Cette guerre qui menace de nouveau, et qu’il faut arrêter…14

Elle aura été l’invitée surprise de cette dernière ligne droite de la campagne présidentielle. Je veux parler de la guerre. Cette guerre qui se dessine de plus en plus visiblement en toile de fond d’une globalisation capitaliste secouée de spasmes violents.

En règle générale, pour peu qu’ils consentent à s’aventurer sur un terrain dont ils redoutent probablement qu’il les fît déraper, les principaux candidats excipent surtout de leurs aptitudes régaliennes à faire face à un ordre mondial en pleine ébullition. Sur le fond, rien pourtant qui vînt précisément répondre aux angoisses assaillant nos concitoyens quant à l’avenir, ce qui accentue en retour le sentiment de décalage qu’ils ressentent devant une parole publique profondément altérée.

Parlons sans faux-fuyants. Que la responsabilité de l’attaque chimique perpétrée contre la ville syrienne de Khan Cheikhoun, le 4 avril, fût à imputer au régime de Bachar Al-Assad, cela fait hélas peu de doutes. Que ce crime monstrueux, commis contre des civils, dût en toute logique conduire ses auteurs devant un tribunal international, cela relève de l’évidence. Que le monde payât ici le prix de l’incurie de la « communauté internationale » et de ses innombrables renoncements à œuvrer à la transition politique propre à débarrasser Damas de son odieux dictateur, plus personne ne peut l’ignorer. La pluie de missiles Tomahawk que la Maison Blanche a déclenchée contre la base d’Al-Chaayrate n’en acquiert pas, pour autant, la moindre légitimité.

En s’affranchissant de toute décision des Nations unies, l’aventurier démagogue tenant désormais lieu de président aux États-Unis aura finalement enfoncé davantage la Syrie et le Proche-Orient dans le chaos qui les caractérise depuis trop longtemps. Non seulement, les frappes américaines s’avèrent de nature à éloigner encore la perspective diplomatique qui continuait à se négocier entre diverses parties au conflit. Mais elles risquent d’avoir des implications aussi désastreuses que les expéditions qui, hier, en désintégrant l’Irak puis la Libye, auront favorisé la prolifération du cancer jihadiste. Elles vont, au surplus, raviver les tensions internationales, plaçant de nouveau l’Amérique du Nord et la Russie au bord d’un choc frontal, comme en témoigne entre autres la suspension par Moscou de l’accord de ”« déconfliction »” qui existait entre les forces aériennes des deux pays dans le ciel syrien. Pire, en larguant sa bombe la plus destructrice sur une montagne afghane, puis en désignant l’Iran comme une de ses possibles cibles dans le futur, et en dépêchant porte-avions et croiseurs lourdement équipés au large des côtes de la Corée-du-Nord, Washington entraîne la planète dans un engrenage dangereux. Après la puissance russe, c’est ainsi l’empire chinois qui aura été défié dans sa zone d’influence asiatique.

Il est probable que le changement d’attitude de Monsieur Trump traduise une évolution du rapport des forces au sein de l’administration américaine, y consacrant le retour en force de la vision interventionniste que défendaient les néoconservateurs sous les mandats de George W. Bush et Barack Obama. Mais, plus encore, il illustre la redistribution en cours des cartes du jeu international.

LA GUERRE POUR RÉPONSE AU NOUVEAU DÉSORDRE MONDIAL ?

À la prédominance conquise par Washington à la fin du siècle dernier, aura succédé, sur fond d’échec patent de ce modèle économique néolibéral ayant entraîné la planète dans la secousse financière de 2007-2008, l’amorce d’une complète redéfinition des relations entre États, des hiérarchies de dépendance, des équilibres régionaux. D’où cet incroyable enchevêtrement de situations convulsives, auquel nous assistons en diverses zones du globe… Cette multiplication d’effondrements des structures étatiques et des systèmes politiques… Cette désagrégation de nombreuses réalités nationales… Cette exacerbation des concurrences économiques et commerciales mettant aux prises puissances financières et firmes transnationales… Cette accélération corollaire de la course au contrôle des ressources énergétiques et des matières premières, conjugués à ces défis multiples pesant sur notre écosystème… Cet essor d’un terrorisme globalisé, devenu le fruit vénéneux d’une mondialisation cataclysmique et d’un obscurantisme islamiste se targuant de redonner un sens à un monde qui n’en a plus guère aux yeux de populations entières… Ces phénomènes migratoires touchant à présent des millions d’hommes et de femmes fuyant la misère, les tyrannies, l’intégrisme assassin, ou encore les retombées des dérèglements climatiques… Ce développement faramineux des égoïsmes à prétentions patriotiques… Cette généralisation des processus de réarmement…

Dans cet univers qui, d’unipolaire qu’il était au lendemain de la désintégration de l’Union soviétique et des pays satellites, sera devenu ”« zéro polaire »”, pour reprendre une expression de Laurent Fabius lorsqu’il portait la parole du Quai-d’Orsay, un épais brouillard se sera répandu sur les enjeux de la nouvelle configuration planétaire. La « tectonique des plaques » sera devenue plus ardue à interpréter, les repères qui semblaient les mieux installés se seront obscurcis, le droit international sera toujours davantage apparu obsolète, de nouveaux totalitarismes auront vu le jour, des gouvernants fanatisés par des visions messianiques ou millénaristes se seront installés ici et là. Dit autrement, la confusion prévaut dorénavant, ”« l’irruption de l’irrationnel brouille les lignes et déstabilise les diplomaties »”, comme l’écrit à juste titre ce spécialiste des questions militaires qu’est Pierre Servent (in ”Extension du domaine de la guerre”, Robert-Laffont 2016). Les tentations guerrières se révèlent, très classiquement, au débouché de semblables contextes.

