Ouragan sur la présidentielle
Toutes les astuces que possèdent en magasin les petits communicants peuplant les sommets de l’État n’y changeront rien. La dernière longue séquence de ce quinquennat nauséeux vient de s’ouvrir, la semaine passée, sur un désastre politique autant que moral.
Certes, ce 10 février, François Hollande et Manuel Valls seront ”in extremis” parvenus, au prix de pressions effrénées et de chantages multiples exercés sur quelques députés socialistes avides de sinécures ministérielles, à faire avaliser par 60% de l’Assemblée nationale leur projet de révision constitutionnelle. Mais à quel prix ! Un pays décontenancé par une querelle dont il ne saisit pas vraiment la portée, tant les positionnements tacticiens et les arguments de circonstance l’auront embrouillé… Une gauche divisée comme jamais, que l’on aura amenée à s’écharper sur un terrain des plus glissants, celui de l’appartenance à la nation et de l’identité française… Un Parti socialiste en miettes, à l’image de son groupe au Palais-Bourbon, dont près de la moitié des membres (111, pour être précis) aura refusé d’apporter son soutien à une « réforme » indigne, soit que ceux-ci se soient abstenus, soit que pour 83 d’entre eux ils s’y soient franchement opposés…
Cette « victoire » à l’arraché du changement de Constitution aura tout juste autorisé un remaniement gouvernemental raté. Raté, dans la mesure où il n’aura eu pour toute implication que de consacrer l’éclatement d’Europe écologie, de faire obscurément passer à la trappe quelques éminences dont on ne sait toujours pas en quoi elles avaient pu déplaire au Prince, et d’étaler aux yeux de l’opinion l’étroitesse d’une majorité présidentielle dorénavant réduite à une partie seulement du PS, à cette formation aussi minuscule que satellisée qu’est devenu le parti de Jean-Michel Baylet, et à une poignée d’écologistes dont l’influence est inversement proportionnelle à leurs plans de carrière démesurés. Dit autrement, François Hollande ne dispose plus que de l’appui du dernier carré éreinté de ceux qui, à la différence de tant d’autres ayant décliné ses sollicitations (de Nicolas Hulot à Martine Aubry, en passant par Hubert Védrine), auront accepté de grimper avec lui sur ce qui ressemble furieusement au Radeau de la Méduse.
Ce qui restera comme l’un des plus tristes épisodes de la vie publique de ces deux dernières décennies aura également fait une autre victime : Nicolas Sarkozy. L’actuel tenant du titre et son prédécesseur avaient conclu entre eux un pacte, ce fameux ”« pacte de Versailles »” dont la France aura découvert l’existence avec ébahissement, qui les unissait dans l’approbation d’un projet de régression démocratique, avec l’objectif commun de pouvoir s’affronter dans quinze mois. L’un, parce qu’il croyait ce faisant prendre le peuple de gauche en otage du « vote utile » en sa faveur, l’autre parce qu’il y voyait l’opportunité de prendre un avantage décisif sur ses rivaux de la « primaire » de la droite, ils s’étaient en quelque sorte mutuellement choisis pour adversaires de la prochaine présidentielle. Patatras ! Si l’apport des députés sarkozystes se sera révélé indispensable à l’adoption de la déchéance de nationalité comme de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, il ne s’en sera pas moins trouvé une petite moitié du groupe des « Républicains » pour défier l’ancien chef de l’État, pourtant venu en personne tenter de les convaincre de le suivre dans son choix.
Voilà qui « déverrouille » spectaculairement le jeu électoral, à peine plus d’un an avant le rendez-vous cardinal de la V° République. Bien malin qui, à droite, pourrait dire maintenant comment va se dénouer le match, de toute évidence appelé à atteindre un paroxysme de violence, entre Messieurs Sarkozy, Juppé, Fillon et consorts. Et bien aveugle serait celui qui, à gauche, pourrait désormais expliquer que les jeux sont faits et qu’il ne reste à chacun qu’à se déterminer face à un François Hollande se posant en « candidat naturel » du PS comme de tous ceux qui redoutent, à juste titre d’ailleurs, un second tour ramené au choc entre droite et extrême droite.
