Bonne année… quand même !
L’exercice est à ce point convenu que l’on doit, année après année, se forcer pour y réagir. Il n’en dit pas moins long sur l’état politique du pays. Je veux, naturellement, parler de l’allocution présidentielle du 31 décembre de chaque année.
Reconnaissons, cette fois, que la « cuvée » 2015 avait sans nul doute fait en amont l’objet de la préparation soigneuse des communicants élyséens. François Hollande nous aura ainsi délivré un discours en majesté, se posant en défenseur de la patrie face à une menace terroriste (dont il n’était probablement pas besoin de rappeler qu’elle connaîtrait de nouveaux développements dans le futur) et, surtout, concluant son propos par un très monarchique : ”« Je suis fier de vous ! »” Cela m’aura rappelé une sortie de Valéry Giscard d’Estaing qui, dans de semblables circonstances, s’était adressé aux téléspectateurs en les appelant ”« Mes Chers Français. »” Comme si, à ses yeux, le peuple réputé souverain depuis la Révolution française n’était plus composé que de sujets du Prince… Passons.
Hélas, les incantations aux valeurs de la France, celles de la République, dont François Hollande n’aura pas été avare en ce soir de Saint-Sylvestre, se seront vues l’une après l’autre démenties par la teneur de son propos.
Protéger les citoyens du jihadisme ? Cela ne peut relever du seul renforcement des moyens coercitifs de la puissance publique, par ailleurs indispensable, mais exige que l’on retisse le lien social pour en finir avec ces phénomènes de ghettoïsation urbaine qui nourrissent tout autant les dérives fanatiques de quelques-uns que les peurs et les replis identitaires.
Lutter contre le chômage ? Cela ne peut consister en la reprise des recettes libérales qui ont toutes lamentablement échoué – celles, évoquées par le président de la République, de la ”« simplification »” du code du travail, annonciatrice d’un énième recul des droits des travailleurs, du plan de ”« formation des demandeurs d’emplois »”, lequel ne pourrait rendre de fruits que si la machine économique n’était pas grippée par les orientations austéritaires présentement mises en œuvre, ou de la politique de « l’offre », revenant à accorder aux entreprises de faramineux cadeaux fiscaux qu’elles n’empochent que pour les redistribuer sous forme de dividendes somptueux à leurs actionnaires –, mais nécessite une mobilisation massive des moyens de l’État au service de la réindustrialisation des territoires, de la transition écologique, du redéploiement des services publics.
Défendre la planète du dérèglement climatique ? Cela ne saurait s’arrêter à la vérification des engagements souscris par les pays ayant participé à la COP21, mais passe par un engagement déterminé contre l’influence grandissante des lobbies financiers, contre les investissements nuisibles et autres grands projets inutiles, contre le dogme de la croissance à n’importe quel prix et de la compétitivité économique.
Relancer l’Europe ? Cela ne peut se limiter à l’objectif de ”« sécuriser ses frontières »”, comme nous l’aurons entendu en ce 31 décembre, mais suppose que l’on sorte des logiques qui plombent ce grand dessein, à commencer par la rigueur budgétaire et une gestion monétaire ne servant que les intérêts de la plus puissante nation de la zone euro.
Et que dire, encore, de l’appel à l’unité entre Français ? L’obstination du premier personnage de nos institutions (et du dernier carré de ses fidèles) à faire passer coûte que coûte la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’actes terroristes aura ouvert au sein du pays la plus grave des fractures, en ce qu’elle porte sur les principes mêmes de l’édification républicaine de la France. Dans ”Le Monde” du 1° janvier, la maire de Paris, Anne Hidalgo, et l’avocat Jean-Pierre Mignard, pourtant réputé proche du président, viennent de situer l’enjeu de cette confrontation où il le fallait : ”« Benjamin Franklin ne se trompait pas en prévenant ses contemporains qu’un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »”
En vérité, je trouve une confirmation dans les exhortations d’un président dont l’œil est maintenant, de toute évidence, rivé sur la seule date de l’éventuel renouvellement de son mandat. Puisque l’exécutif ne veut rien entendre du message que lui adresse le peuple de scrutin en scrutin, puisqu’il ne veut rien voir de la détresse d’un pays dont on s’ingénie à détruire les protections collectives et à ruiner les droits, puisqu’il demeure arc-bouté sur une « feuille de route » dont on ne peut attendre ni la justice sociale, ni l’efficacité économique, ni la cohésion de la nation autour de ses conquêtes les plus essentielles, ce n’est que d’une grande mobilisation civique, d’une remise en mouvement de la gauche profonde par-delà ses clivages partisans actuels, que peut naître le sursaut salvateur.
Je viens de lire l’appel de Pierre Joxe à ”« une gauche bien vivante »”. L’homme est l’une des dernières grandes figures morales de la gauche et sa parole est rare. Raison de plus pour y prêter attention. Vent debout contre le projet de réforme constitutionnelle dont François Hollande vient de nouveau de vanter les mérites – avec pour unique argument, il faut le rappeler, qu’il est le fruit de sa seule décision –, il se félicite de la vague d’indignation qui vient bousculer le débat dans notre camp. Il écrit : ”« Décalage singulier aujourd’hui entre l’effet juridique espéré d’une décision controversée et l’effet politique instantané : soudain, la gauche anesthésiée se réveille. Tous mes vœux. »”
Et s’il avait raison ? Si l’étincelle venait d’où nul ne l’attendait ? Si la révolte imprévue contre un coup intolérable asséné à l’un des piliers de la République venait nous sortir de cette léthargie et de cette impuissance ressentie qui nous aura fait subir défaite sur défaite ces trois dernières années ? C’est ce que je nous souhaite, en ce début 2016…