En toile de fond du jihadisme, la crise européenne qui vient

””””””Monsieur Christophe Barbier, le directeur de ”L’Express”, vient de se risquer, dans la livraison du 20 juillet de son hebdomadaire et à propos des retombées du terrorisme qui nous assaille, au pronostic fort sombre de l’ouverture de ”« la plus grave crise politique des dernières décennies, parce qu’elle fissure l’unité du pays, interroge la crédibilité de la force publique et remet en question le rôle de la France dans le monde du XXI° siècle »”. Bien que l’homme fût l’une des plumes (parmi les plus talentueuses, reconnaissons-le) de la pensée néoconservatrice à la française, je ne crois pas totalement infondée cette appréciation. En précisant néanmoins, pour que l’on prît toute la mesure du danger de cette période, que notre Hexagone n’est pas le seul à éprouver, face aux chocs ébranlant l’ordre international, la mise en cause de sa cohésion autant que de la légitimité de ses instances dirigeantes, nos amis belges en font eux aussi la douloureuse expérience. Et, surtout, en soulignant que cet enchevêtrement de secousses politiques nationales se déroule sur la toile de fond d’une tension européenne qui va s’aggravant, bien qu’elle fût un peu passée au second plan de l’actualité, en dépit du tout récent « Brexit ».

Or, comment ignorer l’imbrication de ces différentes dimensions ? Se peut-il que nul ne s’estime interpellé lorsque la société française voit des centaines de ses enfants (on parle d’un à deux milliers de jeunes) tentés par l’aventure de la « guerre sainte » en Syrie et, pour une fraction d’entre eux, déterminés à passer à l’action dans les frontières de leur propre patrie ? N’est-ce pas ici la traduction amère des politiques d’austérité et de dérégulation libérale qui, sur deux ou trois décennies, ont impitoyablement déchiqueté notre tissu social, fait croître le chômage et généralisé la précarité, disloqué les protections juridiques du salariat, désintégré les services publics, fracturé la collectivité citoyenne en amenant une série de catégories populaires à se sentir désormais en marge de leur pays ou ignorées de leurs représentants élus, transformé les quartiers populaires où se concentrent des populations généralement issues de l’immigration post-coloniale en véritables ghettos en proie à la délinquance autant qu’aux faux prophètes de l’islamisme radical ? Si, sur le Vieux Continent, c’est la France qui éprouve avec le plus de violence les effets de ce délitement de son corps social, peut-on ne pas y voir la marque de ce phénoménal affaissement d’une République ayant, au fil des deux siècles écoulés et dans ses principes fondateurs, constitué le ciment même de l’identité française ? Lorsque l’on voit le civisme aussi malmené qu’il l’est aujourd’hui, n’est pas que la démocratie paraît une valeur morte à beaucoup, dès lors que le peuple est privé de toute possibilité de contrôle sur les décisions théoriquement prises en son nom, que l’expression de son suffrage ne se traduit pratiquement jamais dans les orientations mises en œuvre au plus haut niveau, qu’il se trouve au quotidien confronté à une prolifération de règles et de normes décidées hors de son espace de souveraineté qu’est la nation ? L’Europe des marchés et de la finance, telle que l’ont forgée tous les pouvoirs, n’est-elle pas directement en cause ?

Le vote des Britanniques en faveur de la sortie de l’Union européenne n’a pas deux mois mais, versatiles comme ils savent l’être, les oracles médiatisés de la pensée unique en ont déjà oublié les leçons. Pour certains, le « Brexit » ne serait qu’une pure apparence, la nouvelle équipe gouvernante d’outre-Manche étant bon gré mal gré contrainte de négocier un maintien dans le cadre du grand marché unique, quand pour d’autres, recourant volontiers à une anglophobie n’ayant d’égale que leur germanophilie, l’édifice européen se trouverait à présent libéré d’un boulet. Au passage, tous se gardent bien de signaler que l’on vient à peine de passer le cap du premier anniversaire de l’accord léonin imposé au peuple grec, pour prix de son maintien dans la zone euro. Il est vrai que cette petite nation déjà trop martyrisée continue de subir la loi d’airain de créanciers totalement indifférents à son devenir. Surtout, on cherche cyniquement à taire l’accumulation de noirs nuages à l’horizon européen, nuages possiblement annonciateurs d’orages cataclysmiques.

