Un an après… L’urgence d’une autre politique
Cette quatrième semaine d’avril restera un marqueur indélébile du quinquennat de François Hollande. Non, hélas, parce que le peuple de gauche aurait célébré, dans un sentiment de confiance retrouvé, le premier anniversaire du premier tour de la présidentielle, qui vit le candidat socialiste arriver en tête de la gauche et de tous ses concurrents, annonçant en quelque sorte son élection du 6 mai suivant. Mais plutôt parce qu’elle aura signé, de plusieurs actes symboliques majeurs, la rupture d’un pouvoir issu de l’éviction de Nicolas Sarkozy… avec celles et ceux auxquels il doit sa victoire. Ces ouvriers, ces employés, ces salariés en général, ces chômeurs, ces acteurs du monde syndical et associatif qui avaient, au printemps 2012, exprimé dans les urnes leur attente d’une société où la finance ne ferait plus la loi… ce qui avait constitué, on s’en souvient, la principale promesse du discours du Bourget.
Le gouvernement aura d’abord dû assumer sa trahison honteuse de l’engagement pris devant les sidérurgistes de Florange. À l’inverse de ce qu’avait laissé entendre le Premier ministre pour repousser hautainement l’idée d’une nationalisation, même temporaire, de ce site – dont tous les observateurs sérieux s’accordent à reconnaître qu’il n’est nullement obsolète alors que la France a (et aura, demain, davantage encore) d’importants besoins à satisfaire en matière de production d’acier -, les hauts-fourneaux d’Arcelor se seront définitivement éteints. Ce fiasco, qui voit triompher la logique de profitabilité financière de court terme de Monsieur Mittal, renvoie le ”« redressement productif »” évoqué voici un an… au vaste musée des espérances étranglées par la fraction de la gauche qui, lorsqu’elle accède aux responsabilités, croit que le réalisme consiste à s’attirer les faveurs du capital. Comme à l’accoutumée, elle ne réussit jamais qu’à désespérer ceux qui lui ont fait confiance, sans pour autant atténuer l’hostilité de ce parti de l’argent pour lequel elle n’aura jamais, investie qu’elle doit être par les suffrages populaires pour accéder aux affaires, la moindre légitimité.
Dans la foulée, alors que les statistiques accusent un taux de chômage comme notre pays n’en avait jamais connu encore, avec au moins cinq millions de personnes concernées, alors que l’Insee enregistre que le niveau de vie de 24,4 millions de nos concitoyens a baissé sur les années 2009 et 2010 (on sait d’avance ce qu’il en est pour les deux suivantes…), la direction de PSA supprime des centaines de postes dans le groupe, allant jusqu’à fermer le site de Moisy-Cramayel en Seine-et-Marne, sans que l’exécutif éprouve même le besoin de rappeler à l’ordre l’actionnaire. Une anticipation, d’un certain point de vue, de ce que produira l’Accord national interprofessionnel imposé par le Medef, que le gouvernement a non seulement choisi de transcrire dans la loi, mais qu’il a voulu faire passer en force au Sénat en recourant à la procédure scélérate du vote bloqué.
Pour faire bonne mesure, voilà que le ministre des Relations avec le Parlement, Alain Vidalies, qui commença son parcours à l’aile gauche du Parti socialiste, aura annoncé l’opposition du gouvernement à l’adoption de la proposition de loi du Front de gauche visant à amnistier syndicalistes et militants associatifs condamnés pour leur action sous le précédent quinquennat. Une proposition dont l’examen allait commencer en commission des lois de l’Assemblée nationale, après que la majorité sénatoriale de gauche l’ait pourtant adoptée en février (non sans l’avoir expurgée de nombre de ses dispositions initiales).
PRÉTEXTE INDIGNE…
Ce rejet brutal d’un acte de justice élémentaire, celui-là même qu’avait salué la Garde des sceaux devant les sénateurs, destiné à réhabiliter des hommes et des femmes déférés devant les tribunaux pour avoir simplement assumé leurs mandats militants, est motivé par la nécessité de ne donner aucun prétexte nouveau aux violences dont les groupes radicaux de l’ultradroite font actuellement usage à l’occasion des manifestations contre le « mariage pour tous ». L’argutie ne trompera personne tant elle est indigne. Comment, en effet, oser comparer l’effacement proposé de condamnations qui procédaient de la criminalisation de l’action sociale de la part d’une droite cherchant à remettre en cause des libertés syndicales pourtant actées dans la Constitution, avec les agissements d’une mouvance qui prend prétexte de son désaccord avec un progrès de l’égalité des droits pour crier sa haine de la République ?
