Le temps des bonapartismes de l’impuissance

Annoncé au lendemain de la conférence de presse du tenant du titre, le retour de Nicolas Sarkozy sur le devant de la scène hexagonale ouvre un nouveau chapitre de la crise française. Contrairement à ce qu’annoncent (ou croient) ses zélateurs, avec l’aide de médias mobilisés depuis des semaines par ce prétendu événement, l’acte de candidature de l’ex-président aspirant à le redevenir n’ouvre pas, en effet, au pays et à sa classe dirigeante, le chemin d’un rétablissement de l’autorité et de la légitimité du pouvoir suprême, lesquelles se sont largement évanouies au fil des ans, bien avant l’entrée en fonction de François Hollande.

Il est, à cet égard, frappant que, chacun dans son registre, l’actuel résident de l’Élysée et son prédécesseur campent sur une posture des plus bonapartistes, du moins dans le ton et la forme. Lors de son one man show du 18 septembre, l’élu du 6 mai 2012 n’aura eu de cesse de délivrer un message censé prendre le contre-pied de son image dans l’opinion : ”« Ce que je sais, d’expérience, c’est que la fonction présidentielle est exceptionnelle. Cela ne conduit pas à l’isolement, ça n’éteint pas des douleurs. Cela donne une expérience. Aujourd’hui, j’ai l’expérience qui permet d’affronter toutes les situations. C’est dur ! »”

Pour sa part, bien que postulant, à cette étape du moins, à prendre seulement la tête de la formation dominante de la droite française, Nicolas Sarkozy se sera surtout efforcé, sur sa page ”Facebook”, de signifier aux Français qu’il avait une tout autre visée : ”« Je suis candidat à la présidence de ma famille politique. Je proposerai de la transformer de fond en comble, de façon à créer, dans un délai de trois mois, les conditions d’un nouveau et vaste rassemblement qui s’adressera à tous les Français, sans aucun esprit partisan, dépassant les clivages traditionnels qui ne correspondent plus aujourd’hui à la moindre réalité. »”

Dans ces deux discours se faisant mutuellement écho, on aura parfaitement reconnu l’identique tentation de disputer l’héritage du fondateur de la V° République : même appétence revendiquée pour le rôle de monarque solitaire seul à même de conduire une nation en proie à l’un des pires contextes de son histoire ; même distance affichée à l’égard des partis ; même souci de brouiller le jeu social ; même volonté de draguer le camp d’en face… Les duettistes affichent, bien sûr, de profondes différences entre eux. Le souci hollandais consiste à gouverner en cherchant à satisfaire des milieux d’affaire aspirant pourtant à le voir céder la place au plus tôt, ce qui le pousse à ignorer délibérément celles et ceux grâce auxquels il est monté sur le trône. Il n’a d’égal que l’obnubilation sarkozyenne à rassembler d’abord la droite, à séduire l’extrême droite en reprenant à son compte nombre de ses thèmes identifiants, à incarner ”ad nauseam” un exercice brutal et démagogique de la gestion publique, à museler les contre-pouvoirs judiciaires ou éditoriaux, à fonder son ambition personnelle sur ces incroyables réseaux qui le lient depuis toujours à l’univers de l’argent facile et de l’âpreté au gain.

DE LA CRISE S’AJOUTANT À LA CRISE

Sur quoi tout cela peut-il bien déboucher ? Je l’ai dit, sur de la crise s’ajoutant à celle, déjà exceptionnelle, que nous traversons. En s’enfermant dans une ligne de conduite qui creuse toujours davantage le fossé avec le peuple et qui disloque la gauche tout en divisant profondément le monde du travail, bien qu’il fût désormais évident que l’échec économique et la catastrophe sociale se dessinent à l’horizon, l’actuel chef de l’État aura vu sa base se réduire à une peau de chagrin. Il ne dispose plus, pour durer, que de l’arme que lui offrent les institutions, mais son affaiblissement est tel qu’il ne possède plus les moyens politiques de reprendre la main, sur quelque terrain que ce soit. L’indifférence du pays à sa conférence de presse de rentrée en dit ainsi très long sur une fragilité telle qu’aucun de ses prédécesseurs n’en avaient encore eu à affronter.

