L’épreuve des législatives… et maintenant ?
Il ne nous faut pas tourner autour du pot : le premier tour des élections législatives aura accouché d’un nouveau sujet de réflexion pour le Front de gauche. La moisson légitimement attendue, dans la foulée du résultat de la campagne de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, aura été décevante. Et l’élimination de ce dernier du second tour du scrutin de Hénin-Beaumont aura, sur un plan symbolique, accru l’impression d’échec délivrée par des résultats moindres qu’espérés.
Lorsque je parle de « moisson », c’est en terme de sièges, conservés ou susceptibles d’être conquis, dans la future Assemblée nationale. Car, pour ce qui est du nombre de voix, la progression est incontestable : par rapport à 2007 et au score alors réalisé par nos camarades communistes à la suite d’une présidentielle qui avait vu s’éparpiller tristement le « non » de gauche au traité constitutionnel européen, nous gagnons plus d’un demi-million de voix. Nous franchissons même la barre des 5% dans 330 circonscriptions (contre 135 seulement voici cinq ans), et nous affermissons notre position de deuxième force de la gauche (loin devant Europe écologie, qui ne pourra faire élire des députés qu’en récupérant des voix qui ne seraient pas portées sur elle sans l’accord ”a minima” conclu avec le Parti socialiste) ! Les faits n’en sont pas moins là… Bien qu’ils enregistrent fréquemment des progressions de l’ordre de 3 ou 4%, nombre de nos sortants se retrouvent au tapis, notamment sur ces terres rouges que furent si longtemps la Seine-Maritime, les Hauts-de-Seine ou la Seine-Saint-Denis, tout simplement parce que le porteur des couleurs socialistes les dépasse, quelle que fût au demeurant son implantation locale.
Voilà donc bien la consultation de tous les paradoxes. Ce 10 juin, les Français auront confirmé leur souhait de se débarrasser de la droite, au terme d’années de régressions et de souffrances subies. Ils auront offert à la gauche, toutes composantes confondues, le niveau presque historique de 46% des suffrages exprimés, quand les candidats du régime précédent perdaient du terrain jusque dans des bastions du conservatisme hexagonal. Mais l’abstention record (42,5%), autant que les mécanismes mis en place avec l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, se seront conjugués pour pervertir le verdict des urnes.
À lui seul, le Parti socialiste disposera probablement de la majorité absolue au Palais-Bourbon, bien que ne représentant qu’un gros tiers des suffrages exprimés. À l’inverse, malgré ses 11% du 22 avril et ses 7% de dimanche dernier, le Front de gauche verra sa représentation parlementaire considérablement amoindrie, au point de ne plus conserver son groupe, du moins selon les critères (15 députés) qui prévalaient jusqu’alors pour en constituer un. De même, le moindre des paradoxes n’est pas que ce soit le Front national qui, quoique de justesse, se montre aujourd’hui le seul en mesure, en dehors bien sûr du PS et de l’UMP, de profiter d’un système électoral inique, même lorsque ses porte-drapeaux sont de parfaits inconnus sur les territoires où ils se présentent (cas, par exemple, de la petite-fille Le Pen à Carpentras).
LA DÉMOCRATIE VICTIME DU BIPARTISME
Selon l’implacable logique du mécano électoral imaginé sous la houlette de Jacques Chirac et Lionel Jospin en 2000, le bipartisme prend de nouveau en otage la démocratie. Très probablement, le parti du président de la République bénéficiera d’un statut hégémonique dans la future représentation nationale, se créant pour lui-même et pour la gauche le grand danger de devenir totalement sourd aux attentes de son électorat, sans qu’il existât sur les bancs du Parlement une force en mesure de le contraindre, à chaque étape, au débat indispensable sur la politique à mener. La grande majorité des électeurs ayant contribué à l’éviction de Nicolas Sarkozy aura, pour ce qui la concerne, été amenée à considérer ce premier tour des législatives, non comme un moment de nature à déterminer dans quelle configuration seraient prises les décisions au cours des cinq prochaines années, mais comme une pure formalité. Un round de confirmation de la présidentielle, en quelque sorte… Elle se sera, dès lors, tenue à l’écart des isoloirs, à moins qu’elle n’ait directement porté son choix sur les candidats du PS.