C’est un message parfaitement limpide que l’Élysée et Matignon ont voulu délivrer. Au mouvement social d’abord, pour lui signifier qu’il ne devait entretenir aucun espoir que des victoires, aussi limitées puissent-elles être, viennent atténuer la brutalité de l’austérité mise en œuvre en application du traité budgétaire européen. Au grand patronat ensuite, qu’un semblable déni de justice est destiné à rassurer au moment où l’un des principaux candidats à la succession de Laurence Parisot – qui portera les couleurs de la puissante fédération des « industries métallurgiques et minières » -, Pierre Gattaz pour ne pas le nommer, affiche l’objectif d’un ”« Medef de combat »”.
À s’obstiner dans cette direction, les gouvernants socialistes avancent à marche forcée vers… le suicide. Le leur, évidemment, mais également celui d’un peuple de gauche et d’un monde du travail qu’ils auront préalablement matraqués en ignorant jusqu’à la moindre de leurs aspirations et revendications, droit au mariage pour les couples homosexuels excepté. Chaque étude d’opinion aggrave, à cet égard, la précédente : les nouveaux dirigeants du pays voient s’approfondir le décrochage des classes moyennes et populaires, pour reprendre une terminologie consacrée, et le socle de l’électorat socialiste est lui-même très nettement entamé.
Un ami me félicitait récemment, quoique ce fût avec une certaine amertume dans la mesure où il avait voté socialiste dès le premier tour de la présidentielle, d’avoir vu juste lorsque j’écrivais, à la rentrée de septembre 2012, dans mon bouquin ”François, Jean-Marc, Martine, qu’allons-nous faire de notre victoire ?” : ”« Au point où nous sommes rendus, il n’y a plus d’équilibre possible entre justice et libéralisme. Il n’y a plus de compromis envisageable entre l’actionnaire cupide ou le banquier cynique, et le travailleur en proie au chômage, vivant avec un salaire en berne, ou voyant régulièrement s’affaiblir toutes ses protections. Il n’y a plus de voie moyenne imaginable entre l’affrontement aux marchés financiers et la soumission à ces derniers. Ne pas vouloir trancher, c’est inévitablement se laisser happer par la broyeuse qui amènera à sacrifier jusqu’au plus minime de vos engagements. Au débouché, il y aura le divorce avec des classes populaires qui se sentiront, légitimement, flouées. »”
DE L’ÉCHEC PROGRAMMÉ AUX CRISES RÉPÉTÉES
On ne s’étonnera donc guère que la critique de l’impasse où mènent les orientations mises en œuvre au sommet de l’État s’élargisse… jusqu’au président de l’Assemblée nationale. Le courant « Maintenant la gauche », qui vient de rendre publique une plate-forme en vue d’un ”« tournant de la relance »” et de se prononcer en faveur d’une majorité ”« rouge-rose-vert »”, n’est plus seul. Pas plus que ne sont isolés ces écologistes qui, à l’instar de Eva Joly, se montrent à présent décidés à construire dans la société un rapport de force susceptible de faire bifurquer le cours des choses. Dans ”Le Monde” du 26 avril, Claude Bartolone vient à son tour d’en appeler à un ”« deuxième temps »” du quinquennat plus centré sur les dimensions sociales et à la ”« confrontation »” avec la droite conservatrice allemande qui entend enfermer le continent dans une austérité sans fin synonyme de récession durable. Il assène, donnant implicitement raison au Front de gauche : ”« La France doit pouvoir combattre la conception de la droite européenne car cela amène à payer un prix démocratique trop lourd avec l’apparition d’un certain populisme en Italie ou même en France. La seule rigueur peut condamner la belle idée de l’Europe plutôt qu’elle ne peut la sauver. Pour nous, le 21 Avril ne doit pas être qu’un souvenir mais une inquiétude pour l’avenir : ce que je crains le plus, ce n’est pas l’abstention, c’est un 21 Avril européen. Le président de la République est le mieux placé pour faire entendre cette nécessité d’une autre Europe. Près de 75% des exportations de l’Allemagne sont en Europe, 50% dans la zone euro : peut-elle continuer à ruiner tous ses clients ? »”