Le personnage qui veut réoccuper son fauteuil ne possède, pour sa part, qu’un crédit bien entamé, affaibli qu’il se trouve par un bilan lui ayant valu d’être chassé de l’Élysée, et assailli comme il l’est par une kyrielle d’affaires qui eussent dû, dans un système véritablement démocratique et transparent, le traîner depuis longtemps dans le box des accusés. Il bénéficie néanmoins d’un double atout, qui fait cela dit toute la différence : le rejet abyssal de l’exécutif, de la part de l’opinion comme du peuple de gauche, et le soutien que continue à lui apporter une notable fraction des sympathisants de droite. Si cela ne suffit pas à réunir mécaniquement une majorité de l’électorat demain, celui qui demeure la principale figure de l’opposition n’a jamais commis l’erreur de son successeur : il sait que rien n’est possible sans unifier préalablement les siens…

Ceux qui, dans l’entourage de François Hollande, confondant un peu trop la politique et le goût des manœuvres tacticiennes, veulent s’aveugler sur le fait qu’un Sarkozy renaissant pourrait être leur meilleur argument dans la reconquête d’une gauche en déshérence, risquent donc de déchanter très vite. D’abord, parce que sa conversion forcenée au libéralisme austéritaire aura irrémédiablement coupé l’exécutif du monde du travail et des classes populaires. Ensuite, parce que c’est précisément ce rejet, impressionnant et massif, qui aura ouvert à Nicolas Sarkozy le boulevard de son rétablissement, lui permettant pour partie (pour partie seulement) d’effacer la trace calamiteuse de son propre quinquennat. Enfin, parce qu’en ne cessant de droitiser leur orientation, des gouvernants se proclamant de gauche auront favorisé la radicalisation réactionnaire du débat idéologique français et encouragé le camp adverse à durcir ses tropismes néoconservateurs, ce que l’ancien hyper-président ne manquera pas d’exploiter et qui aidera l’extrême droite à gagner encore en influence.

À LA SOURCE DE L’ESSOUFFLEMENT DE LA V° RÉPUBLIQUE

De ce énième épisode d’une vie publique pour laquelle une proportion croissante des citoyens affiche son désintérêt, il reste que le temps des bonapartismes flamboyants d’hier se révèle définitivement révolu. C’est probablement l’une des causes de l’essoufflement présent de la V° République. Nous sommes entrés dans l’ère des bonapartismes déclinants quoi qu’ils pussent se montrer encore compulsifs, à courte vue car complètement dépourvus de la moindre vision de l’avenir.

Des bonapartismes de l’impuissance, pour le dire autrement… Impuissance, au-delà des gesticulations et de la saturation de l’espace médiatique, à relever les défis du chaos planétaire, des dérèglements économiques, du creusement des inégalités, de l’affaissement de la démocratie, des menaces environnementales et des désastres climatiques qu’engendre la globalisation marchande et financière. Et impuissance à proposer à la France et à son peuple un récit et une perspective propres à répondre à la phénoménale crise d’identité que génèrent cette angoisse et cette démoralisation grandissantes qui fondent le sentiment d’impuissance autant que le rejet angoissant de la politique comme des solutions collectives.

Le carburant qui alimente en permanence la machine lepéniste, et qui lui permet aujourd’hui de se rapprocher aussi dangereusement du pouvoir, n’est pas près de manquer. Celles et ceux qui, ces derniers temps, jusqu’au cœur du Parti socialiste, ont acquis la conviction qu’une reconstruction de la gauche, je devrais plutôt écrire une refondation, peuvent seules nous permettre d’échapper au pire, savent dorénavant qu’ils n‘ont plus un instant à perdre…

Christian_Picquet

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