QUI S’ANNONCENT À L’HORIZON

Si elle n’a guère d’espoir de retrouver une majorité à l’Assemblée nationale, la droite se met d’ores et déjà en situation de réorganiser son dispositif de bataille, tandis que le Front national sortira, en tout état de cause, largement confortée de la double séquence électorale qui va s’achever ; pour la première fois depuis la Libération, l’extrême droite a les clés des recompositions à venir du camp conservateur. Le nouveau gouvernement venait à peine d’être nommé que, par ailleurs, les milieux patronaux et le monde de la finance faisaient entendre leur voix : Madame Parisot, pour s’opposer à toute augmentation des salaires qui, à l’en croire, ruinerait la compétitivité des firmes ; un économiste fanatique du nom de Pierre-Antoine Delhommais, dans les colonnes du ”Point”, pour exhorter le vainqueur du 6 mai à se suicider sans délai : ”« Devenez vite très impopulaire, Monsieur Hollande, ce sera le signe que vous allez dans la bonne direction. »” Chacun aura compris : plus la gauche décevra rapidement et se trouvera rejetée par le pays, plus vite seront réunies les conditions d’une reprise de l’offensive libérale contre le peuple travailleur.

D’ailleurs, si les thuriféraires de l’ordre dominant consentent bien, parfois, à évoquer une nécessaire incitation à la « croissance », c’est uniquement pour en situer le ressort dans la libéralisation accrue du marché du travail et dans une flexibilité toujours plus grande de l’emploi, autrement dit dans la destruction forcenée du code du travail. Lorsque, dans le même temps, au nom de la Commission européenne, l’ineffable Monsieur Barroso exige des nouveaux dirigeants français qu’ils amplifient la dislocation de notre système de protection sociale et de retraite, nul ne peut espérer un quelconque « état de grâce ». Ou le changement sera au rendez-vous, par la confrontation acceptée avec les actionnaires et les fonds d’investissement, ou ce sera d’une désagrégation à la grecque que la gauche française se trouvera menacée…

III. LA FRANCE, AYANT OFFERT UNE MAJORITÉ À LA GAUCHE, PEUT CHANGER LA DONNE EN EUROPE

La potion de rigueur budgétaire que le tandem Sarkozy-Merkel s’employait à faire ingurgiter à la zone euro a entraîné une telle souffrance que, l’un après l’autre, jusque dans cette Allemagne qui n’est désormais plus un symbole de paix sociale, ses pays membres voient se développer d’imposants mouvements de contestation. Elle s’est révélée d’une absurdité telle, en plongeant le continent dans son ensemble dans les affres d’une récession qui ne fait qu’alourdir encore le poids des dettes souveraines sur les États, que même des gouvernants aussi à droite que Monsieur Rajoy, en Espagne, ou Monsieur Monti, en Italie, sont amenés à considérer que ce prétendu remède est en train de tuer le malade. Des marges de manœuvre se sont donc ouvertes, non pour assortir l’austérité de quelques dispositions cosmétiques en faveur d’une reprise de l’activité, mais pour renégocier l’ensemble des traités ayant enfermé la construction européenne dans la prison d’un libéralisme qui la prive littéralement d’avenir. Il faut maintenant avoir le courage d’oser… Oser s’appuyer sur les aspirations des populations… Oser recourir au bras-de-fer avec des élites et des gouvernements discrédités par leur complaisance envers un capitalisme plus cupide qu’il ne l’a jamais été.

Ne pas le faire aboutirait à laisser l’aristocratie de l’argent reprendre la main, la stigmatisation de la Grèce, à laquelle vient de scandaleusement se livrer la directrice générale du FMI – voire son expulsion des pays à monnaie unique – symbolisant le chantage devant lequel tous les peuples peuvent demain se retrouver : s’incliner devant les oukazes des marchés, au prix de souffrances invraisemblables, ou subir la plus apocalyptique des dévastations. Dans tous les cas, l’idée même d’Europe ne saurait y survivre. L’enjeu se situe à cette échelle historique…