Il est vrai que le résident de l’hôtel de Lassay n’est pas le premier à exprimer le constat d’échec d’une orthodoxie budgétaire n’aboutissant qu’à asphyxier les économies du continent. Avant lui, y compris dans les rangs de libéraux bon teint comme Monsieur Barroso, d’autres en étaient venus à constater l’impasse dangereuse dans laquelle ils se sont enfoncés, de la directrice de Fonds monétaire international aux participants du G 20, en passant par les représentants autorisés de l’administration américaine. Au fond, il importe peu que Claude Bartolone ait mis si longtemps à oser rompre l’omerta jusqu’ici imposée par la discipline majoritaire. Sa parole en aura libéré d’autres, à commencer par celles des dirigeants de la rue de Solferino, lesquels ne pouvaient plus faire autrement que de dénoncer à leur tour ”« l’Europe de droite »” (oubliant, cela dit, au passage, que le président de la République en avait accepté le cadre lorsqu’il ratifia dès juin 2012 le « Merkozy »), sauf à prendre le risque de voir leur parti imploser à l’occasion de sa toute proche convention nationale consacrée à l’Europe, et l’opinion progressiste leur faire subir un rejet sans appel. En tout cas, les européistes libéraux et sociaux-libéraux n’auront pas tardé à percevoir le danger d’un tel changement de climat, à l’image de Madame Guigou dénonçant la nocivité du propos de son collègue du perchoir, ou de la direction du ”Monde” qui, dans son édition du 28 avril, sera allée jusqu’à titrer son éditorial : ”« Ne tirez pas sur Angela Merkel ! »”. Tout un programme…
RASSEMBLER LA GAUCHE… CONTRE L’AUSTÉRITÉ ET LA FINANCE
Voilà qui rend encore plus urgent que se rassemblent toutes les forces et énergies qui ne veulent pas que la victoire obtenue sur le camp conservateur, au printemps dernier, se voit suivie d’un désastre sans précédent pour la gauche et le peuple. Le rassemblement, parlons-en justement… Il est clair, à l’aune des craquements qui se font entendre au cœur de la majorité présidentielle, qu’il ne peut être dépendant des aléas des manœuvres d’appareil qui ne vont pas manquer de se multiplier, dans les jours à venir et dans tous les sens. Il n’est possible que sur une ligne de rupture avec l’austérité et l’argent-roi. À l’inverse, ce que démontre les derniers développements de la situation française, c’est que François Hollande, Jean-Marc Ayrault et ceux qui les soutiennent, en conduisant une politique menant à un échec catastrophique, creusent toujours davantage les divisions au sein de la gauche. Jean-Luc Mélenchon l’a d’ailleurs, fort justement, rappelé le 25 avril, dans l’émission « Des paroles et des actes » sur France 2.
Le 5 mai sera la première occasion de traduire un véritable sursaut des consciences progressistes, en marchant à Paris contre l’austérité et la finance, pour une VI° République qui réoriente l’action publique vers l’intérêt général et qui permette aux citoyens de devenir souverains en toute chose. Une marche qui portera, en résumé, l’exigence d’une autre majorité de gauche gouvernant dans l’objectif de permettre au camp du travail d’arracher de nouvelles grandes conquêtes. À commencer, pour en revenir aux questions par lesquelles je débutais cette note, par des droits syndicaux étendus pour les salariés (ce dont était porteuse, en pointillé, la proposition d’amnistie sociale), et par l’instauration d’une sécurité sociale professionnelle garantissant la protection des travailleurs tout au long de leur vie, au lieu de précariser le travail ainsi que le fait l’ANI.
Il reste quinze jours pour commencer à faire se lever cette force à même de ”« rallumer tous les soleils »”, pour paraphraser la si belle maxime de Jean Jaurès.