De l’austérité à la guerre…
Un souci de santé passager m’a tenu quelques jours éloigné de ce blog. Me remettant au clavier, comment pourrais-je échapper aux deux sujets qui dominent la rentrée ? D’autant qu’il est des coïncidences qui, à elles seules, résument une trajectoire… C’est le même jour, le 27 août pour être précis, et presqu’à la même heure, l’un depuis Matignon, l’autre devant les ambassadeurs réunis à l’Élysée, que Jean-Marc Ayrault et François Hollande auront asséné deux coups de massue à un peuple de gauche qui doit, de plus en plus, se demander à quoi il servait de se débarrasser de Nicolas Sarkozy pour subir, en retour, une politique sans rupture avec le quinquennat précédent. Avec une logique de guerre qui surdétermine désormais la situation de notre Hexagone ! C’est ce que je voudrais ici développer, en précisant que cette analyse m’est à ce stade personnelle, ni le Front de gauche, ni ma propre organisation, Gauche unitaire, n’ayant encore décidé de leur position précise sur le problème syrien.
En accélérant le calendrier de la prétendue réforme des retraites, le Premier ministre, commençons par lui, aura délibérément ignoré ce que venaient de lui dire les organisations syndicales appelant à la journée de mobilisation du 10 septembre. Il importe peu, à dire vrai, que le gouvernement ait renoncé à une augmentation de la CSG pour lui préférer une hausse des cotisations au régime vieillesse. Car ce sont les salariés, actifs et retraités, que l’on va principalement pénaliser, dès lors que le patronat aura obtenu, en contrepartie de son très modeste effort, de nouvelles exonérations de ce que la pensée dominante désigne désormais comme des « charges », en l’occurrence de ses cotisations à la branche famille de la protection sociale (à hauteur de 5,4%). C’est à ces salariés que l’on imposera un énième allongement (qui, soyons-en sûrs, en appellera d’autres dans la configuration d’austérité sans fin et d’amputation des dépenses sociales que nous connaissons…) de la durée de cotisations nécessaire à l’obtention d’une pension à taux plein. Ce qui, inévitablement, frappera les jeunes, contraints de quitter l’activité bien après 65 ans, et se traduira par une baisse des prestations, dans la mesure où une majorité de travailleurs n’a déjà plus d’emploi à 60 ans.
Plutôt que de donner la priorité à la relance de l’activité, au pouvoir d’achat, à la réindustrialisation du pays et à la transition écologique de l’économie, qui seraient génératrices de création de centaines de milliers d’emplois ; plutôt que de régler, ce faisant, un déficit au demeurant fort limité (de l’ordre d’un peu plus de sept milliards à l’horizon de 2020, si l’on en croit le rapport de Yannick Moreau) du système de retraite ; plutôt que d’aborder ce dossier sur le temps long, alors que la France connaît une progression remarquable de sa démographie ; plutôt que de mettre à contribution les revenus financiers, que l’on épargne une fois encore… C’est aux vieilles recettes du libéralisme, vermoulues et en échec partout sur le continent européen, que l’on aura fait appel. Comme l’exigeait, le 25 août, dans les colonnes du ”Journal du dimanche”, Monsieur Olli Rehn, le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, dont les objurgations servent décidément de boussole à nos gouvernants !
Mais c’est la décision du président de la République d’engager la France dans les opérations de guerre décidées à Washington contre la Syrie qui confère à la logique gouvernementale une cohérence authentiquement dramatique. Dépourvue, de surcroît, de la plus élémentaire dignité puisque, suite à la défection britannique, nous nous retrouvons embarqués sur la galère de la toute-puissance américaine, sans même que Barack Obama ne nous convie dans le poste de pilotage. Et en la seule, et peu reluisante, compagnie du Qatar, de l’Arabie saoudite et d’un gouvernement turc qui, après avoir brutalement réprimé le « printemps » de sa jeunesse, entend s’imposer comme puissance régionale en concourant à la chute de Bachar El-Assad. Nous assistons ici à la conversion insidieuse de l’exécutif au système de pensée qui a mené la planète à toutes les catastrophes de ces dernières années.