TRUMP, OU LE CHOIX DE L’UNILATÉRALISME

Ce que d’aucuns avaient interprété, avec la victoire de Donald Trump, comme le signe d’un repli des USA sur la tradition isolationniste qui les avait parfois caractérisés dans le passé, n’était en réalité que le retour à un unilatéralisme qui pourrait demain raviver des braises couvant depuis des années. Derrière le slogan-fétiche de la campagne présidentielle américaine, ”« Make America Great Again »”, transpirait la détermination à retrouver la position hégémonique, largement battue en brèche dans la dernière période, de la citadelle impériale. Qu’importe dès lors, au successeur d’Obama, qu’il risque de provoquer une déstabilisation généralisée de la situation internationale et de transformer définitivement l’Orient arabe en bourbier sanglant. Considérant sans doute que son pays s’approche de l’indépendance énergétique grâce à l’exploitation frénétique du gaz de schiste, et pour cette raison de plus en plus indifférent au sort d’une zone longtemps considérée comme stratégique aux plans économique et géopolitique, il se montre adepte de la maxime selon laquelle il n’est pas d’omelette sans œufs cassés…

Alors que notre Vieux Continent se consumait dans le premier conflit généralisé du XX° siècle, en octobre 1917 pour être précis, Antonio Gramsci avait bien pointé les tendances lourdes qui amenaient généralement à faire parler les armes : ”« Les conflits existent de tout temps, mais ils ne sont pas toujours à l’œuvre ; et pour que ce soit le cas, il faut une initiative humaine, il faut que quelqu’un juge que le moment de l’action est arrivé, le moment propice à l’obtention d’un nouveau privilège, ou au contraire qu’il faut empêcher qu’un privilège acquis passe aux mains d’un autre ; c’est alors que la guerre éclate »” (« Les professionnels de la guerre », in ”Pourquoi je hais l’indifférence”, Rivages Poche 2012).

Force est de constater, dans la séquence électorale que nous vivons, que la plupart des protagonistes de premier plan se montrent parfaitement incapables de se hisser à la hauteur du défi civilisationnel à relever. Il y a ceux qui, à l’instar d’un François Hollande rejoignant les dirigeants britanniques et allemands, oublient leurs critiques virulentes de l’actuelle administration yankee pour retrouver les accents d’un atlantisme belliqueux (avec un incroyable cynisme, le président de la République vient d’expliquer, au ”Monde” du 13 avril, que le nouveau locataire de la Maison Blanche avait ”« créé un événement qui doit être utilisé politiquement par la France, par l’Europe »”). Il y a ceux qui ne voient, dans les derniers événements, que le prétexte au doublement des dépenses d’armement, sans afficher la moindre vision de ce que doit être demain le rôle politique de la France sur le théâtre planétaire. Et il y a ceux que leurs accointances plus ou moins assumées avec le Kremlin amènent à se faire bien discrets devant les ambitions de ce dernier, bien qu’elles fussent tout aussi condamnables et criminelles que celles du pitre redoutable en place à Washington.

Jean-Luc Mélenchon aura fait, lors de son rassemblement de Marseille, le 9 avril, de la question de la paix l’un des axes de sa campagne. On doit lui en savoir gré. Cela dit, il ne suffit pas de brandir un rameau d’olivier ou d’en appeler à la fraternité entre les peuples, ni même de préconiser la fin des pactes militaires générant le bellicisme. Il importe encore de proposer au pays une politique extérieure en conformité avec le projet d’un monde apaisé parce que délivré des exploitations de toute nature, ainsi que des orientations de défense globales et cohérentes. De la part des forces de gauche ayant à cœur de s’extraire des dérives du quinquennat finissant, quatre axes devraient, à mon sens, être portés dans le débat public.

POUR UNE POLITIQUE DE PAIX ET DE SÉCURITÉ COLLECTIVE

D’abord, la France a le devoir, en vertu des principes républicains et universalistes fondant son identité depuis quelque deux siècles, de se porter aux avant-postes de la défense des droits humaines fondamentaux, mis en cause par les bouleversements planétaires à l’œuvre, la confrontation de prédateurs tentant d’en tirer le meilleur bénéfice, l’enchaînement des provocations militaristes. Ce qui suppose, déjà, puisque la question revient régulièrement dans la bouche de certains candidats, de promouvoir une attitude humanitaire d’accueil et d’insertion des réfugiés, en combattant sans mollesse les surenchères xénophobes qui les désignent comme une menace à l’intégrité de la nation, quand elles ne les assimilent pas purement et simplement à la terreur jihadiste. Et ce qui implique, tout autant, de se situer avec la plus grande détermination du côté des peuples en butte à l’oppression, par exemple le peuple palestinien qui en appelle à la reconnaissance de son État afin de pouvoir vivre en sûreté au côté d’Israël, ou le peuple kurde en proie aux crimes du despote présidant aux destinées de la Turquie.

