Le sommet des pompiers-pyromanes
Cette nuit, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne disent être parvenus à un compromis de nature à sauver la zone euro. J’écris ces lignes alors que les conclusions de ce sommet restent encore dans un flou entretenu par des déclarations contradictoires. Il n’empêche ! Les mesures qui viennent d’être annoncées ne peuvent faire illusion : elles sont bel et bien un trompe-l’œil.
Ainsi, la fameuse ”« supervision bancaire »”, si mise en avant par le chef de l’État, n’entrera-t-elle en vigueur que dans plusieurs mois, sa mise en place s’opérant dans des conditions donnant d’abord satisfaction à Madame Merkel. Surtout, rien n’aura bougé dans les statuts et les missions de la Banque centrale européenne, appelée à se trouver au cœur du dispositif, restant aussi indépendante que par le passé des États, et continuant plus que jamais à être gouvernée selon l’orthodoxie néolibérale la plus brutale. Autant dire que rien n’est réglé et qu’une aggravation de la crise bancaire larvée dont sont, en particulier, victimes l’Espagne ou l’Italie ne trouverait aucune réponse à la hauteur.
À Bruxelles, ce 18 octobre, les dirigeants européens ont par conséquent poursuivi leur marche vers l’impasse. Ils nous auront seulement évité, mais de justesse soyons-en sûrs, la concrétisation de la demande du pouvoir allemand, consistant à désigner un super-commissaire européen doté d’un droit de veto sur les budgets nationaux.
Qui s’étonnera d’un tel résultat ? Les retombées du précédent sommet, celui des 28 et 29 juin, à l’occasion duquel François Hollande fit allégeance au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de la zone euro, avaient donné le ton. Le si souvent évoqué « pacte de croissance », quoiqu’ayant une ampleur dérisoire au regard des besoins et procédant surtout d’un redéploiement de sommes déjà débloquées, n’aura même pas été injecté dans les économies du continent. Et la chancelière allemande, conjointement à ses homologues néerlandais et finlandais, se sera chargée de bloquer le processus de mise en place du mécanisme d’aide aux banques fragilisées. Quant à l’engagement prêté à Monsieur Draghi, le président de la BCE, de se porter au secours des États en proie à la spéculation des marchés sur les taux d’intérêt de leurs emprunts, on a pudiquement omis de signaler qu’il était conditionné à l’acceptation du fort durcissement de leurs politiques d’austérité.
Ce sont, hélas, comme toujours, les peuples qui acquitteront le prix terrible de cette aberrante politique. L’ensemble du continent s’approche de la dépression dans laquelle ont déjà sombré de nombreux pays. La Grèce a littéralement été mise en faillite par les exigences démentielles de la “Troïka”. Les éminents dirigeants de l’UE peuvent bien, à l’unisson, ce 18 octobre, avoir décerné un satisfecit aux gouvernants d’Athènes pour les « efforts » qu’ils ont consentis. Ils peuvent même se prétendre généreux en envisageant de débloquer à présent 31,5 nouveaux milliards d’aide au pays. Au nom de l’objectif de ramener le déficit public de 15,6% du produit intérieur brut en 2009 à 6,6% cette année, ils n’auront pas moins soumis les Grecs à six ans de récession ininterrompue, ils leur auront imposé un taux de chômage de 25% de la population active, ils auront amené banques et multinationales à cesser d’investir dans une économie aussi mal en point. Il est presque trop tard pour préconiser, telle Madame Lagarde, de laisser désormais la nation hellène « respirer ». D’autant que la pression conjointe de la Commission européenne, de la BCE et du FMI vient de déboucher sur une nouvelle batterie de mesures restrictives, allant jusqu’à la suppression d’un jour de congé hebdomadaire…
Les souffrances de millions d’hommes et de femmes s’expriment au travers d’immenses manifestations et mouvements de grève. Ce n’est d’ailleurs pas seulement dans les rues d’Athènes que l’on s’affronte aux forces de l’ordre, mais aussi dans celles de Madrid ou de Lisbonne. Aux crises financière, bancaire, économique, s’est ajoutée une profonde et dévastatrice crise sociale. Et que l’on ne nous parle pas de l’avenir radieux que constituerait le « fédéralisme » sans cesse invoqué pour justifier un présent des plus odieux. Celui-ci se révèle, de jour en jour, comme le parachèvement d’une vision autoritaire destinée à imposer partout aux citoyens l’abandon de ce qu’il demeure de leur souveraineté.
Les marchés financiers sont les seuls vrais maîtres de cette Europe. Et les prétendus sauveteurs de la zone euro se révèlent en réalité sous les traits d’authentiques pompiers-pyromanes.
C’est dire qu’en ratifiant le traité budgétaire imaginé par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, François Hollande et sa majorité parlementaire ont loupé la première occasion qui se présentait de réorienter la construction européenne, afin de la mettre au service des populations, d’une relance de l’activité économique, d’un développement écologiquement soutenable, d’un projet de société profondément démocratique. Comme on pouvait le redouter, ils en sont maintenant amenés à nier, à l’instar du président de la République dans son interview à plusieurs quotidiens la veille du sommet, l’état de faillite dans laquelle se trouve l’Union. Une bien piètre façon de cautionner une vision qui n’a plus rien à promettre aux Européens, excepté des régressions inouïes et des larmes.
Il est urgent, décidément, de sortir de cette spirale dramatique. Quelles que soient par ailleurs leurs préférences partisanes, celles et ceux qui ont refusé le TSCG, au nom de leur fidélité aux principes de la gauche, ont la responsabilité d’unir leurs efforts autour d’objectifs à même de redonner un sens à la perspective européenne et de faire émerger une alternative à l’austérité exigée par la finance.