LA CONTAMINATION DU NÉOCONSERVATISME
Une économie mondialisée, financiarisée et globalisée a fini par réunir les ingrédients d’une crise à nulle autre semblable. Comme à l’occasion de chacune des grandes tempêtes ayant balayé le capitalisme tout au long de son histoire, les tensions ont été portées à un point d’incandescence, au point d’assister à la plongée de continents entiers, telle l’Afrique, ou de régions essentielles aux équilibres du globe, comme le Proche et le Moyen-Orient, dans des situations de chaos, de désintégration des sociétés et des États, de guerres civiles.
Ce fut la grande victoire du néoconservatisme, installé à la tête des États-Unis avec les administrations Bush, que d’avoir su imposer à la « communauté internationale » l’idée de réponses prioritairement militaires à tous ces dérèglements. Au nom du ”« choc des civilisations »”, de la ”« guerre au terrorisme »” et du droit de l’« Occident » – en pratique de ses têtes de gondole -, de recourir à l’ingérence partout où il le jugeait bon… Sous prétexte, aussi, d’exporter la démocratie, telle que la conçoit du moins l’idéologie néolibérale… En réalité, avec pour seul dessein de défendre les intérêts fondamentaux des grandes puissances et des firmes transnationales au moyen de la force armée…
J’adhère sur ce point, sur ce seul point, à l’analyse que tentait Dominique de Villepin voici quelques années (”La Cité des hommes”, Plon 2009) de cette militarisation généralisée des esprits qui, de l’invasion de l’Irak à l’intervention en Libye, en passant par la longue guerre d’Afghanistan ou par l’envoi d’unités françaises en Côte d’Ivoire pour y installer un nouveau président, aura généré des catastrophes en série. Il écrivait à juste titre que le néoconservatisme ”« a conduit à la stigmatisation non seulement d’États, mais de populations et de cultures. Il a installé deux poids deux mesures pour les pays, en rejetant certains dans l’axe du mal absolu, en conservant d’autres, non moins autocratiques, parmi les privilégiés. Ce qui se voulait une thérapie de choc par la crise contrôlée est devenu un cercle vicieux du discrédit des valeurs promises ».”
C’est bien, pourtant, dans le même type de processus que nous entraîne maintenant le nouvel hôte de l’Élysée, oubliant que le Parti socialiste avait en son temps dénoncé – comme nous – la conquête de Bagdad et la fuite en avant de Monsieur Sarkozy à Kaboul. Nul n’a le droit de pêcher par naïveté, les coups de menton volontaires que multiplie ces temps-ci François Hollande sur le dossier syrien ne doivent rien à un souci de moraliser les relations internationales, mais tout à sa volonté de s’inscrire dans la rupture, opérée par ses prédécesseurs, avec les positions traditionnelles de la France dans cette partie du monde. En quelques années, le réajustement de la diplomatie française sur la ligne de Washington se sera, en effet, manifesté avec des conséquences majeures que l’on ne saurait sous-estimer.
L’alignement sans barguiner du chef de l’État sur la volonté de la Maison Blanche de frapper la Syrie entre dans la même logique que le renversement de Khadafi en Libye, la désignation des pouvoirs syrien et iranien comme le nouvel ”« axe du mal »” au Proche et au Moyen-Orient, la complaisance manifestée devant l’annexion israélienne des territoires palestiniens (on a, d’ailleurs, trop peu relevé la récente déclaration de Laurent Fabius qui, rencontrant Shimon Pérès, en sera venu à désavouer la décision de l’Union européenne de sanctionner les relations économiques et commerciales avec les colonies illégalement implantées en Cisjordanie ou à Jérusalem), les ingérences répétées dans la vie politique du Liban qui se conjuguent à présent avec le consentement donné à l’inscription du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes (que l’on éprouve peu de sympathie pour le projet de société de cette organisation ne peut conduire à ignorer sa représentativité auprès d’une très large partie de la population de ce pays), le silence observé devant les agissements intérieurs ou régionaux des monarchies du Golfe (non moins odieuses que la tyrannie assadienne…).
