Voter… pour sauver la gauche !

Si les sondages disent vrai, c’est d’un authentique séisme dont nous nous trouvons menacés au soir du premier tour des élections régionales. Tous, sans exception, dessinent un paysage bouleversé et porteur d’un immense danger pour la France comme pour la République. En résumé : un électorat populaire qui se sent à ce point exclu du jeu politique qu’il pourrait s’abstenir dans des proportions très importantes ; un Front national en ascension jusque dans des Régions qui représentaient jusqu’alors pour lui des « terres de mission », ce qui lui permet de confirmer sa place de premier parti du pays, et ce qui l’autorise à espérer deux voire trois ou quatre victoires le 13 décembre ; une droite qui, pour supplanter la gauche dans la plupart des cas, voit battue en brèche sa capacité de profiter du rejet massif dont fait l’objet l’action économique et sociale des gouvernants ; une gauche qui se retrouve, dans sa totalité, à son étiage historiquement le plus bas depuis la Libération, même si des triangulaires viennent lui apporter des succès ”in extremis” dans trois Régions ; des forces anti-austérité qui, par-delà leurs divisions (hormis en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon et en Provence-Alpes-Côte-d’Azur), ne semblent pas devoir bénéficier d’une dynamique, dès lors qu’elles n’apparaissent d’évidence pas, au peuple de gauche, armée d’un projet crédible… Même en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, que les mêmes enquêtes d’opinion promettent à la gauche dans dix jours, le FN arrive très en tête (avec un score inédit dépassant les 30%, ce qui le place, dans au moins une enquête, à trois points seulement de la liste de gauche fusionnée du second tour…).

Tel est l’aboutissement inexorable de la longue dérive de notre vie démocratique. À tant, s’agissant des grands médias, céder au sensationnalisme, au prix d’une valorisation hallucinante des solutions défendues par Madame Le Pen… À tant chercher, du côté de l’Élysée et de Matignon, à focaliser le débat public sur le Front national et à entretenir un climat anxiogène devant la menace terroriste (dans l’espoir, naturellement, de provoquer un réflexe de mobilisation autour de l’exécutif)… À tant vouloir, à droite, récupérer les électeurs partis vers les rivages du lepénisme, en reprenant les thématiques les plus nauséabondes de celui-ci, sur l’identité nationale ou la détestation obsessionnelle de l’islam entre autres… À tant s’abîmer, pour ce qui est des listes conduites par des candidats du Parti socialiste, dans un discours de l’insignifiance ne servant qu’à couvrir l’austérité nationalement mise en œuvre et, surtout, ne répondant à aucune des préoccupations concrètes des classes travailleuses et populaires… À tant se complaire, pour une partie hélas non négligeable de la gauche anti-austérité, dans des positionnements en total décalage avec la complexité d’un moment où c’est le sentiment d’impuissance qui domine le peuple de gauche… On aura déblayé les derniers obstacles qui interdisaient encore au parti de l’imposture haineuse et xénophobe de franchir un nouveau palier de sa marche vers le pouvoir (même, il convient de le souligner avec lucidité, s’il échouait ”in fine” à emporter la direction de conseils régionaux).

Le plus rageant, dans ce tableau désespérant, réside probablement dans le fait qu’il existe ”a contrario”, sur le terrain, des énergies disponibles à l’action et à la contre-offensive. J’en aurai encore eu un aperçu, voici deux jours, en accompagnant mes amis Dominique Satgé et Jean-Paul Pla, comme moi candidats communistes sur la liste de Gérard Onesta en Haute-Garonne, dans le quartier toulousain du Mirail, à la rencontre de plusieurs associations et maisons de chômeurs. J’ai trouvé, au fil des discussions auxquelles nous aurons participé, un haut niveau d’engagement citoyen, une perception clairvoyante mais aussi particulièrement déterminée des enjeux présents, une inébranlable volonté de ne s’incliner ni devant les logiques de renoncement, ni devant la montée en apparence irrésistible d’une extrême droite minant insidieusement la cohésion nationale, ni devant le développement concomitant d’une réaction obscurantiste parmi un certain nombre de jeunes croyant trouver là une réponse à la ghettoïsation de leurs quartiers.

Je suis ressorti de ce périple plus que jamais convaincu que c’est le courage de ces hommes et de ces femmes, de toutes origines, qui constitue le moteur de la reconstruction, à laquelle il nous faut nous atteler au-delà du scrutin des deux prochains week-end, d’une perspective d’espérance pour notre pays et son peuple. À l’inverse de la stratégie du Premier ministre, laquelle consiste, avant même que la bataille ait été livrée, à placer ses amis devant deux options mortelles pour le soir du premier tour, dans les Régions que le FN pourrait emporter : soit le retrait pur et simple de leurs listes au cas où elles arriveraient en troisième position, soit la fusion « technique » avec la coalition des droites. Est-il besoin, ici, de souligner à quel point ces choix en formes d’impasses ne font qu’accréditer l’idée que la gauche a définitivement perdu la partie face au national-lepénisme et qu’il ne lui resterait à consentir qu’au rôle peu glorieux de roue de secours du bloc conservateur, pourtant plus tenaillé que jamais par ses désirs de revanche sociale et par sa détestation sourde pour le principe d’égalité sur lequel repose notre construction républicaine. On retrouve ici, sous une nouvelle forme, les exhortations dont Manuel Valls s’est fait une spécialité, à un changement de nature d’un Parti socialiste qu’il souhaite voir muer en simple pôle « progressiste » d’une coalition néolibérale (allant jusqu’à Messieurs Sarkozy ou Gattaz) qui ferait face au cancer néofasciste (puisque c’est bel et bien de cela qu’il s’agit).

Il ne nous reste que quelques heures pour échapper à ce scénario fatal. Pour, déjà, convaincre le maximum d’électeurs et d’électrices de se rendre aux isoloirs ce dimanche. Pour, ensuite, faire en sorte que le total des voix de gauche rende, Région par Région, envisageables des dynamiques de victoires à l’occasion des seconds tours, lorsque toutes les listes concernées se seront rassemblées face à l’adversaire commun, sur la base des votes recueillis par chacune d’entre elles. Pour, enfin, que les listes brandissant le drapeau de la lutte contre l’austérité, à commencer par celles que conduisent ou sur lesquelles figurent dans candidats communistes, obtiennent des scores à même, tout à la fois, d’offrir à notre camp dans son ensemble l’élan dont il a besoin, avant de peser puissamment dans les futures majorités régionales de gauche, là où elles auront fini par s’imposer. Pour le dire autrement, plus les listes de gauche progresseront dans les urnes ce dimanche, plus il deviendra possible d’affronter des seconds tours éminemment difficiles. Toutes les heures, tous les engagements vont, par conséquent, compter !

Christian_Picquet

Article similaire

Quand brûlent des synagogues…

Où va la France ? Où va la gauche ?

Premières leçons d’un premier tour

Non pas simplement affronter, mais résoudre la crise de la République

Chercher un sujet par date

décembre 2015
L M M J V S D
 123456
78910111213
14151617181920
21222324252627
28293031