Retour d’Athènes
Je ne consacrerai pas cette note à l’arrivée du président de la République et de son gouvernement à la moitié d’un quinquennat terrible par ce qu’il est en train de provoquer dans les profondeurs de la France. J’ai déjà tout écrit, ici, sur cette Bérézina. Plus important me paraît être ce qui s’est passé, ce week-end, à Athènes. J’en suis revenu ce dimanche 2 novembre. Je m’y étais rendu, en compagnie de mes amis Céline Malaisé et Vincent Boulet, afin de participer aux travaux du bureau exécutif du Parti de la gauche européenne. Une réunion très importante, dans la mesure où elle avait notamment à son ordre du jour une discussion générale sur la situation de l’Europe et l’action qu’y déploient, contre l’austérité et face à la montée en puissance de droites extrémisées autant que d’extrêmes droites xénophobes, les formations membres dudit PGE. Ce fut aussi l’occasion, pour notre délégation, de nous entretenir le 31 octobre avec Alexis Tsipras, le président de Syriza, parti que les sondages mettent en tête des intentions de vote pour les prochaines élections générales grecques (il dépasse ses concurrents de cinq à onze points), sans doute au printemps prochain.
À l’occasion d’un long moment au contenu passionnant, il nous a décrit l’état calamiteux de son pays martyrisé par la « Troïka » (on ne dira jamais assez qu’un habitant sur trois, oui un sur trois, y vit avec moins de 500 euros mensuels), les responsabilités qui reviendront à sa formation pour sortir la Grèce de la catastrophe austéritaire, et aussi l’appui sur lequel lui et ses camarades espèrent compter dans ce qui s’annonce comme un affrontement politique d’immense ampleur, à l’échelle hellène bien sûr mais également à celle de toute l’Union européenne.
Inutile de vous préciser que ce long échange avec Alexis confère une tout autre dimension à la bataille que nous livrons en France pour éviter à la gauche la débâcle qui la guette. Cela aura donc inspiré, le lendemain, mon intervention devant l’exécutif après, précisément, que notre camarade Tsipras et Pierre Laurent, en sa qualité de président du PGE, aient ouvert les travaux, devant une forêt de caméras symbolisant parfaitement la place nouvelle qu’occupe Syriza dans la vie politique grecque. Ayant repris mes notes, je vous livre ici la synthèse de mon propos.
CRISES ET GUERRES À NOTRE HORIZON
« Alexis, tout à l’heure, a eu les mots justes : l’Europe arrive à un tournant de son histoire. On pourrait d’ailleurs étendre son propos en disant que nous abordons un moment particulièrement dangereux de la situation internationale.
« L’économie mondiale, et par conséquent tout le processus de la globalisation marchande et financière, sont entrés dans une phase de ralentissement et même de récessions régionalisées, mais aussi de convulsions, d’instabilité chronique, de menaces de nouvelles tornades financières. Cela va de pair avec une âpre lutte pour la redéfinition des rapports de force internationaux, dans un contexte où les États-Unis ont perdu leur statut passé d’hyper-puissance tout en gardant leur monopole de la force militaire et des capacités d’intervention sur la planète. Ce qui n’est pas sans expliquer que les guerres soient redevenues notre horizon, on le voit à l’est de notre continent comme sur l’autre bord de la Méditerranée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je partage avec Pierre l’idée que la paix s’avère de nouveau un enjeu majeur pour les peuples.
« L’Europe réfracte toutes ces tendances. Elle se trouve engagée dans la spirale de la récession, de la déflation, des régressions sociales. Elle voit s’exacerber les logiques de concurrence au sein de l’Union européenne et de la zone euro, ce qui peut en pratique engager ces dernières dans un processus de dislocation à moyen terme. Elle se trouve menacée par l’enchaînement, que nous voyons déjà à l’œuvre, des crises politiques et des crises démocratiques à l’occasion desquelles les droites les plus conservatrices et réactionnaires, autant que les extrêmes droites ethnicistes et racistes, se développent considérablement ou se retrouvent en situation de s’imposer dans nombre de pays.
« Pour le dire autrement, une course de vitesse est engagée entre la barbarie à laquelle conduit la globalisation capitaliste et l’alternative de progrès et de justice dont l’humanité a besoin. Nous avons, à cet égard, un devoir de lucidité : la barbarie a déjà plusieurs longueurs d’avance.
« Toutes les forces qui ont fait le mouvement ouvrier au siècle dernier se révèlent, en particulier, devant de nouveaux défis. Les social-démocraties, qui ont dominé les gauches européennes et dont les sommets sont désormais devenues le fer de lance de la destruction des pactes sociaux de l’après-guerre, s’avèrent dans ce cadre confrontées à des dynamiques d’effondrement ; elles se heurtent à des situation de stagnation durables, qui leur interdisent de redevenir des forces de pouvoir crédibles dans leurs pays respectifs ; elles affrontent même, plus globalement, des dynamiques de délitement politiques et sociales comme de désagrégation idéologique.
