Ce qu’annonce le Sarkogate
Tous ces orages qui éclatent, ces derniers temps, au-dessus de la Sarkozie, annoncent la tempête qui ne va pas tarder à se lever sur le système de représentation politique et institutionnel dans son ensemble.
Un jour, c’est le président de l’UMP, l’arrogant Monsieur Copé, qui se trouve accusé d’avoir favorisé une société de communication dirigée par deux de ses proches, laquelle aurait lourdement surfacturé l’organisation des meetings de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012 ; si les comptes du président de la République sortant n’avaient pas été rejetés par le Conseil constitutionnel pour un dépassement indu de onze millions, ce sont les finances publiques, donc les contribuables, qui eussent dû acquitter la facture. Le lendemain, c’est le conseiller occulte (mais fort influent…) du locataire élyséen dont on dénonce les pratiques d’espionnage des réunions auxquelles il participait en compagnie des plus hauts dignitaires de l’État ; le même avait déjà été mis en cause précédemment pour l’importance des sommes qu’il se faisait régler en échange de ses lucratives activités d’expert en politologie. Enfin, cerise sur le gâteau, c’est l’ancien premier personnage de nos institutions lui-même qui se retrouve dans l’œil du cyclone, rattrapé par les affaires qui pourraient l’impliquer personnellement ; cette fois, on apprend qu’il aura été placé sur écoutes avec ses deux anciens ministres de l’Intérieur, qu’il est suspecté de trafic d’influence et violation du secret de l’instruction, et que les investigations policières auront amené à la perquisition des bureaux de l’avocat général près de la cour de cassation, l’un des plus éminents personnages de la plus haute instance judiciaire de notre pays.
À dire vrai, nous n’aurons rien appris de bien nouveau au travers de cette avalanche de révélations ayant fait l’actualité de notre week-end. D’affaires Bettencourt ou Tapie en suspicions de financement de la première campagne de Nicolas Sarkozy par des fonds libyens, d’intervention active des émissaires de l’Élysée dans le processus de fusion entre la Banque populaire et la Caisse d’épargne en rappels réguliers de l’univers mental des précédents gouvernants où l’argent s’avérait manifestement une obsession récurrente, sans parler du spectre des rétrocommissions ayant pu servir à subventionner la campagne Balladur de 1995 (dossier qui pourrait parfaitement éclabousser celui qui était alors le porte-parole du candidat), on savait à peu près tout des mœurs du petit clan installé aux commandes de la France cinq années durant.
On connaissait notamment les arcanes de la machine à conquérir la magistrature suprême construite de longue date par l’ex-maire de Neuilly. D’innombrables articles ou ouvrages avaient révélé l’importance, dans cette marche au pouvoir d’un homme et de ses affidés, de cette base arrière que constituait le département des Hauts-de-Seine, littéralement accaparé par la droite la plus affairiste qui se pût imaginer. Le recours à l’expertise avisée de Monsieur Buisson, personnalité sulfureuse revendiquant fièrement sa filiation avec les lointains camelots du roi (les sections d’assaut de l’Action française, pour faire bref), avait souvent été considéré comme à l’origine du projet sarkozyste de contre-révolution conservatrice, puis de la droitisation constante du discours présidentiel à partir de 2007.
D’ailleurs, dès 2010, Antoine Perraud avait, pour ”Mediapart”, parfaitement résumé la nature du sarkozysme : ”« Pour Nicolas Sarkozy, les réseaux et les clans permettent de transgresser les frontières, de s’affranchir des limites, de brouiller les pistes entre le bon plaisir et l’éthique de responsabilité. De telles coteries complaisantes l’aident à renforcer en permanence une estime de soi parfois saisie d’inquiétude. Surtout, de telles factions, en se substituant aux contre-pouvoirs propres au régime démocratique ou en les sapant, servent le penchant bonapartiste d’un président qui n’admet pas la séparation des pouvoirs »” (in ”N’oubliez pas ! Faits et gestes de la présidence Sarkozy”, éditions Don Quichotte). La nouveauté vient cependant du fait que l’étalage présent de ces turpitudes finit de ruiner ce qu’il restait d’autorité à la clé de voûte de la V° République : l’institution présidentielle.
LA LENTE ET INEXORABLE DÉRIVE D’UN RÉGIME
Je dis que cela ”« finit de ruiner »” la légitimité de la fonction de premier personnage de l’État, car le travail avait été largement entamé par l’ensemble des successeurs du général de Gaulle rue du faubourg Saint-Honoré. Et que le présent locataire du « Château », qui avait pourtant promis d’exercer un quinquennat ”« normal »”, se sera vu lui-même, avec l’explosion de la bombe Cahuzac au cœur du dispositif qu’il venait de mettre en place pour imposer l’austérité aux Français, rattrapé en quelques mois par le fonctionnement pervers d’un système fondé sur le mensonge, l’opacité entourant les centres de décision, la contamination des partis se succédant aux manettes par la domination de l’argent-roi, le cynisme absolu d’une élite certaine de son impunité.
De fait, chacun des présidents entrés en fonction depuis 1969, aura apporté sa pierre à la dérive d’un régime. Dérive devenue de moins en moins supportable aux citoyens dès lors que Messieurs Chirac et Sarkozy, au fil de dix-sept longues années, ne mirent plus guère de formes à la pratique clanique du pouvoir, quintessence de ce bonapartisme évoqué ci-dessus par Antoine Perraud.