IV. LA GAUCHE, TOUTE LA GAUCHE, SE TROUVE DEVANT DES CHOIX INCONTOURNBABLES

Je ne suis pas de ceux qui dissertent sur le ”« hollandisme révolutionnaire »” ou sur l’obligation qui amènerait François Hollande, ”« contraint par les circonstances de se faire l’initiateur »” d’une politique substantiellement différente de celle qu’il a défendue devant les Français, pour reprendre une idée récemment avancée par Jacques Julliard dans les colonnes de ”Marianne”. Le nouveau président de la République, comme ceux qui l’ont le plus ardemment soutenu depuis les « primaires » socialistes, n’en doivent pas moins relever que, à l’inverse de ce qui était défendu dans le livre-programme ”Changer de destin”, la logique des petits pas ou des demi-mesures ne reçoit nullement la palme du réalisme face à l’offre, que nous portons, d’une rupture franche avec un système en faillite. C’est si vrai que, le 25 mai, dans son éditorial de ”Libération” consacré aux plans de licenciements massifs qui pourraient très vite coûter 45 000 emplois au pays, Nicolas Demorand se livrait à un vigoureux plaidoyer en faveur… de la planification. ”Libé”, hier chantre du laisser-faire libéral à destination d’une gauche boboïsée, redécouvrant l’efficience de l’intervention publique au service du développement industriel et de la recherche, c’est une page qui se tourne ! Le social-libéralisme a cessé d’être un horizon indépassable à gauche, et notre Front de gauche y aura été pour beaucoup…

Voilà bien la raison pour laquelle il serait dramatique de suivre le même Jacques Julliard lorsqu’il exhorte subtilement le tombeur de Sarkozy à résister ”« à l’ampleur des espérances qu’il a suscitées »”. C’est plutôt desdites ”« espérances »” que peut provenir la dynamique susceptible de changer le rapport des forces afin de faire bifurquer l’histoire.

V. DANS LA CONFIGURATION PRÉSENTE, L’OBJECTIF EST BIEN DE FAIRE RÉUSSIR LA GAUCHE

Parlons sans détours : si la gauche, y compris sa composante présentement dominante, devait demain être balayée par une désillusion semblable (voire pire ?) à celle qui la priva de présence au second tour de la présidentielle de 2002, c’est une opposition extrême-droitisée, « front-nationalisée », qui tirerait les marrons du feu. Le peuple en subirait les terribles effets, sur le plan social comme sur celui de la démocratie. Aucune alternative, formée autour d’une nouvelle offre stratégique et programmatique, ne parviendrait à s’imposer sur le champ de ruines qu’elle aurait laissé se créer. Ceux qui, se voulant ”« à gauche de la gauche »”, aiment à jouer les Cassandre en l’attente de l’échec du PS, quand ils ne nous appellent pas à entrer dans une ”« opposition de gauche »” aux nouveaux gouvernants, comme Olivier Besancenot vient encore de le proposer au Front de gauche, pensent certainement être dans la vérité de leur affichage révolutionnariste. Ils ne font toutefois que se tromper de moment politique… Et je ne parle pas même pas, ici, des outrances d’une Nathalie Artaud se fixant pour but… de disputer à la droite l’espace de l’opposition à François Hollande !

Faire réussir la gauche ne saurait néanmoins se confondre avec un appui soumis au pouvoir issu du vote du 6 mai. Y parvenir exige, au contraire, de changer en ses profondeurs ladite gauche, d’y faire bouger le curseur en direction d’une orientation destinée à transformer réellement les conditions d’existence du plus grand nombre, de permettre qu’y pèse une force qui, pour se déterminer en toute autonomie, n’a pour souci que de défendre ce quelle estime être l’intérêt de notre camp dans son ensemble. Dit d’une autre manière, d’une force qui travaille à construire, sur la base des attentes populaires et en relation étroite avec le mouvement social, les rassemblements majoritaires qui, seuls, peuvent forcer la porte d’un authentique changement.