Quoique l’on puisse penser de ses limites, la proposition d’une ”« primaire des gauches et des écologistes »” voit ainsi confirmer ce qui a présidé à sa formulation : le refus de voir l’expression de la gauche résumée, l’an prochain, à la prestation d’un président sortant cherchant à faire légitimer par défaut ses orientations en faillite, flanqué de candidatures le contestant tout en restant dans le registre du témoignage impuissant. Sans qu’ils aient pu imaginer sur quel embourbement allait déboucher le débat sur la révision de la Constitution, les personnalités à l’origine de l’appel du mois de janvier n’auront fait qu’anticiper une réalité incontournable : le présent locataire de l’Élysée, parce qu’il a éhontément trahi le sens du vote de 2012, n’est pas en mesure de rassembler la gauche à l’élection présidentielle, comme ce serait si nécessaire pour la qualifier à coup sûr au second tour, et pour lui permettre de battre la droite en rouvrant à notre peuple un chemin d’espérance. C’est la désignation d’une candidature de gauche, sur un contenu en rupture avec la conduite des affaires depuis quatre ans, qui vient donc clairement à l’ordre du jour.
Cela appelle au débat le plus vaste entre tous ceux et toutes celles, forces politiques, acteurs sociaux et citoyens inorganisés, qui partagent cette conviction, sur les quelques axes de campagne à partir desquels pourrait s’enclencher une dynamique de remobilisation de notre camp. En organisant, chaque semaine, les « Lundis de gauche » autour d’invités contribuant à un échange pluraliste sans tabous, le Parti communiste aura dessiné cette perspective. Il conviendrait, selon moi, de prolonger ces carrefours par l’organisation d’une convention de gauche pour un programme de gauche en 2017.
Il me faut, à ce moment de ma note, dire un mot de la candidature solitaire annoncée, le 11 février, par Jean-Luc Mélenchon. Je ne tournerai pas autour du pot : elle s’avère un mauvais coup porté aux efforts de celles et ceux qui ne veulent pas se résigner à la déroute que sanctionnerait l’élimination de la gauche du second tour du scrutin présidentiel. Que la figure tutélaire du Parti de gauche dise sa méfiance envers un système de « primaire » conduisant possiblement à une présidentialisation accrue de nos institutions, cela peut s’entendre. Qu’il se considère le mieux à même de porter une parole forte dans une confrontation extraordinairement difficile, c’est naturellement son droit.
Ce qui se révèle en revanche totalement condamnable, c’est qu’il préfère conforter les manœuvres de François Hollande, afin de se retrouver seul en situation de l’affronter à gauche en avril 2017, plutôt que de donner toutes ses chances au dialogue avec les secteurs intellectuels et militants en recherche d’une issue plus ambitieuse et rassembleuse. D’autant que l’argumentation choisie par celui qui aura été l’un de mes deux complices de la fondation du Front de gauche, en 2009, ne saurait convaincre. Elle amplifie, en effet, la confusion ambiante en s’affranchissant de toute concertation avec les courants anti-austérité structurés, pour lui préférer les hauteurs de l’Aventin que n’affectionnent, en général, que les personnages certains d’avoir un destin personnel. Elle se construit même, étonnement, à partir de la posture de l’homme au-dessus des partis, décidé à imposer ses vues à ceux-ci, dépositaire autoproclamé des attentes de la ”« France insoumise et fière de l’être»”, se prétendant en dialogue direct avec un peuple censé (alors qu’on le prive de tout cadre véritablement collectif de délibération) relever les défis de la renaissance d’une visée transformatrice.
Ce faux-pas regrettable risque donc surtout d’avoir porté le coup final à un Front de gauche rendu exsangue par son incapacité à tirer les enseignements des erreurs commises depuis près de quatre ans. Une grande bataille, décisive, n’en vient pas moins de s’ouvrir à gauche. Pour rien au monde, il ne faut manquer ce rendez-vous.