Pour un peu, on se croirait revenu 23 ans en arrière, lorsque François Mitterrand se lançait, contre l’opinion d’une majorité des Français et du peuple de gauche, dans l’aventure de la première guerre du Golfe en intégrant l’alliance emmenée par George Bush père. À l’époque aussi, la satellisation de la France par le dispositif diplomatique et militaire de Washington complétait ses reniements intérieurs et sa conversion au modèle néolibéral. À une distinction près toutefois : le président socialiste avait attendu dix ans avant d’ajouter la guerre à son ralliement à la loi de l’argent. Son successeur aura mis dix-huit mois !
UNE DÉCISION INFONDÉE JURIDIQUEMENT…
Sur le plan du droit, l’expédition américano-française contre la Syrie ne repose sur aucun fondement valable. Quelles que fussent les précautions langagières par lesquelles deux des principales composantes de l’Otan, sur-militarisées et nucléarisées, se défendent de chercher à renverser le régime de Damas…
Tout d’abord, États-Unis et France ne peuvent se revendiquer d’aucune légalité internationale, puisque le Conseil de sécurité ne leur a pas donné son aval. On me dira, et j’en conviendrai volontiers, que la caution de la plus haute instance de l’ONU (au sein de laquelle quelques superpuissances ont seules voix au chapître) ne saurait à elle seule valoir légitimité, la première guerre d’Irak en aura fait la démonstration éloquente en 1990-1991. À ceci près que rien, pour autant, ne pourra jamais justifier qu’un seul État, ou une coalition, tirant argument de la puissance de feu dont ils sont seuls dépositaires, puissent décider unilatéralement de ce qui leur paraît bon pour la planète. Pour problématique qu’elle apparût, la légalité internationale s’avère par conséquent un frein aux conquêtes impériales et aux ambitions hégémoniques.
Ensuite, comme dans un remake saisissant du matraquage médiatique qui préluda à l’offensive ayant mené à la chute de Saddam Hussein en 2003, la coalition belligérante se montre parfaitement incapable de fournir le plus petit élément de preuve quant à l’utilisation de gaz toxiques par l’armée de Bachar El-Assad. Monsieur Kerry truffe ses interventions d’un ”« We know »” martial (« Nous savons »). On convoque à la rescousse des rapports « classifiés » de nos services de renseignement (dont chacun a pu vérifier, en d’innombrables occasions, l’impartialité et la fiabilité !) censés dégager ”« un faisceau d’indices »”. On va même jusqu’à commettre, telle la directrice du ”Monde”, Madame Nougayrede, cette phrase hallucinante selon laquelle ”« nul ne doute que si, sur place, les inspecteurs de l’ONU ne trouvent pas de preuves, c’est que le régime syrien s’est employé à les détruire »”. Autrement dit, peu importe la réalité du dossier pourvu que les opinions fussent saisies d’horreur à la seule évocation d’un pouvoir ”« fou »” et ”« inquiétant pour le monde »”…
Le résident de la rue Saint-Honoré ne peut, à cet égard, se revendiquer du précédent malien. Rien de commun, quoi que l’on ait pu en dire par ailleurs, entre une intervention sous mandat onusien et qui se voulait destinée à protéger les populations d’une possible instauration de la Charia par des colonnes fondamentalistes souvent venues de l’extérieur, et le déclenchement aujourd’hui programmé de bombardements dont personne n’est capable d’exposer quel est le véritable objectif. Ne serait que pour cette raison, François Hollande eût été mieux inspiré de réagir à la manière d’Ed Milliband, le leader des travaillistes d’outre-Manche, avant que les Communes ne désavouent sèchement Monsieur Cameron, lequel leur proposait de suivre comme d’ordinaire le leadership américain : ”« Après l’Irak, plus personne ne peut avoir confiance en ce que nous disons. »” Cela lui eût évité le déshonneur de prendre la place traditionnellement dévolue à l’hôte de ”Downing Street”, celui de « caniche » des États-Unis.
