Refuser les intimidations de Madame Le Pen !
Voilà une question dont il ne faut pas mésestimer l’importance. Madame Le Pen vient d’annoncer qu’elle utiliserait tous les moyens à sa disposition, à commencer par la saisine des tribunaux, pour interdire que l’on classe son parti à l’extrême droite. Une menace qui n’est pas nouvelle de la part de cette famille politique, le père de la présidente actuelle du Front national s’étant déjà livré (sans succès…) à un identique exercice d’intimidation. Cette fois pourtant, en menaçant des foudres de la justice quiconque oserait appeler un chat pour ce qu’il est, donc ramener une force dangereuse pour le progrès social et la démocratie à son exacte place sur l’échiquier politique, il s’agit de conclure la stratégie de ”« dédiabolisation »” qui semble si bien marcher actuellement.
Parlons clair : rien ne doit être négligé pour mettre en échec cette nouvelle prétention de la famille Le Pen. Un front large, sans exclusive doit se former afin qu’il puisse continuer à être dit et proclamé que la présidente du FN ne dirige pas une formation comme une autre. Tout a, d’ailleurs, été dit ou presque sur le sujet.
Par ses racines comme par son histoire, par son programme comme par ses pratiques d’hier et d’aujourd’hui, le Front national s’inscrit bel et bien dans la tradition de l’extrême droite. Sauf que, en reprenant à leur compte un certain nombre de ses thématiques, en l’assimilant volontiers à ”« l’extrême gauche »” que représenterait selon eux le Front de gauche (au mépris, il faut le noter, du prix du sang que les nôtres ont acquitté dans une défense permanente de la liberté et des droits humains), en se défiant avec hauteur de toute idée de ”« front républicain »” (par-delà l’ambiguïté d’un terme que je me suis toujours interdit d’utiliser), en envisageant même de pouvoir le réintégrer dans l’arc républicain par l’évocation d’un vote possible en sa faveur (à l’instar de Monsieur Fillon), d’aucuns à droite lui ont permis de se banaliser. Au point de voir de nouveaux secteurs de l’électorat le plébisciter ou l‘imaginer prochainement aux affaires…
Sans doute, le lepénisme de 2013 ne s’exprime pas à la manière des Ligues fascistes de l’entre-deux guerres, des partisans de l’OAS au temps de la guerre d’Algérie, des groupuscules activistes qui furent à la base de la proclamation du FN au tournant des années 1970, sans même parler du natif de la Trinité-sur-Mer lorsqu’il entama son ascension des années 1980-1990. A-t-il pour autant changé, au point que l’on puisse lui donner acte de la sincérité de son discours républicain d’aujourd’hui ? Certainement pas.
Dans un ouvrage datant de 2011 (”Marine Le Pen”, aux éditions Grasset), Caroline Fourest et Fiametta Venner écrivaient à juste titre : ”« Le FN de Marine Le Pen tient, comme celui de son père, un discours opportuniste, à double sonorité : laïque et républicain côté face, mais nationaliste et xénophobe côté pile. Il ne dénonce pas la mondialisation mais le ‘’mondialisme’’ (entendez cosmopolitisme), le libre-échange mais le libre-échangisme (entendez le mélange débraillé et immoral), l’intégrisme mais l’‘’islamisation’’ (entendez l’immigration musulmane). Sa présidente a beau lisser son discours, utiliser les codes de la République et de la laïcité, mettre en avant ses stigmates d’enfant discriminée pour attendrir, organiser voire provoquer l’indignation pour apparaître en martyre… Au bout du compte, la France dont elle rêve est à l’inverse de ce qu’elle promet. Non pas belle, forte et sûre. Mais craintive, divisée, isolée et en danger. »” Les auteures eussent, d’ailleurs, pu et dû compléter leur énumération de la visée éminemment réactionnaire au plan social et de la détestation du mouvement syndical qu’expriment tous les textes de ce parti.
Plutôt que d’enliser la réflexion intellectuelle et politique dans des caractérisations approximatives – comme celle de ”« national-populisme »”, qui a souvent tôt fait de glisser dans un mépris certain d’un peuple qui en vient, par désespoir, à s’égarer dans le soutien à des formations de ce type -, et sans céder à la facilité des assimilations hasardeuses, on devrait à cet égard relire la puissante synthèse historique à laquelle s’est attaché Zeev Sternhell à propos du fascisme des origines. On y trouverait tout ce qui lie le FN ”new-look” à son lointain passé, tout ce qui le rattache encore à ses origines, tout ce qui relie la ”« préférence nationale »” par exemple à l’idéologie de haine née dans les tourmentes paroxystiques du capitalisme. Sternhell décrit ainsi, comme le ”« dénominateur commun »” de cette tradition la volonté de ”« jeter les bases d’une nouvelle civilisation. Une civilisation communautaire, anti-individualiste, seule capable d’assurer le pérennité d’une collectivité humaine où seraient parfaitement intégrées toutes les couches et toutes les classes de la société »” (in ”Ni droite, ni gauche”, chez Fayard).
Une fois tout cela dit, on ne saurait s’arrêter au juste refus de voir banaliser l’inacceptable, ainsi que vient d’y appeler Jean-Christophe Cambadélis. C’est un défi d’une tout autre ampleur qui se trouve posé à la gauche. L’extrême droite, que l’on désignera en chaque occasion pour ce qu’elle est vraiment, se nourrit en effet d’une précarisation massive, d’une injustice si généralisée qu’elle participe de l’obscurcissement de l’avenir et du démantèlement insidieux d’une République proclamant l’égalité au fronton de ses bâtiments officiels. La faire refluer, c’est d’abord refuser ces dévastations du néolibéralisme, auxquelles un gouvernement élu pour gouverner à gauche prête son concours. C’est reprendre le chemin des valeurs fondatrices de la gauche. C’est retrouver le camp du peuple en luttant contre le pouvoir de la finance. C’est renouer avec la volonté de changer la vie. C’est, en bref, ressusciter l’espoir…