Début de réchauffement… du climat social

Telle est la malédiction de tous les gouvernements se situant dans le cadre du néolibéralisme mondialisé… Pour s’imposer, gagner les faveurs d’une majorité des électeurs consentant encore à se déplacer aux urnes, profiter de concours de circonstances variés et surtout de l’absence d’une perspective crédible de rupture à gauche, ils s’emploient à caresser – pour mieux les dévoyer – les attentes populaires d’une vie moins précarisée par des salaires ou des pensions en berne et le chômage de masse. Ils ne tardent cependant jamais à se voir rattraper par la réalité d’une globalisation dérégulatrice, destructrice de droits et porteuse d’inégalités insupportables au plus grand nombre. Le « trou d’air » que traverse présentement la Macronie en fournit le plus récent exemple.

On se souvient du sort du ”« travailler plus pour gagner plus »”, qui assura le succès de la campagne sarkozyenne de 2007. On se souvient également de la Berezina à laquelle sa promesse ”« d’inversion de la courbe du chômage »” conduisit François Hollande. Voilà, à son tour, Emmanuel Macron qui se prend les pieds dans le tapis de ses engagements à concilier augmentation du pouvoir d’achat et justice sociale avec une libéralisation sans précédent des politiques publiques.

Le résultat s’en mesure à la rechute brutale de la popularité du couple exécutif dans les enquêtes d’opinion… À la déroute des candidats de « La République en marche » aux législatives partielles du Val-d’Oise comme du Territoire-de-Belfort (dans l’un et l’autre cas, sur fond d’abstentionnisme record, ils auront perdu plus de la moitié de leur électorat de juin 2017)… Au développement actuel de mobilisations sectorielles qui confrontent l’ensemble de la société au défi primordial de son avenir…

Pour quiconque avait simplement eu le souci de s’intéresser à la loi de finances 2018, il était évident que les choix gouvernementaux, en dépit des annonces censées endormir nos concitoyens, ne feraient qu’enrichir une infime minorité déjà opulente. Pire, à en étudier soigneusement les conséquences, on s’apercevait vite que les 4,5 milliards d’euros de cadeaux fiscaux consentis aux 1% les plus riches, avec la fin de l’impôt sur la fortune conjuguée au nouveau prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes et plus-values (la flat tax à la française), seraient exactement compensés par les 4,5 milliards de hausse des prélèvements obligatoires pesant sur le reste des Français, avec les augmentations cumulées de l’essence, du gazole, du tabac, du gaz ou des péages autoroutiers.

Comme, dans le même temps, le basculement des cotisations chômage des salariés sur la CSG s’effectue au détriment de retraités appelés à subir l’amputation de 3,5 milliards d’euros de leurs revenus, c’est la supercherie de la posture du nouveau pouvoir qui est en train de se dévoiler. En ce début d’année, nos concitoyens ont donc tout loisir de vérifier, en se reportant à leurs propres budgets familiaux, les conclusions de l’Observatoire français des conjonctures économiques, lesquelles établissent que 365 000 foyers (sur 36,5 millions !) vont connaître 5% d’augmentation de leur pouvoir d’achat, ou de l’Insee, relevant simultanément que le revenu disponible de la plupart des ménages enregistrera, de son côté, une chute de 0,3% en 2018.

Jupiter et ses ministres fussent, peut-être, parvenus à faire passer cette pilule amère, dans un contexte où l’existence d’un taux de chômage inentamé paralyse largement les capacités de réaction du monde du travail, si l’austérité n’avait pas, dans le même temps, affecté durement la protection que notre peuple estime être en droit d’attendre de l’État. C’est bel et bien cette dimension qui relie les mobilisations en cours dans les Ehpad, et plus généralement à l’hôpital public, à l’école, dans les prisons, ou encore dans la police.

Tous ces secteurs, il importe de le souligner, se retrouvent contraints d’affronter en première ligne les terribles impacts de la régression sociale et des ghettoïsations territoriales. Pour le dire autrement, c’est ici le service public qui se révèle saigné à blanc par des coupes claires dans les budgets alloués aux administrations, au prix d’effectifs notoirement insuffisants pour faire face aux missions assignées et de salaires littéralement indignes. Une tendance que promettent d’aggraver le programme « Action publique 2022 » et ses objectifs de suppression de 120 000 postes de fonctionnaires, de destruction du statut de la fonction publique, de contractualisation des futurs recrutés.

La spécificité des combats engagés ces dernières semaines tient à la convergence des revendications de moyens, d’effectifs et de salaires, pour satisfaire la demande de services publics de qualité. En organisant la pénurie, le pouvoir macronien espérait manifestement, à terme, ouvrir la voie à la privatisation d’au moins une partie des tâches relevant aujourd’hui de la puissance publique. Un projet déjà à l’œuvre, s’agissant de la pénitentiaire, de la santé et, maintenant, de la police (avec la volonté de Gérard Collomb de faire de la « police de la sécurité du quotidien » le prétexte à un retrait de l’État en certains domaines relevant pourtant de la sécurité publique). La détermination des agents concernés représente un obstacle de taille à ce dessein, dès lors qu’elle entre en résonance avec l’attachement des citoyens à un service public synonyme, dans la tradition française, de primauté des droits fondamentaux, d’égalité républicaine, de cohésion sociale.