VI. UNE POLITIQUE DE SALUT PUBLIC S’IMPOSE

Si elle veut relever les défis qui vont se présenter à elle, la gauche doit s’unir, bien sûr. Mais sur l’option du courage et de la détermination. Reconquête du pouvoir sur la finance, remise des principaux établissements bancaires sous contrôle public, récupération de la maîtrise du crédit afin qu’il fût réorienté vers l’emploi et les PME, redistribution des richesses au moyen d’une modification radicale des règles fiscales dans l’objectif d’assurer une réelle progressivité de l’impôt, mise en œuvre d’une grande politique de planification écologique, renégociation des traités européens en commençant par déclarer caduque la stabilité budgétaire que le pacte coécrit par Monsieur Sarkozy et Madame Merkel prétend exiger des populations : tels sont les leviers qui peuvent, ici et maintenant, changer la vie du plus grand nombre de nos concitoyens. L’augmentation du Smic et, plus généralement des salaires et pensions, le rétablissement de la retraite à 60 ans pour tous (bien au-delà des ajustements, positifs, qui ne bénéficieront qu’à un trop petit nombre de travailleurs), l’interdiction des licenciements boursiers et la réquisition des entreprises qui délocalisent, l’engagement d’une dynamique réindustrialisation du pays, la reconstruction de grands services publics ne relèvent, à cet égard, pas des ”« intentions généreuses »” que nous prêtait le chef de l’État dans son livre-programme. Ce sont les urgences qu’impose la gravité de la période, et seule la recherche de l’intérêt général les guide…

Au cœur de la majorité de gauche, c’est-à-dire de cette majorité antidroite, qui s’est formée dans les urnes le mois dernier, comme de celle qui, on doit l’espérer, disposera demain des moyens de légiférer dans la nouvelle Assemblée nationale, le Front de gauche a le devoir de se faire porteur de ces exigences. C’est sur les objectifs essentiels que je viens de résumer en quelques lignes et qui ne recouvrent d’ailleurs pas l’intégralité de sa plate-forme ”L’Humain d’abord”, qu’il s’agit pour lui de concentrer le débat à gauche sur ce qui pourrait ouvrir le chemin d’une rupture avec les politiques du passé. Ce faisant, il doit s’affirmer prêt à gouverner. Si le rapport de force ne lui permettait cependant pas de faire suffisamment bouger le centre de gravité de la gauche, si par conséquent François Hollande se trouvait en mesure de poursuivre inchangée la démarche qu’il défendit à l’occasion de la campagne présidentielle, nos parlementaires n’auraient d’autre choix que de voter en faveur de tout ce qui ira dans le bon sens, récusant en revanche tout soutien aux dispositions qui s’inscriraient dans la continuité de l’austérité. Et ce, en aidant à la construction de puissantes mobilisations populaires et en se liant au mouvement syndical, pour mieux faire émerger les rassemblements majoritaires, précédemment évoqués, à même de faire concrètement avancer le changement. Des rassemblements qu’il conviendra de former avec tous ceux et toutes celles qui s’y montreront disposés, d’où qu’ils viennent, pourvu qu’ils aient à cœur de faire bouger la gauche pour réellement changer la France.

VII. TOUT VA SE JOUER SUR L’ENTRÉE EN LICE DU PEUPLE

Simple alternance, au risque que la déception populaire se solde au bout du compte par un terrible désastre, ou alternative susceptible de redonner confiance au monde du travail et aux classes populaires : ce vieux débat sera, cette fois, tranché par l’implication ou non du peuple dans la bataille pour faire basculer la situation dans son sens.

J’ai souvent, au cours des derniers mois, évoqué un ”« nouveau Juin 36 »”. Je persiste et je signe. Non que j’aurais oublié que le Front populaire se solda par le reniement tragique de la majorité parlementaire que la classe ouvrière d’alors avait portée aux affaires en mai de la même année. Simplement, les leçons de l’histoire doivent être méditées dans leur complexité. Si le programme du Rassemblement populaire de l’époque s’était voulu d’une modération fort distante des revendications sociales, la victoire dans les urnes n’en avait pas moins donné l’impulsion à la grève générale, laquelle eût tôt fait de paralyser les usines et d’arracher ces conquêtes majeures dont le symbole demeure, jusqu’à nos jours, les congés payés.

La précondition d’une telle dynamique, prolongeant la défaite infligée à la droite et aux milieux d’affaires, s’avère toujours l’existence d’un répondant politique aux aspirations du plus grand nombre. Longtemps, la France en fut dépourvue et c’est, très largement, ce qui conduisit au dénouement très négatif des expériences d’accession de la gauche aux responsabilités depuis 1981. L’hypothèque est en train d’être levée, avec un Front de gauche qui, pour demeurer encore minoritaire au sein du camp progressiste, n’en est pas moins devenu une référence incontournable, la deuxième composante de la gauche, une configuration polarisant le débat d’idées et redonnant espoir en la gauche à des millions d’hommes et de femmes.

