Ce que nous dit la droitisation du débat français

C’est à ce genre de détail que l’on devine l’ampleur de la catastrophe qui se dessine. Nous arrivons exactement à mi-mandat, comme on dit volontiers maintenant en américanisant jusqu’au vocabulaire de notre vie publique, mais nous ne sommes plus qu’à quelques mois d’un rendez-vous qui constituera un nouveau test électoral pour l’ensemble des partis, celui des départementales de mars 2015 pour être précis. Tout laisse, hélas, penser que la gauche y subira un nouveau et terrible coup de torchon, qui l’affaiblira encore en la privant d’un nouveau pan de cet ancrage territorial qui fit si longtemps sa force. Alors que la bataille à engager avec la droite devrait faire rage, les principes les plus fondamentaux de la République semblent cependant s’affaisser les uns après les autres tandis que notre camp, dans ses diverses réalités, paraît frappé de tétanie, pour ne pas dire qu’on le dirait au bord du coma. C’est le mouvement syndical qui, sans doute, éprouve le premier la dureté de ce moment, les tentatives en son sein de construire un début de sursaut social se heurtant aux difficultés engendrées par le découragement ou le dégoût ambiants, comme vient de l’illustrer la modeste mobilisation du 16 octobre initiée par la CGT. Seul signe d’espoir, la résistance qui grandit, à gauche et jusqu’au cœur de sa composante jusqu’alors dominante, devant une ligne gouvernementale qui ne cesse d’afficher sa rupture avec ce que devraient être les fondamentaux d’une politique de gauche.

Réalisons bien à quoi conduit l’enchaînement d’un certain nombre d’événements. Aujourd’hui, nos éminences ministérielles peuvent bien se laisser aller à préconiser la réduction substantielle des droits des chômeurs, sous prétexte de les amener à reprendre au plus vite un emploi quelles qu’en fussent les conditions, elles peuvent tout autant annoncer au pays la remise en question du principe d’universalité régissant jusqu’alors l’attribution des allocations familiales, cela ne provoque pas la levée de boucliers qu’eût dû susciter cet étranglement programmé du modèle de protection sociale légué par le pacte de la Libération. Un quotidien aussi peu rebelle à la pensée unique que ”Le Monde” peut bien, un jour, accuser François Hollande d’avoir été ”« l’incarnation la plus absolue »” du déclin de la fonction présidentielle, clé de voûte des institutions en place depuis 1962, les voix ne se multiplient pas aussitôt pour pointer l’étiolement de la démocratie qui en est le corollaire et en appeler à la refondation républicaine qui peut seule conjurer cette menace. Un ancien président de la République peut bien, quant à lui, en prétendant s’installer à la tête de l’UMP, ouvrir de nouvelles brèches dévastatrices à l’intérieur de sa propre famille politique, les commentateurs avisés occupant sans discontinuer les plateaux de télévision ne s’avisent surtout pas d’alerter l’opinion sur le danger que constitue potentiellement l’effondrement de ce bipartisme à la française qu’ils exaltaient il y a peu, à un moment où l’extrême droite se rapproche de plus en plus ostensiblement du pouvoir. Emportés par leurs surenchères, certains des concurrents dudit Nicolas Sarkozy à la présidence de la principale composante de la droite peuvent bien se répandre partout en expliquant qu’ils entendent substituer le ”« droit du sang »” au ”« droit du sol »” sur lequel la France aura fondé sa capacité intégratrice depuis la seconde moitié du XVI° siècle (eh oui ! du XVI° siècle…), nul ne songe apparemment à leur rappeler qu’ils nous ramènent ainsi… aux heures noires de la Collaboration pétainiste. Un plumitif laborieux, théoricien depuis des lustres d’un « déclinisme » qu’il conjugue” ad nauseam” au gré de ses délires paranoïaques, peut tout aussi tranquillement pulvériser les records de vente avec un ouvrage où il explique sans sourciller que Vichy a sauvé les Juifs français et qu’un terrible complot viserait maintenant à ”« l’hallalisation »” de l’Hexagone, cela ne provoque même pas l’indignation des intellectuels… ou de libraires qui récemment se refusaient à diffuser le bouquin de Madame Trierweiller. Un sous-préfet de la République peut bien, confronté à des Kurdes de Marseille, leur expliquer qu’ils feraient mieux de rejoindre leurs frères de Kobané… tout comme les Juifs de France devraient quitter le sol national s’ils veulent défendre Israël, il n’est même pas suspendu de ses fonctions : on préfère, de nos jours, réserver ses vertueuses colères au tweet dans lequel l’ami Gérard Filoche évoquait, plutôt abruptement, les pratiques cyniques ayant caractérisé la gestion du PDG décédé de Total, Christophe de Margerie…

