Détournement de “primaire”…
Il faut lui reconnaître au moins un talent : si François Hollande aura incarné une présidence exécrable pour quiconque revendique une appartenance à la gauche dans ce pays, il excelle dans les parties de billard à multiples bandes. Dernier exemple en date, avec la complicité de Jean-Christophe Cambadélis, il se sera débrouillé pour faire ratifier, par le conseil national du Parti socialiste, un projet de « primaire » taillé sur mesures pour satisfaire son désir de retourner devant les électeurs et solliciter d’eux le renouvellement de son mandat.
Ledit projet n’a, évidemment, guère de rapport avec le processus qu’appelaient de leurs vœux, au mois de janvier, les signataires de l’appel à ”« une primaire des gauches et des écologistes »”. Lorsque ceux-ci refusaient d’imaginer que ne puisse être défendu le ”« projet dont la France a besoin »” au second tour de la prochaine présidentielle, lorsqu’ils disaient vouloir ”« du contenu, des idées, des échanges exigeants »”, lorsqu’ils se distinguaient avec force des ”« renoncements »” du pouvoir en place, lorsqu’ils proclamaient l’impératif besoin d’une ”« réappropriation citoyenne »” des enjeux du rendez-vous de 2017 grâce à des ”« rencontres autorisant des délibérations ouvertes et sérieuses »”, ils ne définissaient certainement pas cet ersatz de consultation. Réduit qu’il se trouve au périmètre de ce que le premier secrétaire du PS nomme ”« la gauche de gouvernement »”, et qui ne désigne rien d’autre que la coalition des mini-partis alliés à la rue de Solferino au sein de la ”« Belle Alliance populaire »”.
Parlons en toute franchise. La manœuvre serait simplement minable, si elle ne conduisait immanquablement toute la gauche à une terrible Berezina. Sans doute, en acceptant la concurrence d’autres prétendants dans le cadre d’une « primaire », aussi vidée de portée fût-elle, le tenant du titre reconnaît-il implicitement avoir perdu toute légitimité à se présenter en « candidat naturel » des socialistes et de la gauche. Mais un rendez-vous conçu dans son seul intérêt, organisé au demeurant à trois mois du premier tour de l’élection, ne changera en rien les données du problème.
À supposer qu’il disposât encore des moyens de se représenter sans subir la plus sèche des sanctions, compte tenu du rejet dont il fait l’objet jusque parmi ses électeurs d’avril 2012, qui peut sérieusement croire que François Hollande ait la moindre chance de rassembler la gauche en 2017, de lui permettre d’accéder au second tour, et d’empêcher que la présidentielle ne se dénoue par la victoire du représentant d’une droite ultraradicalisée, à moins que ce ne soit Madame Le Pen qui finisse par profiter de la dérive libérale orchestrée quatre ans durant depuis le sommet de l’État ? Qui ne voit que la volonté de distinguer une ”« gauche de gouvernement »” d’une gauche que l’on méprise hautainement en la prétendant repliée sur la protestation stérile revient à fragmenter, durablement et très profondément, le camp progressiste, selon le scénario si souvent évoqué par le Premier ministre en même temps qu’il exprimait son souhait d’une recomposition au centre l’échiquier hexagonal ?
C’est l’écologiste Yannick Jadot qui était dans le vrai, le week-end dernier, en affirmant au ”Monde” que la raison voudrait que le président sortant rende ”« un grand service à la gauche »” en renonçant à se représenter. Et il serait d’ailleurs tout aussi censé que tous ceux qui l’ont accompagné jusqu’au terme de son quinquennat, qu’il s’agisse de Messieurs Valls ou Macron, fassent de même. Il ne faudrait toutefois pas, maintenant que l’appareil du Parti socialiste a décidé de sacrifier l’avenir de la gauche à sa propre sauvegarde, que d’aucuns se laissent prendre à ce piège mortel.
Je le dis solennellement aux dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui s’étaient reconnus dans l’appel à une authentique « primaire », comme à mes amis socialistes qui n’ont cessé de chercher le chemin d’une alternative aux orientations gouvernementales, l’heure n’est ni à l’abattement devant tant de duplicité cynique affichée, ni à la tactique pour tenter de répondre à une initiative d’emblée pervertie, ni à la multiplication des candidatures en espérant déterminer ainsi qui sera le mieux placé pour s’opposer à un président calamiteux. Car le danger, à l’arrivée, serait de voir le débat politique devenir encore plus confus et le peuple de gauche sombrer dans une totale désespérance.
La bonne réponse, en l’occurrence, consiste à ouvrir pleinement la discussion sur le contenu de l’offre à partir de laquelle le plus grand nombre possible de formations et d’énergies pourrait se retrouver. Avec pour objectif de présenter une même candidature, dont l’ambition ne serait pas de témoigner ou de surenchérir dans une radicalité « antisystème », mais de réunir une majorité de notre pays. Sans s’abandonner, parce que les enjeux sont trop graves, à des jeux de postures, à des calculs anticipant les désastres de l’après-2017, ou encore à ce tropisme qui voit régulièrement une « petite gauche » s’imaginant alternative préférer son entre-soi aux grandes recompositions indispensables à des moments historiques.
Lors de son dernier congrès, le Parti communiste aura parlé d’un ”« pacte d’engagements »”, structuré autour de quelques engagements forts, « pacte » qui devra faire l’objet de la délibération collective de tous les secteurs disponibles de la gauche, avant de se voir soumis à l’approbation d’une vaste votation citoyenne. Sur ce socle fort et de nature à remobiliser notre camp social et politique, il deviendra possible de sélectionner celui ou celle qui apparaître le mieux à même d’incarner le rassemblement et l’espoir. Y compris à travers une « primaire » digne de ce nom, ou toute autre forme de consultation populaire…
C’est, me semble-t-il, la voie à suivre pour construire un rapport de force tel qu’il puisse déjouer les tentatives de diversion (ou de division) et nous sortir de la nasse dans laquelle les gouvernants comme leurs soutiens tentent de nous enfermer. Il est grand temps de passer aux travaux pratiques…