Ensuite, notre pays doit retrouver son indépendance, en ne cédant à aucun alignement sur l’une ou l’autre des puissances ou des blocs qui tendent à se faire face. Cela passe, évidemment, par le retrait d’une Alliance atlantique qui n’aura jamais été, depuis sa création, que le bras armé de l’Oncle Sam et le vecteur d’entreprises impérialistes ayant creusé les injustices dans les zones où elles se seront déployées, au prix, on ne le soulignera jamais assez, d’une lourde régression du droit international. Si, dans les conditions présentes, les nécessités de protection des populations de notre Hexagone, ou encore la lutte indispensable contre l’intégrisme totalitaire menaçant divers pays de l’aire musulmane, peuvent amener à soulever la question d’un accroissement de nos moyens militaires, il ne sera possible d’y consentir que dans le cadre d’une visée diplomatique résolument émancipée des tutelles extérieures entretenant les logiques de suprématie et les guerres de conquête. Cette approche devant s’accompagner d’une conception radicalement différente de notre défense, ce qui suppose, dans la meilleure tradition jauressienne, d’impliquer les citoyens dans la mise en oeuvre de la nouvelle politique extérieure française, au moyen notamment d’un service civique obligatoire qui concernerait tous les jeunes gens et jeunes filles.

Dans le prolongement, il appartient au peuple français de proposer, à une Union européenne repensée et dégagée de son inféodation présente à l’Otan, un système de défense mutuelle n’empiétant pas sur la souveraineté de ses diverses nations. Un système qui s’oriente en permanence vers la construction d’une culture universelle de paix. Le problème ici, chacun le sent bien, dépasse de loin les slogans faciles sur ”« la sortie des traités »” ou les échanges finalement assez abscons sur d’éventuels plans ”« A »” ou ”« B »”. Au fond, l’exigence d’une réorientation de la perspective européenne répond à une vision d’ensemble du futur. L’alternative au modèle néolibéral, libre-échangiste et dominateur, qui prédomine sur notre continent et dont les États-Unis auront été le fer de lance à l’échelle de la planète entière, se doit d’articuler rupture avec l’austérité, relance de l’investissement pour en revenir au plein-emploi, harmonisation sociale et fiscale par le haut, définition d’un nouveau mode de développement répondant aux défis écologiques et au capitalisme numérique émergent, modification radicale de la place qu’occupe l’Europe dans le monde. Et chacune de ces dimensions doit faire l’objet de propositions aussi précises qu’argumentées.

Enfin, la France se doit d’être à l’initiative d’une refondation de l’Organisation des Nations unies, seule institution possédant, grâce aux principes codifiés par sa Charte, la légitimité lui permettant de contribuer à l’établissement de nouvelles régulations internationales, et chercher à faire systématiquement prévaloir les solutions de la diplomatie. C’est à partir de ce cadre, et de lui seul, que devraient donc être décidées des interventions militaires, lorsqu’elles s’imposent pour porter secours à des populations en danger. C’est sous son égide que devrait se mettre en place une coalition internationale destinée à chasser « l’État islamique » des villes syriennes et irakiennes où ses fantassins haineux font régner l’épouvante. C’est encore à son initiative qu’il conviendrait de réunir, s’agissant du Proche et du Moyen-Orient, une conférence pour la paix, le développement, les transitions démocratiques et la concrétisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et c’est toujours par ce truchement que devrait voir le jour un processus multilatéral de désarmement nucléaire et conventionnel, prélude à l’instauration d’un nouveau système de sécurité collective.

Quoique les lignes ci-dessus puissent apparaître assez alarmistes, rien n’est évidemment écrit à l’avance. Nul ne saurait néanmoins ignorer que nous arrivons à un moment de l’histoire où l’inconcevable devient, une fois de plus, envisageable. Reprenant à son compte l’hypothèse d’une Troisième Guerre mondiale, récemment évoquée par le pape, Pierre Servent peut écrire, dans l’ouvrage déjà cité : ”« Même si Washington et Moscou ne veulent pas de confrontation ouverte entre eux, à force d’accumuler des matériels sophistiqués en un espace restreint et de frapper à tout-va” (…), ”le risque d’une étincelle régionale entre ces deux anciens ennemis de la Guerre froide n’est plus nul. Elle pourrait avoir des répercussions incalculables. »”

Si tel est bien ce qui menace notre Terre, la gauche ne peut se contenter de mots et de gestes, elle doit au demeurant se garder des polémiques stériles comme celles qui commencent à opposer Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. En ce domaine également, elle devrait plutôt conjuguer ses forces dans le but de mettre le peuple en mouvement. Car celui-ci est l’unique digue susceptible de nous éviter la barbarie.

Christian_Picquet

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