Nous voici, d’évidence, entrés de plain-pied dans une période de réaction. Où, à l’ébranlement des piliers de notre modèle républicain et à la désintégration politique autant qu’idéologique d’une gauche dynamitée par le hollandisme gouvernant, ne parviennent même plus à se manifester quelques contre-tendances à même d’influencer le rapport des forces. Jean-Christophe Cambadélis aura, à ce propos, parlé d’une ”« zemmourisation de la société française »”. Le propos n’est pas faux, à considérer les innombrables manifestations d’une radicalisation droitière continue. À ceci près que le problème est moins de dresser des constats préoccupants que de chercher les moyens de s’extraire de la nasse.

D’UN MOUVEMENT CLÉRICALO-CONSERVATEUR QUI S’ENRACINE…

À quelques semaines de distance, il est frappant que l’événement marquant qu’aura représenté le retour de flamme de « La Manif pour tous » ait été promptement évacué des écrans-radars de nos médias dominants. Pourtant, un mouvement de cette envergure, agitateur de fantasmes sur la « gestation pour autrui » ou la « procréation médicalement assistée » pour les couples de même sexe, en dit long sur l’état présent de la France.

Force est, en effet, de constater que, dans un contexte où la détestation de la gauche constitue un catalyseur puissant pour une large fraction de la société, les appels à la restauration de la famille, censée être attaquée en ses fondements par l’”« individualisme libertaire »” soixante-huitard, seront parvenus à soulever un mouvement de fond. Si celui-ci sera venu nous rappeler opportunément de quelle puissance militante peut toujours disposer le réseau des paroisses catholiques, et plus généralement des structures cultuelles en France, la force de « La Manif pour tous » sera surtout venu de son aptitude à jouer sur les peurs d’une nation frappée d’une terrible crise d’identité sous les coups de boutoir de la globalisation marchande et financière. Pour leur offrir, en guise de débouché, un projet aux visées aussi cléricalo-conservatrices qu’autoritaires.

Si le vieil antagonisme opposant la hiérarchie catholique à la République ne se sera jamais vraiment apaisé depuis l’adoption des lois laïques de la fin du XIX° siècle, et s’il se sera même systématiquement réveillé lorsque la gauche, ou une partie d’entre elle, se retrouvait aux commandes, la nouveauté du phénomène doit être ici soulignée. Car les structures traditionnalistes, à l’origine de cette mobilisation durable, auront non seulement réussi à devenir un acteur politique direct par leur capacité à fédérer droite classique et extrême droite dans la rue et sur leurs revendications, mais elles seront surtout parvenues à opérer leur jonction avec des secteurs qui ne penchaient pas jusqu’alors de ce côté. Les convergences constatées, sur le terrain de l’école, en vertu d’un rejet commun de la prétendue ”« théorie du genre »”, en auront été les manifestations les plus spectaculaires, et l’on aura pu en mesurer les retombées à l’occasion des dernières élections municipales.

Il peut ainsi apparaître paradoxal que ce fût à propos de l’une des seules lois positives de ce quinquennat nauséeux, que la gauche ait enregistré l’un de ses plus symboliques revers idéologiques. Certes, une large majorité de l’opinion approuve, dans les sondages, le nouveau droit conquis au bénéfice des couples homosexuels. Ce n’en sont pas moins les forces soudées par l’exigence du retour à l’ordre moral et par l’aspiration à une contre-révolution sexuelle qui auront été à l’initiative. Rien d’étonnant à cela, puisqu’elles n’auront rencontré, face à elles, qu’un pouvoir effrayé de son audace (si inhabituelle, reconnaissons-le…), n’ayant au demeurant cessé de donner des gages à ses contempteurs (à l’image d’un Premier ministre n’affichant, à la veille du 5 octobre, que mépris pour les revendications des associations gays et lesbiennes), se montrant ainsi incapable d’assumer le moindre choix progressiste, y compris en matière d’égalité des droits. Comme le souligne le chercheur Vincent Tiberj, ”« la gauche a du mal à assumer ses valeurs. À l’exception de la garde des Sceaux, Christian Taubira, elle ne produit pas de vrai discours cohérent. Si un seul camp parle, c’est lui qui gagne. »” Décidément, le social-libéralisme ne réussit que dans la désintégration du camp progressiste…

… À L’EXTRÊME-DROITISATION DE LA DROITE…

Voilà qui ne fait, au fond, qu’illustrer la droitisation régulière de la droite française dans ses profondeurs. Il est vrai qu’elle ne rencontre aucune résistance, à gauche, à ses surenchères réactionnaires. Pire, c’est la conversion accélérée de l’aire gouvernementale aux thèmes identifiants du néolibéralisme qui la pousse à cette radicalisation.