Le Front de gauche en aura été la principale victime. Près de 30% de celles et ceux qui s’étaient prononcés en faveur de Jean-Luc Mélenchon auront, cette fois, reporté leurs suffrages sur des socialistes. D’évidence, dans les consciences, si le vote du 22 avril n’est d’aucune manière effacé, un sentiment de « réalisme » aura poussé à offrir à la nouvelle équipe les moyens d’agir. Ce qui ne va pas sans nous interroger sur le crédit que l’on nous aura prêté pour permettre à la gauche de réussir, d’être à l’écoute de ses mandants, d’aller au bout des défis qui vont se présenter à elle. J’y reviendrai plus loin…
J’aurai personnellement fait la rude expérience de cette volatilité des réflexes électoraux, encouragée par une présidentialisation de plus en plus poussée de notre vie publique, c’est-à-dire de moins en moins en phase avec la réalité politique du pays. Dans la 10° circonscription de Haute-Garonne, issue du redécoupage imaginé par le pouvoir précédent, j’aurai mené une belle et tonique campagne. Mes amis communistes et « pégistes » m’auront même dit qu’il fallait remonter à la bataille référendaire de 2005 pour retrouver une pareille activité, ayant su toucher sans exception tous les cantons du territoire. À l’arrivée, ma candidature progresse fortement, gagnant près de 2400 voix par rapport à 2007 sur les villes ou villages concernés, soit une augmentation de… 183%. Mais, alors qu’un sondage réalisé quelques jours seulement avant le premier tour, me plaçait en troisième position (devant l’extrême droite), j’arrive finalement très loin de notre score de la présidentielle, et je me retrouve largement devancé par un Front national pourtant invisible durant toute la campagne. Pire, une notable proportion de notre électorat d’avril se sera mêlé de départager les trois candidats socialistes en belligérance, le premier des « dissidents » allant jusqu’à totaliser 16% des votes.
APPRÉCIER EN FINESSE LE BILAN
Il ne nous faut pas, à présent, jouer aux autruches ! Le bilan de la double séquence électorale de ce printemps doit être tiré avec le plus grand soin. Le bien-fondé de la constitution du Front de gauche et de la désignation de l’ami Mélenchon comme son représentant à la présidentielle n’est plus à démontrer. Grâce au choix qui aura été le nôtre, un vaste pan de l’électorat aura retrouvé le chemin de la gauche, il aura retrouvé l’espoir (même quand il aura ”in fine” choisi le bulletin Hollande de crainte de voir le sarkozysme l’emporter sur le fil), ses engagements syndicaux et associatifs se seront découverts un prolongement sur le théâtre politique. Dans un contexte idéologique troublé, sur lequel trente années de contre-révolution libérale laissent des empreintes profondes, les idées de gauche seront revenues en force. La campagne de François Hollande elle-même en aura porté témoignage. Les discours visant le monde de la finance, le martèlement du thème ô combien républicain de ”« l’égalité »”, la promesse d’une fiscalité destinée à mettre à contribution les plus riches, l’attitude plus ferme que prévue observée à l’égard du dogme austéritaire de la chancelière Merkel eussent-ils été envisageables sans la dynamique dont nous fûmes les porteurs ?