Et, dans la mesure où, en dépit de la croissance vantée à cor et à cri par toutes les éminences ministérielles, l’emploi demeure un sujet d’angoisse pour les Français, avec la multiplication des ”« ruptures conventionnelles collectives »” et des plans de départ prétendument volontaire qu’autorise, de la part des grands groupes, le saccage du code du travail par les ordonnances Pénicaud, c’est ”de facto” la question sociale qui revient en force au-devant de la scène. Bien sûr, cela ne se traduira pas rapidement par le « tous ensemble » qu’appellerait la ”Blitzkrieg” macronienne, tant restent à surmonter les effets des défaites du passé, de la division syndicale et de la déréliction de la gauche.

Il n’en est pas moins vrai que, pour la première fois depuis le printemps 2017, la prise de conscience se fait jour que le pays affronte un défi de civilisation. Que, face à un gouvernement et à des actionnaires n’entendant reculer devant aucun moyen pour satisfaire l’avidité du nouveau capitalisme, il s’impose de faire front, de s’unir autant que l’est la classe possédante. Rien de plus encore, mais rien de moins déjà.

Si elle veut retrouver le chemin perdu du peuple, la gauche doit être au rendez-vous. Pas en s’enfermant dans une radicalité incantatoire qui ne fait, le plus souvent, qu’entretenir le sentiment d’impuissance éprouvé par des millions de salariés et de jeunes. En construisant des actions larges et enracinées dans les entreprises comme sur le terrain, autour d’objectifs qui apparaissent à portée de conquêtes. Les embauches obtenues par les surveillants pénitentiaires, autant que les crédits en catastrophe débloqués par la ministre de la Santé, s’ils ne règlent au fond aucun des problèmes soulevés par les personnels mobilisés, attestent néanmoins de l’utilité de la lutte collective pour arrêter le rouleau compresseur des puissants. Il importe de s’en inspirer, secteur par secteur, en travaillant simultanément les convergences rendues possibles par la dynamique même des expériences en train de se réaliser.

La marche annoncée, depuis les Hauts-de-France en direction de l’Élysée, le 9 juin prochain, revêt, à cet égard, un caractère assez exemplaire : en mobilisant, sur la base de la communauté de leurs revendications en cette région particulièrement sinistrée, personnels des Ehpad, cheminots défendant le service public ferroviaire, salariés des entreprises en lutte pour l’emploi, agents des collectivités territoriales avec leurs élus, collectifs citoyens agissant pour les droits et l’égalité, cette initiative ne constituera pas une simple action revendicative, mais un début de confluence populaire en faveur d’une autre politique. Elle peut, pour cette raison, inspirer d’autres collectifs militants voulant à leur tour se doter d’une démarche similaire.

Au-delà, parce que c’est l’inexistence d’une perspective politique qui représente toujours le frein principal à une contre-offensive sociale, il convient de nourrir ce nouveau climat de propositions fortes, partant des multiples engagements actuels et des aspirations qu’ils portent, pour esquisser un début d’alternative aux logiques déployées par le camp adverse. Non des travailleurs considérés comme la variable d’ajustement d’un système mû par une course sans fin au profit, mais leur sécurisation grâce à un nouveau droit à des formations qualifiantes orientées par les besoins de réindustrialisation du pays et de conversion écologique de l’économie. Non une fonction publique soumise aux impératifs d’une rentabilisation calquée sur les pratiques du privé, mais son redéploiement pour répondre aux nouveaux et immenses besoins non pris en compte aujourd’hui dans notre société, ces besoins exigeant plus que jamais de faire prévaloir l’intérêt général sur les considérations marchandes et financières. Non la froide approche d’un libéralisme organisant le gigantesque transfert de la richesse vers le capital, doublée d’une austérité privant le pays des investissements d’avenir qui lui font tant défaut, mais une autre utilisation de l’argent dans le but de faire surgir un nouveau modèle de développement, socialement utile et écologiquement soutenable. Non une Europe saccageant des vies par millions, généralisant le dumping social, creusant les inégalités entre les pays membres et en leur sein, mais une nouvelle union de nations souveraines et de peuples solidaires, alignant par le haut les droits fondamentaux, retrouvant le chemin de la démocratie et réorientant ses institutions, à commencer par cette Banque centrale qui devrait supporter les services publics et la lutte contre le dérèglement climatique plutôt que de satisfaire les désidératas des banques. Cela pourrait devenir la base d’une plate-forme pour la résistance et le reconstruction d’une gauche de combat.

Les États-généraux du progrès social, dont la première étape s’est déroulée le 3 février, représentent une contribution importante en ce sens. Leur succès, avec leurs 1000 participants et les nombreux invités présents, appelle des suites ambitieuses. Qui aident à la construction des mobilisations et à la formulation des exigences propres à les dynamiser. Qui les amarrent à l’échelon des territoires, autour par exemple des grands thèmes focalisant la riposte au macronisme. Qui contribuent à l’ouverture d’espaces de débat et d’action unitaires entre forces de gauche disponibles à l’affirmation de réponses progressistes, élaborées avec les acteurs sociaux impliqués dans les luttes.

En clair, bien des choses se jouent présentement. Vouloir que la gauche se relève, c’est prendre la mesure de ce qui bouge dans les profondeurs du pays. Sans tarder. La politique ayant horreur du vide, c’est en effet du côté d’une droite se rapprochant très vite de l’extrême droite, que se dessinent les contours d’une offre aussi réactionnaire que prétendant démagogiquement représenter les souffrances populaires. Une course de vitesse s’est engagée…

Christian_Picquet

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