LES SIGNES D’UNE PROCHAINE SECOUSSE

Revenons un instant à la Grèce, pratiquement oubliée des opinions après avoir défrayé la chronique des mois durant. Il se trouve qu’elle vient de rembourser, à la Banque centrale européenne, 2,3 milliards d’euros correspondant à des obligations rachetées par ladite institution sur le marché en… 2010/2011. Sur les 7,5 milliards versés, en juin, à Athènes, au titre du Mécanisme européen de stabilité, presque le tiers a donc sans délai quitté les caisses de l’État hellène, sans que son économie ait le moins du monde bénéficié de cette manne. La dette grecque n’en reste pas moins de 1,7 milliard à la BCE et de 3,3 milliards au Mécanisme de stabilité. Pas question, cependant, pour les banquiers de Francfort autant que pour les « partenaires » du pays, de racheter des actifs (comme le patron de la BCE se targue de le faire pour le reste de la zone euro, dans l’objectif proclamé d’entraîner celle-ci vers la reprise) ou d’effacer la créance : l’ordolibéralisme, appliqué d’une main de fer à tout le continent sous la férule de Madame Merkel, ne doit souffrir d’aucun assouplissement, surtout s’agissant de Grecs soupçonnés de tous les laxismes. Qu’importe que le gouvernement d’Alexis Tsipras pût afficher un excédent primaire record de son budget (hors service de la dette) de l’ordre de 2,4 milliards (autour de 3% du PIB trimestriel), il est exigé de lui qu’il atteigne sans rechute l’objectif des 3,5% en 2018. Avant cela, pas de négociations possibles, vient de trancher le triste Monsieur Moscovici.

Situation ubuesque ! Le pays se trouve en récession depuis trois trimestres. Son produit intérieur brut trimestriel a reculé de 1,5% sur un an et il se trouve, en volume, à son plus bas niveau depuis 2002. Les salaires accusent une régression de 24% sur six années et le chômage touche toujours plus de 23% de la population active. Pour obéir aux injonctions de Bruxelles comme de l’Eurozone, et alors qu’il aurait besoin d’un vigoureux plan d’investissement public (plus impératif que jamais, dès lors que l’investissement en provenance du secteur privé est littéralement exsangue), il doit sacrifier 3,35 milliards de sa dépense budgétaire et consentir à un drastique plan d’austérité, avec à la clé augmentation de la TVA, réforme des retraites, ou renoncement définitif à sa souveraineté budgétaire. Clairement, son économie s’enfonce toujours davantage dans la dépression et, absurdité suprême, du fait d’un endettement équivalent à plus de 177% de son PIB qu’il doit rembourser sur 40 ans, il lui faut solliciter de nouveaux crédits. Combien de temps, dans des circonstances marquées par un climat économique des plus moroses pour tout l’espace européen, se conjuguant par surcroît aux difficultés liées aux flux de réfugiés débarquant incessamment sur les côtes grecques et aux problèmes de sécurité accrus engendrée par la menace jihadiste, peut se prolonger cette torture par laquelle, pour se payer eux-mêmes, des bailleurs peuvent imposer à un membre de l’UE une rigueur aussi impitoyable qu’improductive ?

Sans compter que s’invite, je le disais, dans les discussions des Vingt-Sept, l’épineuse question soulevée par les convulsions naissantes du système bancaire. C’est d’Italie, cette fois, que vient l’épreuve. En résumé, dans le contexte de marasme économique général que connaît l’Europe, les banques de la Péninsule ont dû accepter, pour venir notamment en aide à des PME fragilisées, des prêts que la novlangue des technocrates libéraux dit « non performants ». Ces « mauvaises dettes » représentent, à en croire le Fonds monétaire international, la bagatelle de 18% du produit intérieur brut. Les banquiers transalpins ne sont d’ailleurs pas les seuls à avoir dû recourir à ces pratiques, les créances pourries des établissements financiers représentant 12% du PIB au Portugal. Pour les autorités, l’urgence vient du fait que le secteur bancaire vient de perdre 60% de la valeur de ses cotations, faisant plonger de 30% la Bourse de Milan, et que la plus vieille banque du monde, Monte dei Paschi di Siena, affiche dix milliards de prêts risqués.

