Va-t-on laisser Hollande tuer la gauche ?
Quel spectacle attristant ! Quelle soirée désolante ! À l’occasion de l’émission censée répondre à leurs inquiétudes, hier soir, les Français eussent certainement souhaité que le président de la République leur présente sa vision de l’avenir du pays dans une Europe ravagée par l’austérité. Le peuple de gauche était, quant à lui, en droit d’espérer que le personnage qu’il a porté à l’Élysée prenne enfin acte de l’échec de la politique libérale mise en œuvre depuis deux ans et demi, politique qui a tourné le dos aux promesses du candidat socialiste de 2012. Dit autrement, toutes celles et tous ceux qui s’étaient postés devant leur petit écran (ils étaient apparemment près de huit millions), avec au plus profond d’eux-mêmes un reste d’illusion, pouvaient légitimement attendre une réponse à leur attente croissante d’amélioration de leurs vies et de justice sociale.
Ils auront assisté à un exercice laborieux d’auto-promotion individuelle et de justification d’une action qui ne cesse de creuser les inégalités et génère l’angoisse. Endossant tour à tour la tenue d’un chef d’agence de Pôle emploi face à une chômeuse sexagénaire qui aurait bien le droit de prendre une retraite à taux plein mais doit aujourd’hui vivre avec le RSA, puis celle du promoteur d’une logique de « l’offre » dont une entrepreneuse de choc se sera sans vergogne félicitée pour déplorer que l’on n’aille pas plus loin dans la casse des droits sociaux, François Hollande n’aura pas trouvé un seul mot à prononcer en direction d’une société en souffrance et d’une gauche en désespérance. Chacun aura, à l’inverse, compris qu’il entendait poursuivre et intensifier une action qui enfonce la France dans la stagnation, au prix d’un chômage grandissant, d’une précarité galopante, d’un recul sans précédent des protections collectives, d’une crise démocratique tournant maintenant à la crise de régime.
Cet exécutif, élu pour satisfaire une immense soif de changement, n’a décidément plus aucune parole d’espoir à délivrer à un peuple qui se sent à juste titre trahi. La ”« République sociale »” qui, ce 6 novembre, fut évoquée à plusieurs reprises, n’est d’évidence qu’un « élément de langage » vide de tout sens. Pour le clan aux affaires, la communication a définitivement pris le pas sur les principes du socialisme républicain. Le grand Jaurès, lui qui consacra ses plus belles pages à la ligne d’horizon de la République sociale, en laquelle il voyait la possibilité de pousser jusqu’au bout les promesses émancipatrices et égalitaires de la Révolution française, aura dû s’en retourner dans sa tombe.
À l’issue de la pitoyable prestation du premier personnage de l’État, il n’y avait qu’une conclusion à tirer. Sauf à voir une droite revancharde et une extrême droite démagogue tirer les marrons du feu, sauf à attendre passivement la catastrophe qui peut demain rayer notre camp de la carte politique hexagonale, il est de la plus extrême urgence que se rassemblent toutes les forces pour lesquelles le mot gauche a encore un sens. Elles sont sans conteste majoritaires à gauche, jusqu’au sein du Parti socialiste, ce dont toutes les études d’opinion témoignent. Elles ont, par conséquent, les moyens d’imposer un changement radical de cap, porté par une nouvelle majorité. Une majorité rose-verte-rouge qui renouerait avec le sens du vote du printemps 2012.
Cela implique, en tout premier lieu, de sortir du chantage à la dissolution destiné à caporaliser la majorité parlementaire, afin de contraindre un président autiste à mettre fin aux fonctions de Monsieur Valls. Ce Premier ministre qui, au matin précisément du show de TF1, sera allé rencontrer François Bayrou en son hôtel de ville de Pau pour parler avec lui de ”« rassemblement »”, n’a clairement plus la moindre légitimité pour gouverner. Ce n’est, en effet, pas d’une alliance à droite, qui aggraverait encore plus une politique déjà si à droite qu’elle entraîne le pays au précipice, dont nous avons besoin. C’est d’un exécutif et d’une majorité qui osent agir à gauche. Qui, en d’autres termes, usent d’une dépense publique réorientée vers les besoins populaires, la création d’emplois et la transition écologique, pour relancer la machine économique. Qui s’affrontent avec détermination aux logiques financières de court terme qui sont responsables de la désindustrialisation dramatique de nos territoires. Qui, plutôt que de promettre aux « classes moyennes » de cesser de les ponctionner sans fin, promeuvent la justice fiscale que permettrait la taxation des dividendes des actionnaires, des revenus financiers des entreprises, des placements spéculatifs dans les paradis fiscaux (ces paradis fiscaux qui se sont épanouis à l’ombre de l’Union européenne, comme vient de la rappeler la révélation du scandale que représentent les pratiques si longtemps favorisées par les dirigeants luxembourgeois, Monsieur Juncker en tête). Qui stimulent la demande intérieure, grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires et des retraites. Qui rompent avec cette mise sous tutelle de la souveraineté française par la Commission de Bruxelles et la droite conservatrice allemande, véritable humiliation nationale qui nourrit au quotidien les saillies de Madame Le Pen, en décidant de suspendre l’application du traité budgétaire européen.
Voilà l’enjeu primordial du débat qu’il convient d’ouvrir à gauche. Sans préalable ! Sans tabous ! Sans faux-semblants ! Pour empêcher que François Hollande ne finisse par tuer la gauche dans son ensemble !