Parlons sans détours : il ne fait guère de doute que le régime de Damas ait pu commettre le crime monstrueux qu’on lui attribue. Son arsenal d’engins de destruction en tout genre est très probablement colossal. Les 100 000 victimes recensées depuis le début des affrontements qui détruisent la Syrie sont de sa responsabilité, dès l’instant où c’est lui qui chercha à écraser sous ses bombes et les chenilles de ses chars l’aspiration du peuple syrien à la liberté. Ce qui n’exonère en rien l’opposition armée, au sein de laquelle un courant jihadiste lié à Al-Qaida monte en puissance, de tout soupçon. Haytam Manna, du comité de coordination syrien pour le changement démocratique, autrement dit ceux des opposants à Bachar qui récusent l’option militaire, vient d’ailleurs de mettre en doute, dans le journal belge ”Le Vif”, les assertions des chefs d’État occidentaux : ”« Je n’ai pas encore de certitude, mais nos informations ne concordent pas avec celles du président Hollande. On parle de milliers de victimes, alors que nous disposons d’une liste de moins de 500 noms. On est donc dans la propagande, la guerre psychologique, et certainement pas dans la vérité. Ensuite, les armes chimiques étaient artisanales. Vous pensez vraiment que l’armée loyaliste, surmilitarisée, a besoin de cela ? Enfin, des vidéos et des photos ont été mises sur Internet avant le début des attaques. Or, ce matériel sert de preuves aux Américains.” (…) ”On sait que des armes chimiques ont déjà été utilisées par Al-Qaida… »”
Que ces éléments se confirment par la suite ou non, la plus élémentaire prudence voudrait donc, dès l’instant où l’on prétend réagir au nom de principes universels, que soient livrés aux citoyens et à l’opinion internationale des faits précis autant que vérifiés. Et que l’on cesse, à l’inverse, d’infantiliser ces derniers et de les instrumentaliser avec un cynisme qui rappelle furieusement la capsule brandie par l’émissaire de George W. Bush, Colin Powell, devant le Conseil de sécurité, lorsqu’il fallait à tout prix démontrer que Saddam possédait des armes de destruction massive…
Au demeurant, il est à peine croyable que des gouvernements démocratiquement désignés osent parler de ”« punir »” le maître de Damas, et même de ”« punir un pays qui a utilisé l’arme chimique »” comme l’a fait le président de la République à l’occasion d’un raccourci glaçant de son interview au ”Monde” du 31 août. Croit-on vraiment qu’une action de guerre, fût-elle réduite à des tirs de Tomahawk et d’Exocet sur des cibles circonscrites punirait le seul régime, alors que l’on connaît leurs effets collatéraux, n’épargnant pas les civils et provoquant de terribles destructions dans un pays qui n’en pas vraiment besoin ? Depuis quand, et en vertu de quelles règles de droit internationalement reconnues, des armées peuvent-elles se voir attribuer la tâche de rendre la justice dans un autre pays que le leur ? Comment ne saisirait-on pas le glissement qui s’opère ici, de l’”« ingérence humanitaire »” qu’il était de bon ton d’invoquer à une certaine époque, à la faculté revendiquée par une Otan concentrant les deux tiers des moyens militaires mondiaux de dénouer des crises locales ou régionales comme elle l’entend ? Peut-on ignorer que certains des propos de notre président dépassent le cadre d’une riposte « ciblée » pour évoquer le pur et simple renversement d’Assad ?