Un processus de recapitalisation s’avère, en conséquence, indispensable si l’on veut éviter une catastrophe. Le plus simple serait d’engager une procédure de ”« bail out »”, impliquant de sauver l’établissement concerné et ses semblables au moyen d’une injection directe de fonds publics. Mais cette possibilité est dorénavant interdite par les règles révisées de l’Union bancaire. Celles-ci exigent que les recapitalisations proviennent uniquement des actionnaires et des déposants, selon un mécanisme dit de ”« bail in »”. Berlin ne veut, sur ce plan encore, rien céder au gouvernement de Matteo Renzi. Sauf que la place de l’économie italienne dans la zone euro n’est en rien comparable à celle de la Grèce. Et que, spécificité italienne, pas moins de 60 000 ménages, souvent modestes, détiennent des obligations émises par leurs banques. D’où le risque de spoliation d’un grand nombre de ces petits épargnants (en novembre de l’an passé, une telle situation s’était produite à la suite de la faillite de quatre établissements régionaux). Voilà qui peut mener nos voisins à une crise bancaire qui, si elle éclate, aura tôt fait de se transformer en déflagration sociale gravissime et, au-delà, d’entraîner toute la construction européenne au bord du précipice.

LE NAUFRAGE PROGRAMMÉ D’UNE FOLLE ÉDIFICATION

De manière récurrente, sans qu’il fût encore possible d’enjoliver une triste réalité par des tirades lénifiantes, cette Europe se révèle un non-sens économique, un désastre social, une régression démocratique sans précédent depuis la défaite des fascismes. Elle ne s’identifie plus, comme on tenta longtemps de nous le faire croire, à un vecteur d’union des peuples par-delà leurs frontières, mais se présente désormais comme un froid instrument de déréglementation, de dégradation des services publics, de soumission des marchés publics à un intégrisme libéral échevelé, d’interdiction faite aux États d’intervenir dans la marche de l’économie, de dévolution des pouvoirs à une technocratie soustraite à tout contrôle citoyen mais multipliant directives régressives et autorités prétendument indépendantes, le tout se déroulant sous l’égide d’orientations faisant des équilibres budgétaires un dogme intangible. Je partage les mots d’Arnaud Montebourg pour désigner le monstre dont a accouché la « modernité » capitaliste : ”« L’UE s’est construite contre les peuples, autour d’un projet libéral, qui se traduit par l’obsession de la réduction des déficits publics et de la dette. Des politiques d’austérité ont été menées de manière extrémiste et autoritaire, prolongeant la crise de la zone euro. Les choix ainsi faits sont idéologiques et non économiques »” (”Le Monde” du 29 juin).

On pourrait, au surplus, ajouter que, sur les bases où elles se sont érigées, d’Acte unique en traités successifs, l’Union et l’espace des pays dotés d’une même monnaie n’ont fait que creuser les concurrences entre pays membres et accoucher d’un rapport de force où l’un d’entre eux, l’Allemagne en l’occurrence, a fini par profiter des dispositifs de « gouvernance » en vigueur pour occuper une position prédominante. Au point d’exercer son ”magister” sur les choix politiques et sociaux de ses voisins, de les empêcher de mettre en place des dispositifs contracycliques de nature à faire face aux menaces de récession ou de déflation, de les priver de la possibilité de développer des filières industrielles adaptées à leurs besoins et potentialités. Au point, surtout, de s’appuyer sur la rigidité des conditions de l’union monétaire pour faire prévaloir ses intérêts économiques et commerciaux à leur détriment. Une souveraineté à sens unique, en quelque sorte, qui est allée jusqu’à permettre à ses responsables de se passer du consentement de leurs « partenaires », sur des dossiers diplomatiques aussi déterminants que les relations avec la Russie ou la coopération instaurée avec le pouvoir dictatorial de Monsieur Erdogan à propos des réfugiés.

Parlons sans langue de bois. Cette dynamique dévastatrice va inévitablement faire croître la colère des peuples dans un très proche avenir, faire flamber les nationalismes et la xénophobie, favoriser des fractures multiples pour, au final, ruiner l’idée européenne elle-même. D’autant qu’elle va toujours davantage apparaître en contradiction avec la nécessité de doter l’Union d’une démarche indépendante des États-Unis sur le théâtre planétaire, de protéger les populations européennes du jihadisme globalisé, de travailler à la restauration de la cohésion des sociétés, de revitaliser la démocratie au sein des différents cadres nationaux comme sur l’ensemble de l’espace continental. De tels objectifs supposent en effet, tout à la fois, une visée politique dont l’UE est totalement dépourvue et une sortie des rets de la contrainte budgétaire, afin de retrouver quelques marges d’action.

