Un budget qui mène à l’impasse

À l’issue du Conseil des ministres, Jean-Marc Ayrault vient d’annoncer un ””budget de combat”” pour 2013… De ”« combat »” ? Vraiment ? Il se trouve que le seul ””combat”” qu’aura annoncé le Premier ministre concerne la réduction d’une dette héritée de deux décennies de politiques favorables aux privilégiés et au capital. En d’autres termes, il reste principalement obnubilé par la volonté de ””rassurer les marchés””, tout en s’employant à calmer les inquiétudes de celles et ceux qui ont porté les formations de l’arc gouvernemental aux affaires en mai et juin derniers.

S’il est un ””combat”” que serait en droit d’attendre, d’une gauche au pouvoir, la majorité populaire ayant évincé Nicolas Sarkozy et son clan, c’est plutôt celui qui consisterait à mobiliser tous les moyens permettant de répartir autrement les richesses. En clair, il devrait afficher l’objectif de reprendre à la finance et aux actionnaires les dix points de valeur ajoutée qu’ils ont dérobés au travail en vingt ans, donc de tourner enfin le dos au dogme néolibéral qui a mené toute l’Europe à l’état de faillite que l’on sait.

Le gouvernement prétend, à travers les dispositions présentées ce vendredi 28 septembre, réduire l’an prochain le déficit budgétaire aux fameux 3% de déficit, et ce, afin de se mettre dans les clous du traité austéritaire dont il va demander la ratification au Parlement dès le début de la semaine prochaine. Certes, il revendique son souci de justice en annonçant l’amplification de la mise à contribution des contribuables les plus riches. Bien sûr, il n’augmentera ni la TVA ni la CSG – cette année, tient-il néanmoins à préciser avec une certaine lourdeur. Sauf que la création d’une tranche d’imposition supplémentaire sur les revenus supérieurs à 150 000 euros, le prélèvement décidé sur les dividendes ou les intérêts, la soumission des gains réalisés sur les stock-options au barème de l’impôt sur le revenu, la fameuse taxe à 75% pour les contribuables disposant d’au moins un million d’euros annuels, la révision de l’impôt sur la fortune ou la remise en cause de la célèbre « niche Copé », pour ne prendre que les plus marquantes des mesures évoquées, ne concerneront qu’un tiers des efforts demandés aux Français. Le reste portera, dès lors, sur les ménages salariés (avec, en particulier le gel du barème de l’impôt sur le revenu) ainsi que sur les dépenses publiques (les coupes envisagées ne pouvant avoir que de très lourdes conséquences sur la santé, le logement, les affaires sociales, l’écologie ou la culture).

Quoique l’équipe au pouvoir répugne à utiliser le mot, c’est bien d’austérité qu’il s’agit. Et celle-ci qui réduira encore le pouvoir d’achat, elle affaiblira un peu plus des services publics qui n’avaient pas besoin de cette nouvelle saignée, elle hypothéquera l’investissement au niveau de l’État comme à celui des collectivités territoriales, elle handicapera du même coup ces dernières dans l’accomplissement de leurs missions au service des populations.

C’est un autre chemin qu’il faudrait emprunter. Celui de l’audace et de la volonté politique… Celui d’une authentique révolution fiscale… Tournant le dos à l’austérité… N’hésitant pas à taxer le capital au même taux que le travail (cela rapporterait 50 milliards au budget de l’État)… Imposant bien plus fortement les dividendes exorbitants distribués depuis des années à une petite aristocratie de l’argent qui accumulent sans crainte de multiplier dans le même temps les plans de licenciements ou de recourir aux délocalisations… Mettant à forte contribution les bénéfices du grand patronat, pénalisant les firmes qui ont implanté des filiales dans les paradis fiscaux (une étude du Parlement européen a établi qu’elles coûtaient de 20 à 30 milliards chaque année aux finances publiques)… Regroupant ces nouveaux moyens dégagés dans un pôle publique bancaire, à même de recouvrer la maîtrise du crédit et de le mobiliser en direction de l’emploi ou des PME…

Des dizaines de milliards pourraient ainsi être dégagés pour relancer l’activité, redéployer les services publics, aider à l’investissement donc à la relance, favoriser la réindustrialisation du pays, initier la transition écologique dont l’économie a le plus urgent besoin. En cessant d’asphyxier le pouvoir d’achat des salariés et des retraités, en dopant le pouvoir d’achat des ménages, on contribuerait à sortir le pays de l’ornière de la récession où il est en train de tomber. En donnant le signal de retour à une politique de progrès, la France de gauche susciterait de surcroît l’espoir parmi les peuples de toute l’Europe qui crient leur détresse et se mobilisent en masse, comme c’est le cas en ce moment en Espagne et au Portugal, et elle pourrait dans la foulée imposer la renégociation de cette orthodoxie budgétaire et de ces normes libérales qui ont précipité la construction européenne dans le marasme.

A l’inverse, en s’engageant sans le dire sur le chemin de l’austérité, non seulement François Hollande et Jean-Marc Ayrault ne parviendront pas à l’objectif des 3%, ce que tout le monde sait, mais ils ne pourront que ralentir un peu plus l’activité, laisser nos concitoyens aux prises avec des difficultés accrues, démobiliser le peuple de gauche au moment où son entrée en action serait le meilleur atout pour imposer le changement à des puissances d’argent qui mettent actuellement tout en œuvre pour que le vote des Français soit au plus vite bafoué.

Les dirigeants socialistes devraient, à cet égard, remarquer que le camp des possédants n’est nullement disposé à entendre les appels à un ”« effort partagé »” ou au ”« patriotisme face à la crise »”. Même mesurées, les ponctions envisagées sur le capital ou sur les plus fortunés suscitent leurs cris d’orfraie. Le tour de vis imposé à la dépense publique leur apparaît toujours trop faible au regard du démantèlement, qu’ils préconisent, de ce qu’il reste encore de l’État social. Ils n’ont à la bouche que des exhortations à un ”« choc de compétitivité »” passant par la baisse massive des cotisations patronales à la solidarité, ou à la mise en pièces du code du travail par l’amplification de la flexibilité du travail. L’équilibrisme illusoire de l’équipe au pouvoir ne tiendra, par conséquent, pas très longtemps face à leur offensive, aussi cohérente que déterminée. Il n’était, pour s’en convaincre, que d’entendre, jeudi soir, face aux tenants de la pensée unique libérale, le Premier ministre concéder que le ”« coût du travail »” en France était trop élevé. On sait où cela mène… À un nouvel affaiblissement des protections conquises dans le passé par le salariat… Alors que les études économiques les plus sérieuses ont fait justice de cette idée pernicieuse selon laquelle il faudrait libérer le patronat de ce qu’il estime être des contraintes et qui ne sont que des limites mises à l’exploitation des travailleurs…

Les choix que viennent d’annoncer les nouveaux gouvernants constituent une lourde erreur. Il appartient à toutes les forces vives de la gauche, aux organisations du mouvement social, aux citoyens de le dire ! Quelles que soient les préférences partisanes de chacun ! Ils en auront la première occasion en participant à la grande manifestation nationale organisée contre le traité “Merkozy”, dimanche 30 septembre, à Paris, de la place de la Nation à la place d’Italie.

Christian_Picquet

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