À propos du congrès extraordinaire du Parti communiste français
Ce 18 novembre, s’est tenue à Paris l’Assemblée des animateurs et animatrices des sections du Parti communiste français. Un rendez-vous important, puisqu’il ouvrait le processus de préparation du congrès extraordinaire décidé cet été. Le petit millier de participants y fut porteur des réflexions et attentes de ces dizaines de milliers de militants comme de ces milliers d’élus qui concourent à l’enracinement du parti dans les territoires. Porteur aussi de l’expérience précieuse qu’apportent à ces hommes et ces femmes un engagement de tous les jours dans les combats pour la justice, comme une approche résolument rassembleuse de l’action politique.
Autant dire que la rencontre de ce week-end eût mérité mieux que la splendide ignorance de médias si prompts à traiter, dans le moindre détail, les tribulations de Monsieur Castaner pour conserver son maroquin ministériel tout en présidant aux destinées du parti créé à la gloire d’Emmanuel Macron. Autant dire également que les discussions ayant traversé l’Assemblée des animateurs revêtirent davantage d’intérêt que les saillies répétées d’un Jean-Luc Mélenchon stigmatisant son ex-allié du Front de gauche, allié sans lequel, il n’est jamais inutile de le rappeler, il n’eût pu occuper une place centrale sur l’échiquier politique, et même s’inscrire dans la course présidentielle cette année. Passons…
Ayant essuyé de plein fouet le tsunami qui dévasta le théâtre politique au printemps, affaibli par le résultat de législatives désastreuses pour lui (quoiqu’un groupe de députés ait, heureusement, pu être préservé au Palais-Bourbon), contraint de ce fait à un bilan approfondi des choix effectués ces dernières années, à commencer par le soutien apporté à la candidature Mélenchon lors de la dernière présidentielle, le PCF se doit de mener simultanément des réflexions essentielles. Sur la visée communiste au XXI° siècle et sa portée pratique dans les batailles du quotidien… Sur les modifications à apporter au logiciel du parti, pour lui permettre de maîtriser et affronter les épreuves d’un monde en plein bouleversement, d’une offensive globalisée visant à soumettre les peuples aux logiques catastrophiques de la dérégulation financière, des réorganisations planétaires de l’ordre productif comme des points marqués par l’idéologie néolibérale dans les consciences, d’une crise écologique mettant désormais en cause les conditions de l’existence humaine, d’une France en butte dans ce cadre à la dislocation de son modèle républicain… Sur le projet et la stratégie propres à réunir une majorité populaire autour d’une perspective d’espoir… Sur la relation à repenser au pays réellement existant et sur le renouvellement de la manière de s’adresser aux classes populaires…
Au fond, tous ces sujets, et d’autres encore puisque se dessine par exemple à l’horizon le scrutin européen de 2019, convergent sur une seule et même interrogation : comment servir au mieux celles et ceux dont il s’agit de porter la voix et les aspirations ? D’aucuns susurrent que les organisations s’avèrent elles aussi mortelles, et que le temps est venu de tourner la page de l’existence d’un Parti communiste. Une certaine fascination pour la méthode mélenchonienne paraît devoir les amener à chercher un salut dans le regroupement de toutes les sensibilités « radicales » dans une ”« force en commun »”. Chacun comprend ici, bien que cela ne fût que suggéré, que cette dernière ne saurait être que la « France insoumise », laquelle a clairement signifié qu’elle n’entendait de toute manière consentir à aucune démarche pluraliste, estimant avoir réglé tous les problèmes de la construction politique pour la période, grâce au score obtenu par sa figure tutélaire le 23 avril.
Sauf qu’un parti n’est pas seulement une structure organisée, dont un succès électoral suffirait à établir le leadership. Il est d’abord, lorsque son objectif est au surplus la transformation révolutionnaire des rapports sociaux, une ambition historique définissant sa volonté de rupture avec l’ordre établi. Il est encore un projet destiné à relever le défi du pouvoir, afin d’aboutir à un changement effectif et durable au bénéfice du plus grand nombre. Il est enfin un programme autour duquel doivent pouvoir s’unir toutes les forces sociales ayant intérêt à s’extraire d’un système d’exploitation et de domination. Autant de raisons, pour moi, de considérer qu’il est de la plus grande importance de rendre toute sa place au PCF. De lui redonner de la visibilité, de l’indépendance d’expression et d’action, de la réactivité.
C’est que nous traversons une zone de turbulences particulièrement dangereuses. Quoique l’on nous vante le redémarrage de l’économie mondiale, ce sont bel et bien des crises multiples qui s’annoncent, affectant la stabilité de zones entières comme de nombreux États, menaçant d’engendrer des convulsions financières plus graves encore que celle de 2007-2008, mettant en cause la paix sur l’ensemble du globe. Dans notre Hexagone, je l’ai évoquée, s’est formée une vague de contre-réformes sociales inédite depuis la Libération. Le mouvement populaire peine à y faire face, amoindri qu’il se trouve par les défaites enregistrées au fil des ans, en proie à des divisions profondes, privé de tout débouché politique. La décomposition du champ partidaire, entamée à l’occasion des dernières consultations électorales, n’est manifestement pas arrivée à son terme, et elle se trouve porteuse de régressions politiques et sociales en série. Quant à la gauche, dans son état de déshérence, elle n’offre plus la moindre réponse aux attentes innombrables s’exprimant dans la société.
