Retour sur le 37° Congrès du Parti communiste
En France, je veux le redire quitte à apparaître répétitif à certains, un congrès du Parti communiste français n’est jamais un événement anodin. Je le pensais alors que je n’en étais pas membre, j’en suis encore plus convaincu à présent que j’en fais la vérification pratique, « de l’intérieur » si je puis dire. S’il en va ainsi, c’est tout simplement parce que ce parti a marqué l’histoire du pays et de ses plus belles conquêtes… Parce qu’il représente toujours, en dépit des difficultés qu’il aura dû affronter ces dernières décennies, un repère pour des millions d’hommes et de femmes (qui, même s’il ne se sent pas de proximité particulière avec le PCF, n’a pas dans sa famille ou son entourage quelqu’un qui en est ou en a été adhérent ou sympathisant ?)… Parce que ses dizaines de milliers de membres, son implantation sur le territoire et dans le monde du travail, l’action au quotidien de ses nombreux élus en font toujours une force qui compte à gauche… Parce que cela lui permet de concentrer en son sein des capteurs irremplaçables de la réalité française…
Je sors précisément des travaux du 37° Congrès, qui s’est tenu du 2 au 5 juin à Aubervilliers. Mes camarades de Haute-Garonne m’avaient fait l’honneur et l’amitié de me désigner pour les représenter, aux côtés des douze autres délégués de la fédération départementale. Des échanges parfois difficiles de cette grande rencontre militante, je suis sorti animé d’un sentiment conforté : décidément, avec les amis de l’ex-Gauche unitaire, nous avons eu raison de nous regrouper avec les communistes dans un parti qui dispose de plus d’un atout pour se hisser au niveau des défis inédits d’une situation déterminante pour la gauche.
Naturellement, le travail « pointu » d’amendement mené par les délégués sur ce qui s’avère dorénavant leur projet pour les années à venir – il s’intitule « Le Temps du commun » – sera largement passé sous les « radars » de médias peu enclins à s’intéresser à autre chose qu’à l’échéance présidentielle de l’an prochain. Cela dit, pour peu que l’on voulût bien les observer, les discussions auxquelles aura donné lieu cette partie de l’ordre du jour – sur la définition d’un communisme de ”« nouvelle génération »”, sur les dimensions économique et sociale du projet du PCF, sur la question européenne, sur les axes du combat de nouveau déterminant pour la paix et la démocratie dans le monde, pour ne parler que de ces thèmes… – auront révélé une grande vitalité intellectuelle. De quoi démentir les regards méprisants qu’une petite élite enfermée dans ses certitudes porte sur tout un pan du mouvement progressiste français. Passons, car l’épicentre de ce congrès portait bel et bien sur la stratégie à mettre en œuvre d’ici 2017 et au-delà.
Le document finalement adopté à une très large majorité prend lucidement à bras-le-corps les innombrables défis d’un moment politique qui, au terme d’une gestion calamiteuse des affaires par un pouvoir ayant bafoué toutes les attentes populaires, peut voir la gauche – et, avec elle, le camp du travail et du progrès social dans son ensemble – transformée en champ de ruines pour de très longues années. Il s’articule autour de la perspective d’un ”« Front populaire et citoyen »”, entend ouvrir un débouché politique au réveil social qu’aura cristallisé la prétendue « loi travail » autant qu’aux aspirations qui montent avec force d’une société violentée par le néolibéralisme. Il affirme dans ce cadre sa volonté de voir porter un ”« projet de gauche »” par le rassemblement des forces vives de la gauche politique et sociale, et appelle à construire un vaste processus, impliquant le plus grand nombre possible d’acteurs sociaux ou d’hommes et de femmes refusant de voir la France privée de cette voix singulière que lui conféraient jusqu’alors les idéaux émancipateurs de sa Grande Révolution.
On attendait, évidemment, le Parti communiste sur le bilan du Front de gauche et l’analyse des raisons pour lesquelles celui-ci aura accumulé les échecs au cours des quatre années écoulées. Il ne se sera pas dérobé, même si reste à faire l’analyse approfondie de l’impasse dans laquelle une expérience prometteuse se sera vue conduite. Réaffirmant son attachement à la visée majoritaire qui avait présidé au lancement de cette convergence unitaire en 2009, récusant néanmoins le solo (qui pourrait bien être funèbre, hélas) de Jean-Luc Mélenchon ces derniers mois, refusant plus particulièrement de se laisser entraîner dans le cul-de-sac de l’incantation impuissante, le PCF aura choisi le chemin lui permettant d’affronter l’infinie complexité de la conjoncture hexagonale présente. Un chemin incontestablement plus escarpé, mais ayant pour avantage de se donner l’intérêt général pour unique boussole…
Appelant, dans cet esprit, à un ”« pacte d’engagements communs »” sur lequel puissent converger toutes celles et tous ceux qui ”« veulent une alternative à la politique gouvernementale »”… Proposant que ledit pacte puisse être soumis à ”« une votation citoyenne »” à l’automne… Avançant cinq axes autour desquels une large convergence pourrait demain se réaliser… S’engageant directement dans ce mouvement avec la grande ”« consultation populaire »” dont il a pris l’initiative et qui devrait lui permettre de rencontrer un demi-million de Français au cours des prochaines semaines… Se fixant, à l’élection présidentielle, l’objectif d’une ”« candidature commune »” à même d’éviter la balkanisation et la marginalisation de la gauche… Faisant état de sa disponibilité à une ”« primaire citoyenne ou toute autre forme de processus citoyen de désignation »”, si plusieurs candidatures se dégageaient pour défendre cette politique de gauche à laquelle Messieurs Hollande et Valls ont définitivement renoncé… Se gardant bien d’oublier l’échéance des législatives qui suivra la présidentielle, essentielle puisque ce sont les députés qui adoptent les lois et que le plus grand nombre d’entre eux doit être porteur d’un mandat élaboré au plus près du terrain… Le rendez-vous d’Aubervilliers aura mis dans le débat public des propositions de nature à faire bouger les lignes de notre côté de l’échiquier politique.