… ET ABSURDE POLITIQUEMENT
Politiquement, l’expédition américano-française ne relève pas moins du non sens. Certes, initialement, c’est bien à un soulèvement populaire massif que fut confronté le Baas syrien, dans le prolongement des processus révolutionnaires balayant alors le monde arabe. La base sociale du pouvoir restait néanmoins plus étendue que celle d’un Ben Ali en Tunisie ou d’un Moubarak en Égypte, dans cet État-mosaïque que l’histoire a formé entre sunnites, chiites, alaouites, Druzes, Kurdes et chrétiens. Quant à l’opposition laïque et démocrate, pour l’essentiel hostile à la militarisation du combat, elle se retrouva vite marginalisée avec l’entrée dans le conflit du Qatar et de la Turquie qui, appuyés par les « Occidentaux », financèrent et armèrent la rébellion armée. Laquelle, du fait de son hétérogénéité, aura vite vu les groupes islamistes les plus radicaux, Frères musulmans d’abord et mouvements proches d’Al-Qaida maintenant, en devenir l’aile marchante.
De sorte que l’aspiration démocratique de tout un peuple ne tarda pas à se voir prise en otage par l’engagement d’une véritable guerre civile. Pour le plus grand bénéfice d’un régime reposant sur l’armée, qui retrouva dans cette configuration son terrain de prédilection, la confrontation par les armes. Et qui parvint, pour cette raison, à regagner des soutiens parmi les secteurs de la population qu’effrayait légitimement la perspective d’une possible domination du pays par l’intégrisme sunnite.
Autant dire que les frappes de la coalition « occidentale » ne pourront qu’affaiblir encore le camp progressiste, ajouter du drame à la misère, conforter des forces qui ne sont pas moins tyranniques qu’une dictature qui entend à tout prix se maintenir aux commandes, étendre le chaos aux voisins de la Syrie, aviver un peu plus le conflit régional entre chiites et sunnites, porter à leur paroxysme les tensions avec un pouvoir iranien qui se sentira obligé de réagir à l’isolement dont il est menacé. Sans parler du fait que ce nouvel épisode guerrier sert de prétexte à un face-à-face armé avec la Russie – sans doute symbolique, mais inédit depuis l’effondrement des dictatures staliniennes de l’Est -, laquelle vient d’annoncer la présence de huit de ses bâtiments lance-missiles sur la base de Tartous sur la côte syrienne. À l’arrivée, on aura encore éloigné la solution politique grâce à laquelle, dépassant les fractures ethniques ou confessionnelles, les citoyens de Syrie pourraient décider librement de leur avenir.
Il n’en est que plus scandaleux que, cette fois encore, contrairement à ce qui s’est passé outre-Manche et alors que le locataire de la Maison Blanche lui-même aura dû se résigner à solliciter l’accord du Congrès, les Assemblées françaises fussent mises devant le fait accompli, l’exécutif campant obstinément sur les prérogatives discrétionnaires que lui octroie la Constitution. Ainsi le veut la logique d’institutions dont le président, en majesté, peut décider d’entraîner le pays dans n’importe quelle aventure, sans que la représentation nationale ait un quelconque moyen de s’y opposer. On l’informera, bien sûr, mais sans qu’il puisse bloquer l’enclenchement de la mécanique fatale. Il restera toujours aux citoyens la possibilité d’exprimer leur opposition… au travers des études d’opinion.
LE CHOIX DE LA POLITIQUE… ET DE LA DÉMOCRATIE
Les premiers missiles n’étaient pas tombés sur la capitale syrienne que, déjà, le chœur des va-t-en-guerre se précipitait sur les plateaux de télévision pour accuser les opposants à l’engagement français d’indifférence au sort des populations syriennes… voire de « pacifisme ». Un terme des plus infâmants, puisqu’il suggère leur parenté avec les courants qui, sous prétexte d’éviter la guerre peu avant 1940 en France, dissimulaient en fait leur connivence avec le III° Reich. Ceux-là n’ont même pas l’excuse de la sincérité.