Le traitement infligé au peuple grec, en juillet 2015, avait mis en relief la panne irrémédiable de légitimité de cette logique folle. Le départ du Royaume Uni, au mois de juin, est l’ultime avertissement adressé à des gouvernants et à une oligarchie bruxelloise sourds et aveugles aux attentes de l’immense majorité des Européens. Dans quelques semaines, l’élection présidentielle autrichienne, qu’il a fallu recommencer tant les résultats de la précédente avaient été serrés, a toute chance de confirmer la poussée de l’extrême droite dans ce pays et d’encourager ses semblables un peu partout. De sorte que c’est à une succession de chocs croisés, économiques, sociaux, politiques et sécuritaires, qu’il convient de nous préparer. Au moment précis où va se jouer, dans cette deuxième puissance fondatrice de la construction européenne qu’est la France, un scrutin cardinal… Il n’y a, par conséquent, plus un instant à perdre avant de rouvrir le débat sur cette question cruciale, pour corriger ce qui peut l’être à brève échéance et, plus encore, pour que le devenir de l’Europe et le rôle de la France en son sein viennent au cœur de nos confrontations électorales des prochains mois.

DES MESURES IMMÉDIATES POUR RÉPONDRE À L’URGENCE

Au vu des séismes qui se profilent, la première exigence à porter auprès de notre exécutif tient à la récupération de la souveraineté que la France a perdue, du fait de l’attitude de ses porte-parole dans les divers sommets de l’UE ou de l’Euroland, et à la suite du mépris dans lequel a été tenu le vote de nos concitoyens lors du référendum de 2005. Cela concerne, au premier chef, la sortie de l’austérité et la fin de l’impératif d’équilibre budgétaire. Mais cela implique tout autant le rejet de la règle libre-échangiste sans bornes, dont les retombées sont littéralement catastrophiques pour les économies du continent, leurs industries, leurs productions agricoles, sans parler des normes sociales et environnementales protégeant les populations. Pour le dire autrement, dans le moment qu’il traverse, notre pays doit faire savoir à ses «partenaires» qu’il ne respectera plus des décisions ou directives contraires à ses intérêts nationaux. Ni ce qui aboutit à entraver l’investissement productif, la réindustrialisation de ses territoires, la conversion écologique de son appareil économique, ou la consommation intérieure, c’est-à-dire tout ce dont dépend une bonne partie de la reprise. Ni ce qui concourt au dumping social, telle la directive sur les travailleurs détachés. Ni ce qui pourrait conduire à provoquer de terribles épreuves chez nos plus proches voisins du sud-européen, qu’il s’agisse des menaces de sanctions que la Commission de Monsieur Juncker fait peser sur l’Espagne ou le Portugal parce qu’ils se sont légèrement placés hors des clous de l’orthodoxie budgétaire, ou des exigences insupportables pesant sur l’Italie à propos de la recapitalisation de ses banques. Après tout, s’ils agissaient de cette manière, nos gouvernants ne feraient que s’inspirer de la méthode par laquelle David Cameron, pour gagner son scrutin référendaire et sur sa ligne ultralibérale, sut imposer à l’Union une série d’exceptions aux règles s’appliquant partout ailleurs sur le continent.

Au-delà, sans se contenter des petites phrases d’un Manuel Valls tentant désespérément de récupérer une once de crédit auprès de l’opinion, la France doit annoncer qu’elle retire le mandat qu’elle avait accordé aux plénipotentiaires de Bruxelles actuellement en charge de la négociation du traité transatlantique avec Washington. Elle doit, dans le même temps, exiger que les 80 milliards que la BCE injecte chaque mois sur les marchés financiers et vers les banques soient réorientés en direction de l’investissement public, des besoins industriels les plus pressants, ou encore de l’application des décisions de la COP 21 relatives à la lutte contre le dérèglement climatique. Et il lui faut, dans le même esprit, exiger que soit convoquée dans les meilleurs délais une conférence européenne chargée de rééchelonner la dette des États, et d’en effacer la portion dont chacun sait qu’elle ne pourra jamais être acquittée, sauf à étrangler les pays débiteurs.

Ce ne sont là que quelques exemples de mesures qui pourraient immédiatement être mises à l’ordre du jour pour répondre aux urgences, sans que cela n’entraîne ni l’éclatement de l’Union européenne, ni la sortie de quiconque de la zone euro. Elles pourraient parfaitement s’appliquer dans le cadre des traités existants, aussi calamiteux fussent-ils, et supposeraient simplement, pour qu’elles soient discutées, que le président de la République fît preuve d’un peu de volonté, au prix si nécessaire d’un bras-de-fer avec Berlin, pour faire prévaloir les intérêts de notre pays.