« Pour autant, la gauche d’alternative (dont notre Parti de la gauche européenne se trouve être la principale expression) n’est pas en capacité, à elle seule, d’incarner une relève crédible à cette faillite de la social-démocratie, la réalité des rapports de force lui interdisant de représenter une offre politique à la hauteur de l’ambition majoritaire qu’elle s’est donnée. Cela nous confronte à la question cruciale de la responsabilité particulière qui nous incombe à l’égard de nos camarades de Syriza si, comme on est en droit de l’espérer, ils l’emportent l’an prochain. Car ils se retrouveront alors en première ligne d’un très grand affrontement politique contre l’austérité et les marchés, affrontement dans lequel nous ne saurions les laisser seuls.
« J’approuve, pour cela, la note de travail qu’a versé Pierre Laurent à notre réflexion au début de nos travaux. J’y souscris notamment à l’idée, qui y est avancée, d’une campagne contre l’austérité et pour la relance sociale et écologique, qui se concrétiserait par la tenue, à l’automne 2015, d’une réunion du « Parlacon » sur le thème ”« Comment coordonner nos luttes contre l’austérité ? Comment défendre les populations face à la crise ? »” Et j’y ajoute une proposition : nous pourrions articuler cette perspective avec une campagne européenne pour la suspension du traité budgétaire, que de plus en plus de voix considèrent, tout comme nous, y compris dans la social-démocratie et parmi les courants de l’écologie politique, aussi injuste qu’imbécile (1).
PORTER UNE POLITIQUE EN DIRECTION DE TOUTE LA GAUCHE
« Pour dire les choses plus précisément, le défi qu’il nous appartient de relever consiste à porter une politique pour toute la gauche, à nous efforcer de peser sur les débats que la nouvelle situation va ouvrir au sein de celle-ci, à défendre avec le plus de force possible une offre de rassemblement de ladite gauche et des forces populaires. Et ce, dans l’objectif de battre le libéralisme et le social-libéralisme, à partir d’une plate-forme anti-austérité, de salut public, d’intérêt général, peu importe les termes.
« C’est, me semble-t-il du moins, l’esprit du ”« programme de sauvetage national »” que défend Syriza et qu’Alexis nous a présenté il y a quelques instants. C’est également ce qui devrait nous inspirer lorsque nous allons préciser, pour les adopter, les propositions de Pierre.
« Moins que jamais, nous ne devons nous cantonner à des postures qui consisteraient à camper sur notre programme, quelle que soit sa grande justesse. Au contraire, il nous faut faire mouvement vers l’ensemble des secteurs militants qui prennent actuellement conscience que la soumission au néolibéralisme nous amène toute les gauches et les forces populaires à la catastrophe. J’ai retrouvé un souci identique dans l’intervention, à l’instant, de notre camarade du Parti communiste espagnol, Jose Luis Centella.
L’EUROPE AU MIROIR DE LA DÉBÂCLE FRANCAISE
« Je terminerai en vous disant que c’est l’orientation que nous tentons, à Gauche unitaire, de mettre en pratique en France.
« La politique de François Hollande et du gouvernement dirigé par Manuel Valls, politique ouvertement et totalement libérale, entraîne le pays dans la spirale de la récession, du chômage et de la précarité, du démantèlement de l’État social. Le mouvement social s’en retrouve profondément divisé, en proie à la tétanie, frappé d’une terrible désorientation. L’enchaînement des défaites électorales, celles notamment que nous avons connues aux municipales de mars 2014 et aux européennes de mai, menace à présent la gauche d’une débâcle telle que nous n’en avons pas connue depuis 1940. Et que je parle de « débâcle », je la situe hélas à l’échelle de l’ensemble de la gauche puisque, dans le contexte que le viens de vous décrire schématiquement, la chute et la dislocation du Parti socialiste entraînent avec elle toutes les composantes de la gauche.
« En clair, à l’issue des scrutins qui vont se dérouler en France l’année prochaine, puis d’une élection présidentielle dont le second tour risque fort de se jouer entre la droite et l’extrême droite, la gauche peut se retrouver balayée. C’est-à-dire durablement marginalisée, dès lors qu’elle ne serait plus en état de structurer le rapport des forces politique et social. Et c’est évidemment l’extrême droite qui tire les bénéfices de cette passe très dangereuse, les résultats du dernier scrutin européen en ont été l’indicateur, lorsqu’ils ont placé le Front national en tête de tous les partis.
« C’est ce qui nous amène, pour ce qui nous concerne, à proposer à nos partenaires du Front de gauche que nous nous comportions en aile marchante d’un rassemblement de la gauche, autour d’un « pacte anti-austérité » structuré autour de quelques points à même de rouvrir un chemin d’espoir au pays et au monde du travail. Je ne développe pas davantage, puisque nous vous avons remis une note reprenant notre analyse et nos principales propositions. Je vous remercie. »
((/public/.christian_athenes_m.jpg|Athènes||Athènes, nov. 2014))
”1. Cet objectif a été repris dans la résolution finale de cette réunion de l’exécutif du PGE.”