Du reniement politique à la violence d’État : l’engrenage

Il me faut à mon tour m’arrêter sur la mort du jeune Rémi Fraisse. Parce qu’il est exceptionnel, fort heureusement, qu’un homme périsse à l’occasion d’une manifestation, le militant que je suis, avec à son actif la participation à des centaines d’initiatives qui ne furent pas toujours paisibles, peut en témoigner. Parce que, élu de la Région Midi-Pyrénées, je suis également directement concerné par le refus de l’édification du barrage de Sivens, dans le département du Tarn.

Sur le fond, ce projet fait l’objet d’un âpre conflit et d’un intense débat politique depuis qu’il a vu le jour. La retenue d’eau sur une zone humide de 48 hectares, celle du Testet, vise à atteindre une capacité de 1,5 million de mètres cubes, avec pour objectif affiché d’irriguer 309 hectares. Révélatrice d’une conception intensive de l’agriculture, cette construction a déjà provoqué la destruction de plus de douze hectares de zones humides d’une grande valeur patrimoniale, et elle devrait ennoyer environ 34 hectares, 30 de ces derniers situés en terres agricoles se voyant ainsi détruits.

D’évidence, cette entreprise recouvre donc un triple enjeu : celui de l’avenir même de notre agriculture, celui de l’aménagement des territoires, celui de la préservation de notre écosystème. S’arcbouter sur sa pérennisation, ignorer que des alternatives existeraient, plus économes en eau et plus favorables à la défense d’une agriculture paysanne, comme le fait la majorité du conseil général du Tarn avec l’appui d’une partie de la gauche, représentent par conséquent une absurdité. Et cette dernière se trouve encore soulignée par la violence avec laquelle, depuis des mois, la puissance publique a réagi à la mobilisation de milliers de citoyens tarnais et midi-pyrénéens. Une violence dont on apprend aujourd’hui qu’elle aura accompagné le désaveu infligé à une précédente ministre de l’Écologie, Delphine Batho en l’occurrence, laquelle était favorable à la suspension d’une démarche littéralement pharaonique.

Il en découle, je le dis d’emblée, que toute sortie d’une tension gagnant chaque jour en intensité dramatique ne saurait se limiter à la suspension provisoire d’un projet plus que sujet à caution. Elle requiert que l’on forme au plus vite une commission d’enquête impartiale sur les événements terribles des derniers jours et que, dans le même temps, on rouvre le dialogue sur tous les choix qu’il serait possible de mettre en œuvre. À cet égard, sur des sujets aussi déterminants pour la vie de populations entières, il se révèle une fois de plus que la démocratie s’atrophie lorsqu’elle ne se traduit pas par la consultation référendaire des citoyens. L’agonie de la V° République ne s’illustre pas uniquement à l’aune du discrédit de l’actuel prince élyséen, elle se trouve mise en évidence par l’incapacité de responsables politiques à soumettre leurs grandes décisions à la délibération populaire…

J’en reviens à la violence que j’évoquais à l’instant. Quoi qu’en disent certains, Monsieur Fillon à droite pour ne parler que du plus outrancier, diverses figures de la galaxie gouvernementale sur l’autre flanc de l’échiquier partisan, l’action des forces de l’ordre, depuis le début de cet affrontement politique, relève d’un choix délibéré. C’est la raison pour laquelle elle doit susciter une indignation ne pouvant se confondre avec la déploration bien-pensante de la disparition d’un jeune homme, conduire à exiger des deux têtes de l’exécutif – et non simplement du locataire de la place Beauvau – qu’ils assument leurs responsabilités dans un engrenage sanglant, et que toute la lumière fût faite dans ce cadre sur les consignes données aux unités policières sur le terrain.

Sans doute, les jours prochains établiront-ils l’usage disproportionnée de la force, comme on dit maintenant, et le problème majeur que représente l’utilisation d’un matériel plus proche d’opérations de guerre que de la dispersion de manifestations de masse (je fais allusion à ces grenades offensives, ou à fragmentations, dont un spécimen a sûrement tué Rémi Fraisse). Et ce, même si lesdites manifestations se trouvent infiltrées par des éléments violents, agissant en provocateurs parfaitement organisés, pour le compte d’on ne sait qui d’ailleurs…

Cela dit, toute l’histoire des démonstrations de rue dans notre pays, du moins sous des régimes démocratiques, atteste que le comportement des forces de l’ordre doit autant à leur maîtrise par les responsables présents sur le terrain, qu’au cadre politique fixé par les plus hauts échelons de l’État. Si, pour ne prendre que cet exemple, les durs affrontements parisiens de Mai 68 ne causèrent alors aucun décès, nul n’ignore de nos jours qu’on le dut au grand préfet républicain qu’était Maurice Grimaud. À l’inverse, il ne subsiste aucun doute sur le fait que les centaines de morts des défilés pourtant pacifiques du temps de la guerre d’Algérie dans la capitale furent la conséquence directe des directives données par un autre préfet… nommé Maurice Papon.

Sous ce rapport, s’agissant des sanglants événements tarnais – comme d’ailleurs d’autres démonstrations de la dernière période, je pense notamment aux actions contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes –, on ne peut ignorer la responsabilité primordiale d’un Manuel Valls, en sa qualité de ministre de l’Intérieur dans un premier temps, de Premier ministre maintenant. Par sa pratique, d’abord, de la surenchère autoritaire face à un peuple de gauche auquel il veut, de manière récurrente, signifier qu’il lui faut subir sans broncher une politique inverse à ce qu’avait exprimé le vote du 6 mai 2012. Par les consignes d’extrême « fermeté », ensuite, qu’il se targue de donner systématiquement aux escadrons policiers comme aux unités gendarmiques, lesquelles ont à faire face à une colère montant des profondeurs de la société française, alors que l’influence de l’extrême droite ne cesse de grandir en leur sein, comme l’attestent les résultats des derniers scrutins de cette année. Par le souci, enfin, qui apparaît d’évidence le sien d’extrémiser l’opposition à la politique gouvernementale et de l’enfermer dans des dérapages minoritaires, dans l’espoir certainement de la marginaliser.

Cécile Duflot a parlé de ”« tache indélébile »” sur ce quinquennat. Elle a, hélas, identifié le problème auquel la gauche se voit confrontée. Autant que le défi qu’il lui faut relever, celui de la désignation d’une nouvelle majorité et d’un autre gouvernement…

Christian_Picquet

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