Coup de force contre la gauche et la démocratie
Ce 16 juin, le Premier ministre aura donc annoncé, devant la représentation nationale, le recours à l’article 49-3 pour faire adopter une nouvelle mouture de la loi Macron. Les masques viennent ainsi de tomber. Le jeu de dupes, auquel aura donné lieu le tout récent congrès de Poitiers, aura du même coup fait long feu.
Si je parle de jeux de dupes, c’est que l’exécutif aura décidé de faire passer à l’Assemblée un texte qui tourne le dos à tout ce qu’ont pu exprimer les militants socialistes, alors que l’encre de la motion adoptée lors de ce grand rendez-vous politique vient à peine de sécher. Un texte qui va déréglementer un peu plus notre économie, à l’instar de ce fameux article symbolique plafonnant les indemnités des salariés victimes de licenciements abusifs, lequel répond à une très vieille exigence du Medef.
J’imagine à quel point des milliers d’adhérents du PS, ayant pris au sérieux la motion A adoptée à Poitiers, doivent à cet instant se sentir floués. Ils avaient cru reconnaître leur souhait d’autonomie retrouvée envers l’exécutif dans ces innombrables appels qui s’y égrènent à ”« remettre la finance à sa place »”, à ”« œuvrer pour la justice sociale »”, à ”« renforcer la démocratie sociale et les droits des salariés »”, à ”« réorienter l’Europe »”, à” « rassembler la gauche »” dans une ”« belle alliance »”, j’en passe et des meilleurs. Ils pensaient avoir approuvé la belle sentence claquante soulignant que ”« l’avenir n’est pas le social-libéralisme »” en vertu de ce constat de bon sens selon lequel ”« à la fin, il reste le libéralisme sans le social »”. Pour un peu, ils auraient fait une ”standing ovation” à leur premier secrétaire, lorsque celui-ci considéra sèchement, en réponse aux questions de ”L’Obs”, que Monsieur Macron n’était pas socialiste et que, juré craché, il y aurait à présent ”« des administrations qui vont apprendre ce que c’est que Solferino »”. Ils se retrouvent, dix jours plus tard, avec une législation qui n’infléchit en rien les aspects les plus libéraux de la ligne suivie par le ministre de l’Économie (de la libéralisation du travail le dimanche, à l’encouragement donné aux transports par autocars au détriment du ferroviaire public), et qui va jusqu’à épouser les exhortations du grand patronat et de la Commission européenne, pour lesquels rien n’est plus urgent que de déréglementer le « marché du travail ».
Chacun le sait, tout cela n’aura, évidemment, aucun effet bénéfique sur l’emploi ou la relance de l’activité. Il n’est pas un économiste sérieux pour prétendre que l’on incitera les chefs d’entreprise à embaucher en leur permettant… de licencier à leur guise, fusse en violant au moindre coût financier les droits des salariés et leur possibilité d’obtenir une juste réparation devant les tribunaux prud’homaux. En revanche, les conditions d’existence et de travail de millions d’hommes et de femmes s’en trouveront davantage précarisées. Ce n’est pas pour rien que les locataires de Matignon et Bercy n’auront pu trouver qu’un unique soutien de poids, celui d’un Pierre Gattaz qui, sachant parfaitement où sont les intérêts de ses mandants, n’hésite pas à reprocher à l’opposition de ne pas vouloir voter en faveur de la loi Macron, et à se féliciter de la brutalisation des représentants du peuple…
En agissant comme il le fait, privant les députés de toute possibilité de se prononcer sur les nouveaux équilibres d’une loi présentée comme emblématique du quinquennat, le gouvernement de Messieurs Valls et Macron persiste à faire droit à la cupidité des actionnaires et des financiers. Il foule aux pieds les droits du Parlement, il tourne le dos aux attentes sociales du pays, il affiche son mépris pour les revendications du mouvement syndical, il administre des rebuffades à répétition aux très nombreux parlementaires de gauche qui répugnent à appliquer une ligne sur laquelle ils n’ont pas été élus, autrement dit il gouverne contre sa propre majorité et son propre parti. Quitte, au passage, à reprendre à son compte ce discours fort peu républicain consistant à assimiler la délibération parlementaire à… une perte de temps !