Bien sûr, nul ne saurait ignorer que les logiques de concurrence exacerbées dans lesquelles sont entrés les barons de l’UMP, en vue de la prochaine présidentielle, recouvrent de profondes divergences de vues sur la stratégie, les forces sociales susceptibles d’appuyer un retour de la droite au gouvernail, les alliances à contracter à l’occasion de ladite alternance. Parce que les cassures, dans tous ces domaines, se font de plus en plus nettes, elles menacent d’implosion le parti dominant du bloc conservateur et, surtout, elles le privent de l’élan qui lui permettrait de contrecarrer la montée en puissance du Front national.

Reste que ces rivalités, pour ne pas dire ces chocs annoncés entre chefs se livrant entre eux une guerre sans merci, se déploient sur le fond commun d’une volonté de revanche sociale et de rupture politique avec l’héritage laissé par Charles de Gaulle, à sa famille de pensée, au lendemain de la Libération. Ainsi voit-on Messieurs Sarkozy, Fillon, Juppé ou Le Maire se livrer à une stupéfiante course à l’échalote s’agissant des coupes à opérer dans les budgets sociaux, ce qui représenterait une mise à mort définitive des survivances de « l’État régulateur », l’ancien chef de l’État allant même jusqu’à préconiser que l’on inscrive dans la Constitution l’interdiction de consacrer plus de 50% du produit intérieur brut à la dépense publique. Ainsi les trouve-t-on unis pour vouloir liquider ce qu’il demeure des 35 heures, en finir avec l’impôt sur la fortune, élever le droit à la retraite à 63 voire 65 ans, supprimer des centaines de milliers de postes dans la fonction publique (600 000, va jusqu’à asséner un François Fillon), ramener le code du travail à l’énumération de quelques « droits fondamentaux » pour mieux laisser les salariés isolés dans des négociations atomisées avec leurs employeurs. Sans parler de cet emprunt majeur au programme de Madame Le Pen, consistant à ne plus autoriser l’accès des personnes en situation irrégulière à l’aide médicale d’État…

Dans un récent ouvrage, ”Vers l’extrême” (aux éditions Dehors), Luc Boltanski et Arnaud Esquerre ont trouvé les mots justes pour désigner ce glissement permanent du jeu politique hexagonal :” « Dans la situation politique qui est la nôtre aujourd’hui, l’initiative appartient entièrement à une droite fascinée ou médusée par ses extrêmes.” (…) ”Comme dans les mouvements de panique, nourris par un mimétisme du pire, chacun en vient alors à se déplacer constamment, de façon souvent erratique, comme par crainte d’être dépassé par d’autres plus rapides, toujours au plus près d’une issue vers l’extrême, c’est-à-dire maintenant vers l’extrême droite. »”

… QU’ENCOURAGE LE HOLLANDO-VALLSISME

Pourquoi, à dire vrai, les hérauts d’un ordre de plus en plus orienté par la pression qu’exercent sur la société les privilégiés de la naissance et de la fortune mettraient-ils la moindre limite à leur quête d’un grand bond en arrière ? Ceux qui nous gouvernent leur ouvrent si complaisamment le chemin… Par leurs discours, leurs postures affichées de destructeurs de prétendus tabous, la « triangulation » qui leur tient lieu de boussole politique, ils légitiment ce que l’adversaire véhicule de pire.

Voilà donc François Rebsamen qui revendique avec fierté son adhésion à ”« l’économie de marché libérale »” pour mieux en appeler à l’adaptation de ”« notre système social »”. Ou Emmanuel Macron qui dévoile son projet de loi sur l’activité, dans le but de déréglementer à tout-va l’économie française, au nom de cette maxime, d’une orthodoxie libérale implacable, du nouveau prix Nobel Jean Tirole qui veut que l’on cesse de ”« trop protéger »” (on croit rêver, lorsque l’on voit à quel point le nouveau capitalisme est devenu anxiogène pour une très large majorité de la population). C’est ce qui inspire le nouveau ministre de l’Économie lorsqu’il s’en prend à la justice prud’homale, prétend « débloquer » le travail nocturne et dominical, annonce qu’il va ouvrir le capital de nouvelles entreprises publiques, veut faciliter la vente des médicaments sur Internet et dans les grandes surfaces (bonjour le droit à la santé !), se prononce pour le développement du transport par autocars (censé permettre aux « pauvres » de voyager…) quoique cela dût nuire au service public ferroviaire et développer encore les inégalités (il aura, du même coup, rendu muets tous les partisans de la loi de « transition énergétique » que l’on entendait tant quelques jours auparavant…).