Le PCF dispose, pour faire face à ce contexte éminemment difficile, de plusieurs atouts. En un moment où la confusion s’avère source de tant de désarroi, il apporte à l’engagement progressiste une mémoire des combats du mouvement ouvrier. Alors que le pouvoir macronien relaie sans fard les exigences d’un capital vorace, il est le seul à vouloir y opposer une réponse de classe, construite autour de l’idée que c’est en retrouvant le sens de ses intérêts confluents que le salariat, ultramajoritaire dans une société comme la nôtre, parviendra à mettre en échec l’offensive dont il est l’objet. L’intelligence collective, qu’alimente une vieille implantation de terrain et une grande proximité avec les populations, lui confère la capacité de mettre dans le débat public des éléments d’alternative au néolibéralisme, facteur indispensable à un nouvel essor des luttes. Et ses reculs des dernières années n’ont pas fait disparaître sa capacité de prendre les initiatives nécessaires à la reconstruction d’une gauche dans ce pays, sur un contenu qui le permette.
Qui d’autre, à gauche, peut revendiquer un tel potentiel ? Le Parti socialiste ? Il lui faut solder les comptes calamiteux du hollandisme et savoir s’il veut se dissoudre dans le macronisme ou au contraire retrouver le chemin du peuple. Le mouvement de Benoît Hamon ? Bien que ses positions aillent le plus souvent dans le bon sens, il en est encore à l’étape de l’élaboration de ses propositions et de la définition de son organisation. La « France insoumise » ? Elle dilapide ses succès du printemps, congédiant la référence à la lutte des classes, s’affranchissant du clivage droite-gauche, s’en prenant avec virulence aux organisations syndicales, dérivant vers les eaux incertaines d’un « populisme » assumé, présentant comme une nouveauté un type de parti où tout procède d’un centre incontrôlé des adhérents.
Pour sortir de cette débâcle, qui entretient le peuple de gauche dans un dramatique sentiment d’impuissance, il faudra bien demain travailler à une large convergence capable de réunir une majorité de Français dans une dynamique transformatrice, sur un programme ne se dérobant pas à l’incontournable affrontement à la finance. Si le Parti communiste ne saurait, quant à lui, prétendre posséder toutes les réponses aux défis du moment, il dispose néanmoins des moyens de faire jonction avec des centaines de milliers de citoyens se retrouvant plongés dans l’expectative, pour ne pas dire l’angoisse.
Même lorsqu’ils ne se sont jamais senti de proximité particulière avec lui, ceux-ci se révèlent de plus en plus nombreux, tous les témoignages s’accordent sur ce point, à le percevoir comme une force utile à la bataille pour défendre les grandes conquêtes du passé, en arracher de nouvelles, conjurer le désastre civilisationnel qui se profile. Il peut, par conséquent, œuvrer à l’ouverture des espaces de débat et d’action qui font si cruellement défaut par les temps qui courent. Il lui revient même la responsabilité de soumettre à la plus large discussion une plate-forme qui, partant des attentes sociales et écologiques de l’heure, ébauche les contours d’une politique alternative cohérente, insufflant ainsi de l’énergie aux actions de résistance. La proposition d’« États-généraux pour le progrès social », dont la première étape interviendra le 3 février prochain, va dans ce sens.
Voilà résumé ce qui est, à mes yeux, l’enjeu décisif d’un congrès extraordinaire que les animateurs de section ont décidé de convoquer à l’automne 2018, avec tout à la fois l’ouverture de plusieurs chantiers de travail et étapes de débat, comme celle qui traitera au printemps de l’orientation à défendre en vue de l’échéance européenne, sans parler des « Assises communistes pour l’écologie » prévues en mai 2018. J’eus, personnellement, préféré que la date en fût fixée au printemps, afin que le parti pût se redéployer au plus vite. Majoritairement, les communistes ont souhaité se donner plus de temps.
La discussion s’ouvrira, comme le dit la ”« feuille de route »” adoptée ce samedi, ”« sur la base d’un bilan de la période écoulée »”. Nul doute que la méthode à suivre pour construire les rassemblements de l’avenir sera au cœur de la réflexion collective. Car la rupture qu’opéra la dernière campagne de Jean-Luc Mélenchon avec les acquis du Front de gauche vient rappeler la nécessité de corréler la démarche unitaire indispensable avec une bataille sur les contenus de cette dernière et sur le pluralisme qui doit obligatoirement la caractériser. Pour le dire autrement, les convergences ne sont jamais synonymes de ralliements, leur réussite nécessitant au contraire un combat de tous les instants pour y garantir un rapport de force équilibré.
Un menu copieux, on le voit. Qui intéresse, au-delà du seul PCF, toutes celles et tous ceux qui veulent s’impliquer dans la reconstruction d’une gauche à la hauteur de ce que le peuple est en droit d’attendre d’elle. C’est, pour cette raison, dans le cours même de la préparation du congrès, et parce que l’urgence ne nous laisse pas une année d’élaboration en vase-clos, qu’il va falloir commencer à définir et mettre en œuvre un projet. Pour la France, pour son peuple, pour la gauche tout entière…