Il n’en reste pas moins que la question d’une refondation globale de l’édifice est maintenant posée et que les propositions que je viens de brosser à la serpe dessinent une toute nouvelle approche européenne. Je me sens, à cet égard, tout à fait en phase avec ce que mon ami Francis Wurtz écrivait voici quelques jours, pour en appeler à une ”« Europe à géométrie choisie »” :” « Il faut garantir explicitement à chaque peuple qu’il ne sera jamais entraîné dans un engrenage aboutissant à un modèle de société violant ses choix essentiels. Toute orientation européenne déterminant l’avenir d’un pays membre doit procéder de décisions prises librement et en connaissance de cause par les citoyens concernés. Ces choix doivent donc pouvoir être différents d’un pays à l’autre. Non seulement, l’un choisira l’euro ou optera pour une défense européenne, l’autre non. Mais, bien plus : s’il souhaite, par exemple, conserver ses services publics adossés à des entreprises publiques non soumises à la concurrence afin de leur permettre de se consacrer exclusivement à leurs missions de service public, un pays doit pouvoir le faire »” (”L’Humanité-Dimanche”, 7 juillet 2016).

ENGAGER LA REFONDATION… TANT QU’IL EN EST ENCORE TEMPS

D’évidence, l’Europe ne peut plus être régie par un fédéralisme autoritaire qui, contournant les espaces nationaux au sein desquels vit la démocratie, représente la négation du principe de souveraineté des peuples. La négociation d’un nouveau traité s’impose, dans l’objectif de parvenir à une Union de nations souveraines et de peuples solidaires, qui décideraient vraiment de ce que l’on fait en leur nom. Il importe, dans cet esprit, de penser une architecture replaçant les institutions communautaires sous le contrôle des États et de leurs Parlements, modifiant profondément les statuts et missions de la Banque centrale afin d’en finir avec son indépendance envers les gouvernements, se disposant pour l’élaboration d’un autre modèle de développement qui se substituerait à l’approche mercantiliste que la droite conservatrice d’outre-Rhin nous a léguée. Et ce, sans se dérober aux délicats enjeux que constituent, à présent, la coopération des Européens sur la scène internationale, en particulier dans la mise en œuvre de politiques de co-développement avec le Sud, le recouvrement de leur indépendance à l’égard de l’Oncle Sam et du Pacte atlantique, la définition d’une réponse humaine et mutualisée à l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés fuyant la mort qui les guette dans leurs pays d’origine, la défense de leurs frontières extérieures et la lutte conjointe contre le fanatisme totalitaire.

Naturellement, à l’occasion d’un semblable processus, il conviendra d’aborder la place de la zone euro dans l’espace communautaire et les critères de fonctionnement de la monnaie unique. J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, je ne crois pas à la solution, sans doute intellectuellement séduisante mais totalement illusoire, du retour aux monnaies nationales. L’espace monétaire européen a, qu’on le voulût ou non, fini par imprimer sa marque aux relations qu’entretiennent entre eux dix-neuf pays. Cela n’interdit toutefois pas que l’on en reformule les objectifs et modalités de gestion.

Force est, en effet, de constater que cette unité monétaire unique, présentée à l’origine comme le moyen de faire pièce à l’hégémonie du dollar, est au fil du temps devenu un outil de légitimation de la discipline austéritaire requise de ceux qui s’y rattachent. Qu’elle a, par l’entremise des taux d’intérêt que les marchés consentent aux différents pays, contribué aux déséquilibres entre ces derniers, en matière de balances commerciales et de poids de leurs dettes publiques respectives. Que des taux de change identiques, décidées indépendamment de la réalité des économies, n’ont fait que doper la compétitivité des plus puissants et affaiblir les autres devant une concurrence déchaînée. Je redis, en conséquence, qu’une monnaie devant d’abord se placer au service de l’économie réelle et des besoins de développement, il me paraîtrait opportun d’envisager un euro demeurant commun à tous dans les transactions commerciales, sans interdire pour autant, comme c’est aujourd’hui le cas, que chacun puisse user du levier des taux de changes en fonction de ses besoins, l’harmonisation s’opérant par l’entremise d’une concertation régulière entre États concernés.

J’ai voulu, par ce ”post” publié en un moment généralement plus propice au repos, rouvrir une discussion dont on peut craindre qu’elle ne soit pas véritablement menée à l’occasion de la campagne qui va s’ouvrir dans quelques semaines. Un sujet chasse dorénavant l’autre, sans que l’on s’efforce un seul instant d’en éclaircir les connexions. Ainsi le veut le court-termisme qui caractérise une vie publique façonnée par des médias n’affichant plus que l’obsession de l’audience. Les pistes de travail ébauchées précédemment me sont propres. Elles sont simplement mises à la disposition d’une réflexion dont je souhaite ardemment qu’elle renaisse au plus vite à gauche…

Christian_Picquet

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