Avec Charles de Gaulle et la proclamation d’une monarchie républicaine tenant le Parlement en lisière dans le même temps qu’elle atrophiait les principes fondateurs de la République, ledit bonapartisme avait arboré une certaine flamboyance grâce à la sortie de la guerre d’Algérie comme des crises à répétition du parlementarisme caractéristique de la IV° République, tandis que la France entrait spectaculairement dans la modernité capitaliste des Trente Glorieuses. Tous ceux qui lui succédèrent se revendiquèrent bien de l’héritage, prétendant nouer une relation directe avec le peuple dont ils tenaient leurs mandats de par leur désignation au suffrage universel, tout en affichant les signes de leur prestige princier. En pratique, ils ne furent que des clones chaque fois plus médiocres, au point d’engager le système tout entier dans un lent mais inexorable processus de décadence. Même François Mitterrand, porté au départ par un immense espoir de changement et dont on ne saurait nier le talent, quitta ses fonctions en ayant plongé le pays dans une crise sociale et morale sans précédent, une large partie de la gauche ayant entamé avec lui le long chemin de sa désintégration sociale-libérale.
Plus précisément, chacun de ces monarques déclinants aura apporté sa pierre à ces mécanismes qui consacrent la prééminence présidentielle, méprisent les partis comme les « corps intermédiaires », éliminent ainsi ”de facto” les contre-pouvoirs, manifestent une tendance récurrente à placer la presse sous contrôle, favorisent les techniques plébiscitaires et démagogiques, développent autour du Prince ces phénomènes de cour octroyant aux fidèles plutôt qu’aux élus du suffrage populaire les postes de responsabilité, plaçant le fonctionnement de la machine étatique à l’abri de tout contrôle public. Et comme, dans le même temps, tous auront accompagné l’avènement d’un nouveau capitalisme consacrant la toute-puissance de la finance, nous aurons au long de cette période assisté à l’explosion d’une corruption avilissant la démocratie. De sorte que pût s’appliquer à n’importe lequel d’entre eux, et tout particulièrement bien sûr à Monsieur Sarkozy, l’impitoyable description que le grand Victor Hugo avait en son temps fait de ”« Napoléon le Petit »” : ”« Qu’est-ce que c’est que ce cauchemar-là ? D’un côté une nation, la première des nations, et de l’autre un homme, le dernier des hommes, et voilà ce que cet homme fait à cette nation ! Il la foule aux pieds, il lui rit au nez, il la raille, il la nie, il l’insulte, il la bafoue ! »”
UNE ONDE DE CHOC AUX EFFETS DÉFLAGRATEURS
Nous avons un devoir de lucidité. La répétition, à en générer une nausée irrépressible dans le corps social, de ces scandales n’épargnant pas un seul des corps constitués de l’Hexagone – jusqu’à la plus haute magistrature du siège, comme on le voit à l’occasion du Sarkogate en cours – crée désormais un climat qui n’est pas sans points communs avec celui qui vit la I° République s’effondrer en Italie sous le poids de son délitement politique et moral. Hélas, les Italiens l’auront payé du long règne du populisme médiatico-financier d’un Berlusconi et de la quasi-disparition d’une gauche emportée par ses renoncements, au prix du vide sidéral continuant à caractériser la vie publique de la Péninsule jusqu’à aujourd’hui, autant que du surgissement d’aventuriers se nourrissant de la désespérance d’une population jadis l’une des plus politisées du continent.
Nous n’en sommes évidemment pas là en France. À ceci près que, sur la toile de fond d’une précarité frappant des millions de personnes et des régressions sociales induites par trois décennies de libéralisme cynique, la légendaire solidité de nos institutions n’est plus qu’apparence. Que la défiance grandit, chez « ceux d’en bas », envers la politique. Qu’en miroir d’un arc gouvernemental piétinant toutes ses promesses de 2012 et d’un mouvement social qui ne trouve pas le chemin de sa contre-offensive, il n’apparaît pas encore de perspective de gauche à même de catalyser positivement la colère qui monte de la société. Que toute l’expérience historique atteste que l’espace de la rébellion à l’iniquité, s’il est laissé vacant, finit toujours par être occupé par les tenants du pire…
Replacer la démocratie au centre du projet qu’il est devenu vital de proposer aux citoyens, mettre fin sans tarder aux privilèges d’une oligarchie politico-financière ayant transformé ce pays en otage de sa soif de domination et de profits, reconstruire le lien entre le peuple et les institutions à travers lesquelles il est censé s’exprimer, faire confluer dans une même dynamique transformatrice l’aspiration à la liberté et l’exigence de justice sociale : tel est le programme de la République nouvelle auquel le Front de gauche entend s’identifier depuis sa création. Cette VI° République qu’il s’agit à présent d’opposer aux errements des institutions en place, aux dévastations des politiques de classe qu’elles ont permis d’initier, aux pêcheurs en eau trouble qui se posent en sauveurs dans les périodes de grande confusion. Et qui se devra de porter le fer à la racine de la décomposition politique présente, « l’institution monarchique greffée sur la République », pour parler comme le philosophe Jacques Rancière. Lequel est parfaitement fondé à considérer que « l’institution présidentielle est une institution clairement pensée comme antidémocratique, créée en France en 1848 pour préparer un retour à la royauté et recréée par de Gaulle pour contrebalancer la ‘’pagaille’’ populaire ».