Ne parlons pas d’un Premier ministre n’hésitant pas à faire acte d’allégeance aux financiers de la City en les assurant de son tropisme ”« pro-business »”, et à expliquer à un peuple en proie à une souffrance sociale parvenue aux limites du supportable qu’il ”« vit à crédit »” depuis trop longtemps. Reconnaissons au moins à Manuel Valls qu’il a le mérite de la cohérence. Cela fait des années qu’il tente de convaincre les militants de son parti qu’il faut achever de rompre les amarres avec ce qui constitua l’histoire du socialisme français, son lien au mouvement ouvrier et à l’aspiration émancipatrice des classes travailleuses. C’est sa ligne qui se trouve mise en œuvre au sommet de l’État. Et cela le pousse à prendre l’offensive, à enjoindre le PS d’engager sa mue en s’inspirant du processus ayant liquidé la gauche italienne au profit d’un vague centre gauche – ”« réformiste, pragmatique et républicain »”, et surtout pas socialiste, pour reprendre ses termes –, à casser s’il le faut le PS puisque c’est manifestement, à ses yeux, le prix à payer pour le renoncement définitif à la transformation sociale. Son interview dans la dernière livraison de ”L’Obs” et ses saillies contre une ”« gauche passéiste »” toujours en proie à son ”« surmoi marxiste »” n’ont pas d’autre ambition.

Avec une telle gauche, Monsieur Gattaz et la réaction n’ont plus d’adversaires. Le plus grand danger n’en vient pas moins du fait qu’un pareil contexte, au terme de décennies au cours desquelles notre camp n’a cessé de reculer et de subir des défaites, commence à produire ses effets sur les consciences. Non que la France virât à droite, comme voudraient tant le croire les prédicateurs d’une pensée unique ne jurant que par le libre jeu des mécanismes marchands. Lorsqu’on les interroge, les citoyens continuent majoritairement à exprimer leur souhait d’une plus juste répartition des richesses. L’attachement aux exigences d’égalité et aux politiques redistributives, qui sont l’essence même de l’idée républicaine dans ce pays, résiste toujours aux assauts de ses détracteurs. Il n’empêche ! Les divisions se creusent régulièrement entre celles et ceux qui auraient un intérêt commun à voir souffler ici, de nouveau, le grand vent de la justice et de la solidarité.

Une toute récente étude du Credoc apparaît, à cet égard, éloquente. Elle souligne, alors que la pauvreté ne cesse de progresser, que ”« la solidarité envers les plus démunis n’apparaît plus véritablement comme une idée fédératrice dans la société française »”, ou encore que ”« le sentiment que les pouvoirs publics font trop ou ce qu’ils doivent pour les démunis et la crainte que le RSA incite les gens à s’en contenter et à ne pas chercher de travail sont devenus pour la première fois majoritaires (elles recueillent respectivement 54% et 53% des suffrages »”. L’étude ajoute d’ailleurs que ”« l’opinion s’est entièrement retournée entre 2008 et 2014 au sujet des aides à apporter aux familles modestes »”. Quoique l’on pensât de certaines de leurs conclusions, les analyses du sociologue et géographe Christophe Guilly trouvent là une terrible écho : ”« Les fractures sociales et culturelles s’installent et indéniablement s’élargissent. Le séparatisme s’accentue… »”

QUAND LES DIGUES S’AFFAISSENT, LE SURSAUT DEVIENT URGENT…

Inutile d’aller chercher ailleurs les raisons de la montée en puissance du Front national ou encore du succès des théories nauséabondes d’un Monsieur Zemmour. Lorsque n’apparaît plus aucune réponse à ses angoisses et à ses attentes, une partie des Français se montre encline au repli, au désabusement amenant à ne plus croire aux engagements collectifs, à la recherche de boucs-émissaires, à l’adhésion à un cadre de pensée lui semblant offrir une issue à sa situation dégradée et à ce qu’elle ressent comme un déclin inexorable de la France. Comme sa révolte n’en croît pas moins à mesure que le système se fait plus brutal à son endroit, mais comme les forces progressistes dans leur ensemble paraissent ne plus avoir le moindre horizon à lui désigner, la démagogie identitaire de l’extrême droite peut s’épanouir et plus rien ne vient même l’empêcher de tenir un discours social de nature à obscurcir tous les repères et toutes les frontières partisanes. Éric Fassin, dans ”Gauche : l’avenir d’une désillusion” (éditions Textuel), pointe cette redistribution des cartes : ”« Plus le Parti socialiste avance vers l’UMP, plus l’UMP recule en se rapprochant du Front national. Mais qu’en est-il de ce dernier ? Paradoxalement, c’est le seul parti qui semble suivre un cours différent : la stratégie de ‘’dédiabolisation’’ (…) signe en tout cas un refus de s’afficher comme une formation d’extrême droite. La rhétorique sociale qui l’accompagne, tournée vers les classes populaires, contribue d’ailleurs à brouiller les cartes. »”