VIII. LE FRONT DE GAUCHE DOIT SE HISSER À LA HAUTEUR DE CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES

Lorsque des chocs d’une telle importance s’annoncent, le temps est moins que jamais aux réminiscences d’un gauchisme impuissant, aux postures incantatoires, aux querelles groupusculaires. Les cycles ayant façonné la gauche tout au long du siècle écoulé se sont refermés. Sans exception aucune. Celui qu’incarnait la social-démocratie européenne n’aura pas résisté à sa mutation sociale-libérale. Celui du communisme politique se sera achevé sur l’effondrement des régimes bureaucratiques de l’Est européen, et l’idéal communiste ne retrouvera une place dans le combat émancipateur qu’en apportant sa pierre à l’élaboration d’une nouvelle synthèse stratégique et programmatique. Celui de l’extrême gauche post-soixante-huitarde se sera clos sur l’impuissance des organisations qui la constituaient à définir un projet à vocation majoritaire, d’essence profondément démocratique et, surtout, ne se dérobant pas à l’épineuse question du pouvoir.

Au Front de gauche, à présent, de réunir les ingrédients d’un nouveau cycle. Ainsi que s’y emploient ses formations sœurs du continent, de Syriza en Grèce au Bloc de gauche au Portugal, de Die Linke en Allemagne à Izquierda Unida en Espagne. Dans le contexte compliqué de la mise en place d’une nouvelle majorité et d’un nouveau gouvernement, dont la colonne vertébrale a toute chance d’être assez éloignée de sa propre approche, il ne devra d’aucune manière se laisser déporter aux marges de la gauche. Au contraire, la clé de ses succès futurs résidera dans son opiniâtreté à rester l’aile marchante de cette gauche, à se situer aux avant-postes du combat pour résister aux assauts de l’adversaire, à rassembler pour imposer un authentique changement politique et social. Le vecteur de propositions novatrices et mobilisatrices. Le relais et le porte-voix des attentes exprimées par les luttes. Le porteur d’une nouvelle conception de l’unité à gauche, fondée sur des objectifs correspondant à l’intérêt du grand nombre, et réunissant sans exclusives toutes les forces, courants, individus qui n’entendent pas que la déception, le découragement, la rage soient au rendez-vous des prochaines années.

I__X. LE FRONT DE GAUCHE SE DOIT DONC DE DEVENIR LA FORCE PORTEUSE D’ESPOIR POUR LA GAUCHE TOUT ENTIÈRE ET, AU-DELÀ, POUR LE PEUPLE__

Telle est l’ambition sur laquelle doivent se focaliser toutes les énergies. Bien des débats vont traverser cette construction inédite, agiter ses diverses parties, peut-être les opposer à tel ou tel moment. Ils auront sans doute tous leur légitimité. Ils ne devront toutefois pas le détourner de l’essentiel.

Ainsi faudra-t-il, évidemment, réfléchir ensemble à la relation à nouer avec le Parti socialiste, le gouvernement qu’il dirigera très probablement, ses parlementaires. À l’occasion de cet échange, il faudra absolument bannir les vieux procédés consistant à mettre les partenaires au pied du mur, comme pour mieux prouver leurs inclinaisons coupables. J’en entends déjà, à l’extérieur du Front de gauche d’ailleurs, qui semblent rêver de le voir se scinder entre tenants autoproclamés d’un affrontement sans merci avec le Parti socialiste (position abusivement qualifiée ”« d’indépendance »” à l’égard dudit PS) et partisans supposés d’une conciliation avec lui. Comme si la clarification stratégique à gauche était à ce prix ! Comme s’il fallait maintenant recycler puérilement les formules fétiches d’un gauchisme qui a mené une formation comme le NPA à la désagrégation pure et simple ! Comme si tout n’allait pas se jouer sur notre capacité, fort de l’autonomie conquise dans l’action et en la préservant scrupuleusement, à changer la gauche afin que, de France, vienne enfin le signal de la contre-offensive face à la toute-puissance des marchés ! Comme si, par conséquent, le point nodal de notre politique ne se situait pas dans la volonté obstinée, dont il va nous falloir faire preuve, de nous adresser à ladite gauche, à ses électeurs, à ses militants, à ses élus, pour les convaincre que le Front de gauche représente le pôle de rassemblement, de détermination et de stabilité dont peut demain dépendre l’avenir.

