Le spectre de Schröder, le rire de Sarkozy

La semaine qui s’achève sera peut-être celle du premier tournant majeur de la politique gouvernementale, qu’auront consacré les suites données au rapport Gallois. Loin de moi, évidemment, l’idée que la question du redressement industriel de la France serait une question secondaire. Il y a même une urgence absolue à s’emparer de ce problème, à renverser le cours des choses induit par les logiques financières à l’œuvre, à doter le pays d’une stratégie productive cohérente s’articulant à la transition écologique qui s’impose, à réorienter le crédit vers la recherche, la formation, l’investissement. Sauf que les décisions annoncées, ce mardi 6 novembre, par Jean-Marc Ayrault, vont toutes dans la mauvaise direction. Elles doivent, à cet égard, être reçues comme un signal d’alarme par toutes celles et tous ceux qui ont concourru à la victoire de la gauche en mai et juin.

Sous couvert de « compétitivité » – ce concept fourre-tout qui recouvre la stratégie de profitabilité et de rentabilité à court terme conduite par les grands groupes, autant que la mise en concurrence des travailleurs, des modèles sociaux ou des systèmes de protection sociale, sans parler de la reproduction du prétendu modèle allemand consistant à moins privilégier la relocalisation de la production que les capacités exportatrices des entreprises -, le patronat vient en effet d’obtenir le cadeau en or massif qu’il exigeait. À savoir l’allègement de 20 milliards des cotisations sociales sur trois ans, compensé par une nouvelle et lourde baisse de la dépense publique, ainsi que par l’augmentation de la TVA. En clair, c’est la majorité de la population – déjà victime, depuis trop longtemps, de l’affaiblissement des systèmes de protection sociale, de l’étranglement des services publics et de la dégradation du pouvoir d’achat – qui paiera. Sans autre condition posée au capital que les exhortations verbales du Premier ministre à la bonne conduite des chfs d’entreprise. Si l’on suit bien la ligne de conduite exprimée par Matignon, ce ne sont pas uniquement des petites ou moyennes entreprises qui bénéficieront du nouveau dispositif instituant des crédits d’impôt, mais des géants symboles du capitalisme prédateur d’aujourd’hui, tels Total ou Carrefour. Comme elles paraissent loin, même si on ne les partageait pas, les diatribes flamboyantes du ministre Montebourg préconisant de conditionner tout allègement de cotisations à un réinvestissement dans la production, immédiat et contrôlé, des sommes dégagées !

Après la ratification calamiteuse du traité budgétaire européen et de la loi organique qui la met en œuvre dans notre pays, le gouvernement vient de commettre un nouveau contresens économique magistral, une nouvelle erreur sociale aux lourdes conséquences pour les classes populaires et les salariés en général, une nouvelle faute politique majeure. On entend déjà le rire de Monsieur Sarkozy et de Madame Parisot : c’est leur orientation qui triomphe… À quoi bon avoir abrogé la TVA « sociale », avec le collectif budgétaire de juillet, pour en arriver maintenant à rétablir son augmentation, quoique dans de nouvelles modalités ?

L’ADVERSAIRE SAIT MENER, LUI, LA LUTTE DES CLASSES

Retenons bien la leçon. À peine une droite agressive et réactionnaire comme jamais depuis longtemps venait-elle d’essuyer une défaite des plus marquantes, que ses mentors du parti du capital reprenaient l’offensive pour inverser le cours des choses et annuler le résultat du vote des Français. Une pression relayée depuis Berlin par Madame Merkel – ”« Les marchés vont finir par faire leur travail. Sauf si les Français prennent le virage avant »” – et au sein même du parti au pouvoir. Il n’était, pour s’en convaincre, le 5 novembre, que d’assister à la montée au créneau de ce quarteron de notables socialistes, de Gérard Collomb à Jean-Marie Le Guen, exhortant leurs camarades ministres à appliquer sans états d’âme ce fameux rapport Gallois, dont j’ai déjà eu l’occasion ici de dire ce qu’il fallait en attendre, à savoir rien de bon pour le peuple et la réindustrialisation du pays…