Cela dit, nous n’en aurons pas pour autant été identifiés à une perspective de pouvoir crédible en l’instant présent. Bien que Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon ou moi-même n’ayons cessé de proclamer que le Front de gauche avait vocation à gouverner, qu’il voulait pour la France une majorité et un gouvernement déterminés à affronter les actionnaires et les banquiers, qu’il cherchait à unir la gauche sur le programme du salut public, que ses propositions n’avaient pour seule ambition que de faire réussir la gauche, nous aurons principalement conquis l’adhésion au type de gauche que nous appelons de nos vœux. Sans pour autant arracher encore un vote de conviction sur notre « utilité », afin de changer la donne au sein de la majorité sortie des urnes le 6 mai…
Ce 10 juin, nous en aurons lourdement pâti. Avec pour circonstances aggravantes que chacun de nos candidates et candidats se trouva renvoyé à sa circonscription. Reconnaissons-le, à l’occasion d’une consultation à l’enjeu d’abord national, nous n’aurons pas su faire vivre une bataille à cette échelle, illustrant autour de quelques points saillants l’orientation que nous souhaitions voir mettre en œuvre par la gauche, le vote en notre faveur en devenant d’une certaine manière la garantie. La focalisation des médias sur le beau challenge qu’avait choisi de relever Jean-Luc dans le Pas-de-Calais sera, au demeurant, sans que nous y ayons suffisamment pris garde, venue obscurcir le tableau et brouiller le message que nous souhaitions porter.
UNE AUTRE BATAILLE DÉBUTE
Nous achevons la première étape de notre parcours – trois ans de succès électoraux s’enchaînant jusqu’au rendez-vous cardinal de la V° République – sur un affaiblissement institutionnel que nous n’avions pas anticipé, mais aussi forts d’un poids politique et d’une audience, à gauche et dans le pays, sans commune mesure avec ce que nous représentions avant 2009. Plusieurs débats me paraissent, à cet égard, d’ores et déjà tranchés.
Le premier renvoie, je l’ai déjà mentionné, à l’avenir de notre Front de gauche. Le revers qu’il vient d’essuyer n’annule en rien l’élan qui, sur trois années pleines, lui a permis d’initier une redistribution majeure des cartes politiques en France, condition ”sine qua non” pour pouvoir, à plus long terme, devenir un acteur clé de l’avenir de la gauche. Dans la confluence de toutes les forces disponibles, quelles qu’aient été les difficultés de l’entreprise, nous aurons puisé une capacité d’attraction qui doit à tout prix être préservée, à moins évidemment d’être candidats au suicide.
Le deuxième porte sur l’entrée de tout ou partie de notre rassemblement dans le gouvernement Ayrault II. Ni la politique revendiquée par celui-ci – ce ”« chemin d’équilibre »” entre justice et austérité récemment dépeint par François Hollande, si éloigné des nécessités de l’heure en dépit de quelques inflexions à gauche plutôt bienvenues -, ni le rapport de force institutionnel défavorable dans lequel nous a relégué le bipartisme ne réunissent, à mes yeux, les conditions d’une participation gouvernementale. Je parle bien de politique revendiquée et de rapport de force, en aucun cas du principe même d’un gouvernement qui réunirait la gauche autour d’une inébranlable volonté de changer la vie du plus grand nombre et de redistribuer à cette fin les richesses, ce qui doit demeurer la visée du Front de gauche. Simplement, la configuration présente amène à conclure qu’une implication dans l’architecture hollandaise ne conduirait qu’au ralliement impuissant au programme du Parti socialiste, à la manière de celui qui aura coûté à EELV ce qu’il lui restait d’identité propre.