De la même manière conviendra-t-il de chercher les moyens à travers lesquels notre convergence pourra franchir de nouveaux pas dans sa structuration. Avec mes camarades de Gauche unitaire, nous nous sommes exprimés en faveur de la mutation du Front de gauche en une véritable force d’action et de proposition qui, respectueuse de la souveraineté des organisations qui en sont membres, aiderait à écrire une nouvelle page de cette belle aventure. Sur ce plan, il nous faudra très vite travailler à la coordination des décisions « au sommet », à la mutualisation d’une partie des moyens de chacun au service de campagnes énergiques, à l’association des inorganisés ou « personnalités » qui entendent devenir des acteurs du Front de gauche sans nécessairement vouloir rejoindre l’une des organisations existantes. Cela dit, cet échange collectif doit venir compléter la rédaction d’une nouvelle déclaration d’intention, définissant précisément la place que notre alliance entend tenir dans la nouvelle configuration politique. Et, surtout, ne pas substituer à cette question fondamentale des objectifs relevant principalement de la tactique, dans son acception la plus étroite (tel celui, que j’entends ici ou là évoquer, consistant à constituer un ”« troisième pôle »” qui n’aurait pour seul dessein que de s’affirmer face au Parti communiste et au Parti de gauche, sans plus chercher à définir son identité politique, ses contours programmatiques ou sa visée stratégique). Je formule ce propos sans nier, naturellement, que toute discussion puisse posséder sa part de légitimité. Il n’empêche ! L’instant est bien trop grave pour que nul ne se perde dans le labyrinthe de plans byzantins qui n’armeront en rien sympathisants du Front de gauche ou adhérents des formations qui le composent.

X. APRÈS LA PRÉSIDENTIELLE, LES LÉGISLATIVES PEUVENT NOUS DONNER UN NOUVEL ÉLAN POLITIQUE

Inutile, à quelques heures du premier tour du scrutin des législatives, de redire ici à quel point il est important de nous donner des assises parlementaires à la hauteur des responsabilités que nous avons acquises. La partie aura été âprement disputée. La conscience, chez bien des électeurs, qu’un poids important du Front de gauche dans la gauche représentait une assurance sur l’avenir, l’aura disputée à la tentation de donner à la nouvelle présidence les moyens de gouverner. Comme les sondages l’attestent, jusqu’à l’ultime instant, le verdict des urnes sera demeuré indécis, entre « vague rose » et majorité de gauche au sein de laquelle ne serait pas entravée la possibilité de mener des débats vitaux.

Quel qu’il soit, il ne faudra pas pour autant minorer l’importance de ce qu’aura permis cette séquence électorale. Là où je me suis personnellement impliqué, comme là où j’aurai eu l’occasion de me rendre, le constat est identique : il faut remonter de nombreuses années auparavant pour retrouver une pareille implication des équipes militantes ; jusque dans leurs bourgs les plus éloignés, les circonscriptions auront été sillonnées et leurs habitants sollicités comme jamais depuis longtemps ; au-delà des formations parties prenantes de cette entreprise de reconquête politique, le Front de gauche aura vu venir à lui, en nombre, des hommes et des femmes qui n’avaient pas, ou plus, d’engagement partisan ; dynamisée par la prestation de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, mais ne se résumant plus à elle, notre convergence sera devenue une réalité identifiée par l’électorat ; quant au travail fourni par le Front des luttes, et à l’attention portée au monde ouvrier, à la jeunesse aux quartiers populaires, ils vont probablement porter leurs premiers fruits ce 10 juin. Cette installation dans le paysage hexagonal, pour ne pas parler d’un début de réimplantation sur le territoire national, sera un authentique tremplin pour des développements futurs…

En guise de résumé de ces dix propositions : des épreuves majeures s’annoncent ; notre combat est plus que jamais un combat pour la gauche ; et nous disposons, au moins, d’un instrument ayant démontré son incontestable efficacité…

Christian_Picquet

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