Ne nous y trompons pas, nous touchons là le premier des défis qui peuvent demain balayer la gauche. Celle-ci n’a, en effet, d’avenir et de raison d’être que dans sa capacité à faire confluer, autour d’une perspective de progrès, les différentes strates du monde du travail et des classes populaires, qui représentent aujourd’hui l’immense majorité de notre société sans, pour autant, posséder la conscience de leur intérêt commun à combattre un capitalisme cupide. Si, à l’instar de son adversaire, elle ne cherche plus à leur parler de la France, de la place de cette dernière en Europe et dans un monde globalisé, de la pertinence d’une République réconciliant démocratie et égalité sociale, de la nécessité et de la possibilité de conquérir l’égalité… Si, pour parler encore comme Fassin, elle n’apparaît plus que ”« honteuse »” face à une ”« droite éhontée »”… Si elle s’abandonne, s’inspirant des exemples d’un Tony Blair ou d’un Gerhard Schröder, à la recherche d’une martingale gagnante dans cette « triangulation » consistant à gommer toutes les différences avec le parti de la régression… Elle subira un affaissement moral et idéologique qui laissera le camp des privilèges et du mensonge seul en scène. Pour très longtemps !

Martine Aubry, à l’occasion de la publication de sa contribution aux « États-généraux des socialistes » et de l’entretien qu’elle vient d’accorder à la dernière livraison du ”Journal du dimanche”, a parfaitement raison de relever que ”« aujourd’hui, une raison profonde du malaise est que les Français ne comprennent pas quelle société nous voulons construire, le sens donné à l’action et les valeurs qui la fondent »”. Elle est tout aussi fondée à contester les ”« illusions »” d’un néolibéralisme que la crise financière a pulvérisé et à constater que ”« la mise en concurrence des salariés et des modèles sociaux de par le monde, l’impossible ambition sociale, l’abdication sur le front du plein-emploi font sans doute un choix de société, mais ce n’est pas le mien »”. Par-delà les conceptions qu’elle met sur la table – celle de ”« l’infléchissement »” de la ligne gouvernementale, par exemple, alors qu’il s’agit plutôt de modifier radicalement les choix opérés depuis 2012, ou encore celle d’une ”« nouvelle social-démocratie »” qui en reviendrait à sa mission originelle de redistribution, alors qu’à mon sens il importe plus globalement de refonder un projet transformateur –, on peut partager avec elle l’idée qu’il conviendrait d’aller vers un ”« lien social renouvelé »”, ”« le partage et le goût du commun comme alternative aux simplismes du marché, l’audace et l’imagination pour oser produire du progrès face au déclin »”. Et cela justifie que l’on s’engage dans le plus vaste débat qu’elle appelle de ses vœux, pour peu naturellement que cela dépasse largement les frontières du Parti socialiste pour s’emparer de la gauche dans toute sa diversité.

C’est ce à quoi nous avons commencé à nous atteler, à Gauche unitaire. En cette rentrée, cela vient déjà de se concrétiser par une rencontre publique, à Toulouse, le 14 octobre. Elle aura réuni à la même tribune, à l’initiative du secrétaire du Parti communiste sur la Haute-Garonne, Pierre Lacaze, et de moi-même, les principaux responsables départementaux du Parti socialiste et d’Europe écologie-Les Verts, les représentants d’autres composantes ayant aussi tenu à faire le déplacement et à s’exprimer. Il est à noter que l’événement aura une suite, puisque les propositions de structurer un réseau Internet destiné à l’échange entre les forces présentes et de tenir, en janvier prochain, une nouvelle rencontre autour de deux des questions centrales du débat à gauche (la relance et la justice fiscale), auront rencontré l’assentiment général. Une voie est ouverte, il nous faut l’explorer… D’urgence !

Christian_Picquet

Article similaire

Quand brûlent des synagogues…

Où va la France ? Où va la gauche ?

Premières leçons d’un premier tour

Non pas simplement affronter, mais résoudre la crise de la République

Chercher un sujet par date

octobre 2014
L M M J V S D
 12345
6789101112
13141516171819
20212223242526
2728293031