Le troisième débat a trait aux « offres » auxquelles l’extrême gauche a cru bon de s’identifier dans la dernière période. Prétendre devenir l’opposition de gauche au PS, attitude que certains présentent parfois sous le vocable plus avenant d’« indépendance » envers le parti dominant du camp progressiste, ruinera irrévocablement l’audience de ceux qui s’aventureront sur ce chemin. Ils se retrouveront dans l’incapacité absolue de s’adresser à cette grande majorité de l’électorat qui vient de manifester son souhait de donner au nouveau président les moyens de gouverner. Ils s’enfermeront dans une marginalité ne pouvant produire aucun effet positif, y compris si les socialistes en venaient demain à céder à une dérive identique à celle de Monsieur Papandréou en Grèce. Je note, de ce point de vue, que NPA comme Lutte ouvrière auront déjà acquitté la facture de leur infantilisme, privés qu’ils seront demain du financement public des partis puisqu’ils n’ont pu franchir le seuil des 1% dans au moins cinquante circonscriptions…
Pour ne pas déroger à la méthode qui a favorisé nos avancées dans un passé tout récent, il convient d’aborder la nouvelle situation à partir de ce que commande l’intérêt même de la gauche. Relisant ma précédente note, je ne trouve rien de substantiel à y retrancher. Nous allons au-devant d’épreuves gigantesques. Sans nul doute, la crise européenne est appelée à rebondir gravement, avec le vote des Grecs ce 17 juin et les offensives spéculatives qui déferlent sur l’Espagne ou l’Italie, plaçant la zone euro au bord du gouffre si ses dirigeants persistent dans leur libéralisme forcené. Sauf à céder à la démarche qu’ils disaient récuser, et à se perdre eux-mêmes dans une austérité aux conséquences économiques dévastatrices, on ne voit pas comment François Hollande et Jean-Marc Ayrault pourraient se dérober au bras-de-fer qui les mettra aux prises avec les conservateurs allemands et les élites libérales du continent. Comme le dit toute la presse économique, ”« le pire est à venir »”… Ici, l’implosion guettant l’UMP va placer un lepénisme relooké en condition de réorganiser une large partie de la droite autour des ses thèmes de prédilection, entraînant un remodelage de notre paysage politique sans précédent depuis la Libération. Notre camp, Parti socialiste inclus, va en conséquence se trouver confronté à des choix au plus haut point décisifs.
Pour dire les choses sans ambages, la rancœur n’a pas la moindre raison d’être. La détestation des socialistes pas davantage, même si les leaders de la rue de Solferino ont pu faire sciemment le calcul de notre laminage parlementaire. Et ne parlons même pas de la tentation, toujours possible, du repli doublé de l’affichage ostentatoire d’une réprobation (un poil élitiste) devant le comportement du peuple.
S’il veut rebondir, trouver le chemin de son redéploiement futur, le Front de gauche devra continuer à se placer au cœur de la gauche. À fonder sa démarche sur la conviction que ses idées ont, dans le peuple de gauche et jusque dans les autres partis, une influence infiniment supérieure à ce que pourrait laisser penser le résultat des législatives. À faire entendre sa voix du sein de cette majorité qui vient de dégager la droite du sommet de l’État. À manifester qu’il se tient disponible, aux côtés de tous ceux qui s’y montreront prêts, quelles que fussent leurs options dans le passé, pour occuper les avant-postes des résistances et des confrontations qui vont très vite se révéler inévitables. À s’identifier, dans ce cadre, par le corps de propositions qu’il formulera, et à partir duquel il devra interpeller l’ensemble de la gauche, avec pour objectif une majorité à même de conjurer les catastrophes qui menacent. À s’efforcer, à partir de cette offre de pacte pour une gauche qui relève réellement des défis d’ampleur historique, de faire bouger les lignes politiques, tout en encourageant des mobilisations populaires à même de faire triompher les exigences relevant de l’intérêt général. Pour formuler les choses autrement, si les choses vont se révéler fort complexes, voire difficiles, des brèches ne manqueront pas de s’ouvrir très rapidement. À nous de savoir nous y engouffrer, en récusant les tropismes de l’incantation ou de la dénonciation stériles.
Telles sont les premières conclusions que m’inspirent les derniers jours. Je livre à qui voudra s’en emparer. En attendant, dimanche prochain, il va falloir terminer le travail, faire mordre la poussière au plus grand nombre possible de représentants de la droite, barrer la route au Front national, donc voter sans hésitation ni états d’âme pour les candidats de gauche restés en lice au soir du premier tour.