Je peux comprendre, et partager sans réserve, l’indignation d’hommes et de femmes que révulse la barbarie du clan Assad. Mais les autres… Ils ont, pour certains d’entre eux, soutenu ”« l’héroïsme »” des GI’s face aux unités démoralisées et désorganisées de Saddam Hussein. Ils ont applaudi au ”« courage »” et à la ”« clairvoyance »” de Nicolas Sarkozy en Libye. Et puis, quand le désastre des opérations qu’ils avaient soutenues aura été patent, lorsque la déstabilisation généralisée du Proche-Orient aura favorisé une dissémination des armements jusqu’au cœur de l’Afrique saharienne, lorsque des réseaux totalitaires auront été encouragés partout à se lancer dans le Jihad, ils auront pudiquement détourné les yeux. Laissant les peuples à leur détresse ! Chaque fois que je les entends, je me remémore cet article qu’Antonio Gramsci avait intitulé « Le chant des sirènes » et qui visait « les professionnels de la guerre » : ”« Il y en a qui travaillent toujours, constamment, pour déclencher la guerre. Parce qu’il a ceux qui ne cessent de jeter des étincelles sur les poudres inflammables, et travaillent parmi les hommes, font naître les doutes, sèment les paniques. Parce qu’il y a des professionnels de la guerre, parce qu’il y a ceux qui profitent de la guerre, quand bien même la collectivité, les collectivités nationales n’en retireraient que des morts et des ruines. »”
Nul doute que l’horrible Bachar El-Assad doive « dégager ». Comme il fallait hier que tombe l’infâme dictature de Saddam. Comme il s’imposait d’en finir avec Zine el-Abidine Ben Ali, Hosni Moubarak et tous leurs semblables… Y compris au Yémen (où la « communauté internationale » ignora les massacres de masse perpétrés par le potentat Ali Abdallah Saleh, surnommé ”« le boucher »” par sa population) ou dans les émirats, et singulièrement à Bahreïn, où on laissa passivement les Saoudiens rétablir dans le sang, le 14 mars 2011, l’ordre dynastique. Sauf que les moyens utilisés pour y parvenir déterminent toujours la fin.
Si les peuples égyptien et tunisien conservent, en dépit de toutes les difficultés rencontrées, la capacité de submerger les rues contre ceux qui voudraient substituer un despotisme théocratique aux tyrannies corrompues qui ont été abattues, c’est qu’ils n’auront dû qu’à eux-mêmes leurs victoires de 2011. En d’autres termes, à l’inverse de ce que l’on aura fait à Tripoli, c’est à travers le soutien aux formations démocratiques, l’aide apportée au peuple afin qu’il pût développer ses capacités d’action autonomes, l’appui humanitaire aux civils privés de l’essentiel (l’ouverture de « corridors » peut y contribuer, tout comme la mise en place de zones d’exclusion aérienne), la protection internationale des milliers de réfugiés s’entassant dans des camps de fortune, que réside une possible issue à la tuerie en cours.
Oscillant en permanence entre le désir de reprendre durablement pied dans cette zone au plus haut point stratégique, en y faisant étalage de leur redoutable potentiel de destruction, et la crainte d’alimenter l’influence grandissante de leurs ennemis islamistes de demain, les grandes puissances n’ont fait que jeter de l’essence sur un incendie qu’elles sont désormais incapables d’éteindre. Elles seront mêmes allées jusqu’à faire échouer tout récemment, la France en tête, alors que l’opportunité s’en présentait, la tenue d’une conférence internationale, baptisée « Genève 2 » en langage diplomatique, dont eussent pu sortir une solution politique et des élections libres. Elles doivent maintenant cesser de jouer les pompiers-pyromanes.
Depuis le discours présidentiel devant la conférence annuelle des ambassadeurs, la voix de la raison se sera plusieurs fois faite entendre. Y compris dans le sondage BVA-”Le Parisien”-I Télé qui, ce 31 août, révélait que 64% de nos concitoyens étaient hostiles à la participation de la France à l’armada de Barack Obama. Elle doit devenir celle de la gauche dans ses profondeurs et dans sa diversité, tant il est vrai que l’on ne peut, en ce moment crucial, dissocier la soumission aux exigences des marchés de l‘épopée guerrière dans laquelle se lancent nos gouvernants. Après tout, c’est François Hollande lui-même qui, dans sa longue interview de cette fin août au Monde, a tenu à souligner le lien entre sa politique d’austérité et son action internationale…