Ils étaient d’ailleurs en excellente compagnie, Monsieur Schröder ayant abandonné un temps ses lucratives activités à la tête du groupe pétrolier TNK-BP pour venir faire la leçon à l’élu français du 6 mai : ”« Le plus grand problème réside en Espagne, en Italie, mais aussi, je le dis discrètement, en France. Cela pourrait devenir un problème qui ne serait pas mineur. »” En l’absence de contrepoids social et politique aussi déterminé, cela aura fini par aboutir au tournant évoqué, lequel n’est pas sans rappeler les réformes Hartz, conduites en Allemagne par le même Schröder (ce qui lui valut, dans son pays, le sobriquet de ”« camarade des patrons »”), au prix de l’appauvrissement de millions d’hommes et de femmes outre-Rhin, d’une précarisation grandissante du travail, de l’affaiblissement concomitant des dispositifs d’indemnisation du chômage, d’une terrible dégradation du système de santé… Et au prix, en prime, du long, très long règne des amis de Madame Merkel !

Non seulement, on vient de céder à la pression du monde des affaires, mais chacun sait d’avance que cela ne servira ni le renouveau industriel de la France, ni la relance de son économie, autrement dit que cela n’aura pas la moindre incidence positive sur l’emploi. On va, au contraire, par l’effet conjugué de la contrainte exercée sur les conditions d’existence du plus grand nombre et de l’affaiblissement des moyens de l’Etat en matière de dépenses sociales ou d’investissement, entraîner pour longtemps la France sur le chemin très dangereux de la récession. Déjà, les meilleurs économistes n’hésitent plus à pronostiquer que l’on frôlera les quatre millions de chômeurs d’ici une année.

L’HEURE EST AU SURSAUT À GAUCHE

À gauche, il est urgent que le maximum de voix s’élèvent pour dire : ce n’est pas le coût du travail qui pose aujourd’hui problème, c’est celui du capital. Comme l’établit un tout récent rapport d’Attac et de la Fondation Copernic, intitulé ”En finir avc la compétitivité”, l’argent à trouver, pour sortir le pays de la crise et protéger sa production comme sa population des méfaits de la financiarisation, est à rechercher ailleurs que dans le « pacte de compétitivité » si apparemment cher au président de la République et à son Premier ministre. Il se trouve, en premier lieu, du côté des dividendes aussi faramineux que généreusement distribués aux actionnaires : en quelques années, ceux-ci ont pratiquement doublé, avoisinant les 10% de la valeur ajoutée des sociétés non financières, tandis que les dépenses des mêmes secteurs en recherche et développement passaient, en une décennie, de 44% des dividendes à 25% seulement. Il faudrait encore se tourner vers cette révolution fiscale, promise par le candidat Hollande mais différée dans le budget 2013, qui permettrait d’assujettir le capital au même taux d’imposition que le travail, de ne pas ignorer les profits monstrueux accumulés par les banques, de récupérer dans un souci de justice les sommes fabuleuses que rapporte la spéculation immobilière.

Je viens, en ce sens, de prendre connaissance de la réaction de la motion « Maintenant la gauche », dite « Motion 3 » du congrès socialiste de Toulouse. J’y lis avec satisfaction que les camarades qui en sont à l’initiative marquent un fort désaccord à propos de l’augmentation de la TVA et qu’ils font malicieusement remarquer que la méthode ayant prévalu pour justifier le report de la loi sur les licenciements boursiers, à savoir le souci affiché de donner du temps à la négociation sociale, aurait dû cette fois conduire à dialoguer avec les organisations syndicales. Avant la mobilisation qui répondra le 14 novembre à l’appel de la Confédération européenne des syndicats, cette réaction politique constitue, me semble-t-il, la preuve qu’il existe aujourd’hui, dans la gauche et dans le pays, des forces disponibles au vaste rassemblement à même d’inverser le rapport des forces et de rendre majoritaire une alternative à cette austérité mortifère que les marchés ont décidé d’infliger aux peuples.

Christian_Picquet

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