Sans doute, tous les débats n’auront-ils pas été tranchés à l’occasion de ces quatre jours, et il appartiendra à une conférence nationale, le 5 novembre, de tirer les conclusions pratiques de la bataille engagée. Mais un cap dynamique aura été tracé, et il peut rebattre les cartes à gauche. En regardant les centaines de participants de ce 37° Congrès redéfinir leur visée collective, il me sera revenu à l’esprit la réaction d’une amie très chère qui, fort sceptique au départ, me disait avoir été convaincue de cette tentative de rouvrir le champ des possibles, lorsqu’elle a lu cette phrase d’une récente interview de mon ami Pierre Laurent, selon laquelle ”« c’est aujourd’hui le PCF qui tient la gauche debout »”. C’est l’évidence, relevait-elle, au vu de la dislocation qui nous guette.
C’était, au fond, le pari de ces assises que de donner un prolongement ambitieux à cette conviction. À mon sens, il aura été réussi. Et la présence attentive, tout au long des travaux, de représentants de toute la gauche, du président du Mouvement républicain et citoyen au secrétaire national d’Europe écologie, en passant par des personnalités socialistes de premier plan comme Marie-Noëlle Lienemann, Benoît Hamon ou Christian Paul, m’en semble la confirmation.
Pour compléter ce retour à chaud sur ces quatre jours qui pourraient bien influencer l’avenir, je vous livre ici mon intervention devant le congrès, le vendredi 3 juin.
« JE VOUDRAIS VOUS FAIRE PARTAGER UN DOUBLE REGARD »
« Chers Camarades, je voudrais vous faire partager un double regard : celui du militant qui, comme tous les communistes, vient de participer à un beau débat de congrès ; mais aussi le regard, plus particulier, de l’un de ceux qui, avec l’ex-Gauche unitaire, a rejoint le Parti communiste après avoir été l’un des trois fondateurs du Front de gauche.
« Le Front de gauche, précisément, son bilan fait débat dans nos rangs. Son échec depuis quatre ans, ou plutôt ses échecs répétés, doivent au fait qu’il s’est détourné de son point de départ, qui consistait à vouloir réorganiser la gauche tout entière sur une politique de combat.
« Moins que jamais, aujourd’hui, nous ne saurions aborder un moment politique particulièrement grave pour la France, en poursuivant dans la voie de l’enfermement dans l’espace d’une petite gauche étroitement protestataire.
« Nous devons prendre toute la mesure des analyses que nous développons dans nos textes. Le pays est à un tournant de son histoire. Avec un réveil social qui va déterminer les rapports de force politiques et sociaux pour des années… Avec la montée d’une profonde aspiration au renouveau démocratique… Et avec le divorce désormais consommé de l’immense majorité du peuple de gauche, jusqu’au cœur du Parti socialiste, avec le gouvernement et ses soutiens.
« L’urgence est d’apporter à cette situation un débouché politique crédible. Crédible, en ce qu’il se fixe pour objectif de réunir une majorité politique et ne se dérobe pas au défi du pouvoir.
« Si nous n’y parvenons pas, c’est du pire que nous sommes menacés. Face à une droite radicalisée comme elle ne l’a jamais été depuis la Deuxième Guerre mondiale, et à un Front national qui campe aux portes du pouvoir.
« C’est pour cela qu’il convient de rassembler toutes les énergies disponibles à gauche. En nous saisissant de tous les débats qui surgissent, et c’est la raison pour laquelle je suis convaincu que nous avons eu raison de nouer tout de suite le dialogue avec les initiateurs de l’appel à une ”« primaire des gauches et des écologistes »”. Et, évidemment, en mettant prioritairement, comme nous le faisons, l’accent sur les questions de contenu.
« La question qui nous est posée est finalement simple : est-ce que, conformément à son histoire, le Parti communiste sera à la hauteur d’un moment politique crucial ?
AGIR EN AILE MARCHANTE DE LA RECONSTRUCTION D’UNE PERSPECTIVE MAJORITAIRE
« Il nous faut aborder les problèmes avec franchise : nous n’avons pas vocation à être les porteurs d’eau d’aventures solitaires, au demeurant lorsqu’elles s’éloignent de plus en plus de nos appréciations des enjeux, autant que de notre démarche stratégique. Nous nous devons de le dire clairement à Jean-Luc Mélenchon !
« En revanche, nous avons le devoir d’agir en aile marchante de la reconstruction d’une perspective d’espoir. Qui rassemble de nouveau la gauche comme les forces populaires et citoyennes, en un nouvel élan de conquêtes et de progrès.
« C’est, me semble-t-il, de cette manière qu’il faut comprendre la disponibilité, à présent affichée dans la proposition de texte sur 2017, à présenter une candidature communiste, dans le cadre d’un processus citoyen dont le but doit être d’aboutir à une candidature de gauche, sur un pacte véritablement de gauche, à l’élection présidentielle.
« Le message que le congrès peut, ce faisant, envoyer est celui de notre total engagement dans un mouvement qui vise, tout simplement, à sauver la gauche de l’anéantissement au bord duquel ce quinquennat nauséeux l’a menée. »