Il devient urgent de mettre un coup d’arrêt à cette dérive. Sauf à laisser ce climat délétère nourrir la soif de revanche d’une droite qui veut aller encore plus loin dans la destruction des protections collectives… Sauf aussi à favoriser la démagogie prétendument sociale de l’extrême droite…
Une majorité existe manifestement, au sein de la gauche, pour imposer au président de la République un changement de cap et exiger la désignation d’un autre gouvernement retrouvant le chemin du peuple. J’en veux pour preuve le sondage publié par ”L’Obs” le 4 juin, montrant que plus de 50% des Français et des sympathisants socialistes considèrent à l’unisson que la politique du pouvoir s’avère insuffisamment à gauche en matière de fiscalité, d’action envers les entreprises ou de lutte contre le chômage. J’en veux également pour preuve le malaise, les réserves, les critiques qui s’expriment depuis tous les partis progressistes, bien au-delà du Front de gauche. Pour ne prendre que leur cas, on avait dit les « frondeurs » battus et prêts à rentrer dans le rang après leur mise en minorité au sein du Parti socialiste, ils ont manifestement vu leur audience s’accroître dans leur groupe parlementaire devant l’autoritarisme et l’autisme de Manuel Valls. Et, ayant été invité, le 14 juin, à la séance de clôture du congrès du Mouvement républicain et citoyen, j’ai entendu le président de cette formation membre de la majorité présidentielle depuis 2012 affirmer qu’il ne lui était plus possible de ”« suivre François Hollande dans cette exploration du Jardin des Délices du social-libéralisme sous la baguette experte d’Emmanuel Macron »”.
Si elle veut conjurer le spectre des désastres électoraux qui s’annoncent, surmonter ses divisions mortifères, sortir de l’impuissance qui la caractérise face à une offensive néoconservatrice qui ne cesse de marquer des points dans les esprits, cette majorité doit se rassembler, agir vite, se faire entendre avec force.
Sans aller jusqu’à prétendre régler tous les désaccords, encore moins s’accorder sur le bilan précis des trois dernières années, c’est de toute évidence possible sur quelques points qui commenceraient à redonner confiance à notre peuple. Par exemple, sur l’indispensable récupération des cadeaux fiscaux consentis aux entreprises, sans que cela ne se soit traduit en investissements productifs ou en créations d’emplois, afin de réorienter ces sommes colossales vers la réindustrialisation des territoires ou l’aide aux petites et moyennes entreprises. Ou encore sur la mise immédiate à contribution des revenus financiers des entreprises, des extravagants dividendes versés aux actionnaires ou des placements spéculatifs dans les paradis fiscaux. Ou sur l’action susceptible d’ouvrir la voie à cette sécurité sociale professionnelle, que revendique le syndicalisme et qui constituerait la première avancée sociale du quinquennat, permettant d’assurer à chacun et chacune un droit à l’emploi et à la formation tout au long de la vie. Ou sur l’urgent redéploiement de nos services publics, si essentiels à la cohésion républicaine du pays, comme vient d’y appeler la manifestation nationale de Guéret, le week-end dernier. Ou sur le besoin de franchir un pas en direction de la réorientation européenne pour laquelle toutes les familles de la gauche se prononcent dorénavant, en commençant par se battre afin que les 1200 milliards récemment créés par les banquiers de Francfort fussent affectés à la transition écologique et énergétique plutôt qu’à des banques qui s’en serviront pour faire grossir sans fin la bulle financière qui pourrait bien confronter, demain, la planète à de nouvelles crises cataclysmiques.
D’un côté, une logique de coups de forces successifs contre la gauche et la démocratie, de l’autre, celle du redressement dans la justice et l’égalité : telle est, plus que jamais, l’alternative.