Pour en finir avec le “populisme”

Le ”« spectre hantant l’Europe »”, pour reprendre les mots de Marx évoquant le communisme dans son célèbre ”Manifeste”, serait-il devenu le « populisme » ? Reflets et produits des dérèglements majeurs qu’affronte le monde, des partis extrémistes et aventuriers ne cessent de monter en puissance dans la plupart des pays du continent.

Leur poussée s’avère telle que leurs thématiques se voient désormais reprises dans les programmes des formations de la droite traditionnelle. On l’aura vu en Italie (où le parti de Silvio Berlusconi sera passé sans crier gare sous la coupe de la Lega d’extrême droite), en Allemagne (où les conservateurs bavarois, espérant freiner l’ascension de l’Alternative für Deutschland, en seront venus à piller sans vergogne les saillies xénophobes de cette dernière), ou en France (où les fort mal-nommés « Républicains » se seront laissés aller à publier une littérature anti-immigration calquée sur la rhétorique lepéniste). Sans compter qu’aucun « plafond de verre » ne fait présentement plus obstacle à l’accession des mouvements concernés aux affaires : après la Hongrie, la Pologne, la Norvège, l’Autriche, c’est de l’autre côté des Alpes que l’étrange coalition de la Lega et du Movimiento Cinque Stelle vient de former un gouvernement, son premier acte ayant consisté à refouler un navire de quelque 600 réfugiés, l’”Aquarius”.

Pour peu que l’on se refuse à céder à l’incurie intellectuelle caractérisant tant d’analyses, on conviendra que le terme communément retenu de « populisme » ne permet guère de comprendre les phénomènes à l’œuvre. Quoique les organisations dont il est question se veuillent les porte-parole d’un peuple mythifié, elles ont pour traits communs de catalyser l’évolution réactionnaire de secteurs entiers des sociétés européennes, d’encourager les replis nationalistes ou carrément ethnicistes, de développer une contestation radicale de la démocratie dissimulée sous une dénonciation en règle des « systèmes » en place ou des élites dirigeantes, d’épouser le resurgissement des idéologies d’extrême droite, lorsqu’elles ne se confondent pas avec la renaissance de protofascismes se parant des atours de la « modernité ». Leur force vient de leurs capacités de surfer sur les souffrances et colères de larges pans des populations. Et ce sont les paniques culturelles et les quêtes d’identité, provoquées par un climat planétaire anxiogène comme par les gigantesques flux migratoires engendrés par le chaos où s’enfoncent de nombreuses régions, qui leur octroient la dynamique ascendante que l’on sait.

Plus précisément, cette tendance s’alimente à une triple source : un ordre mondial en pleine tourmente ; une Union européenne en proie à une désagrégation irréversible ; un mouvement ouvrier affrontant une crise authentiquement existentielle. La crise financière de 2007-2008 a ouvert un nouveau temps de convulsions, de menaces de krach rebondissant en permanence, de concurrences exacerbées, d’affrontements internationaux pour le contrôle des ressources du globe et la redéfinition des zones d’influence entre puissances, de désintégration des systèmes politiques en place conjuguée à la crise de la politique et à l’atrophie de la démocratie représentative, d’aggravation des menaces environnementales pesant sur l’existence humaine, de risques de guerre. Dans ce cadre, se fondant sur une impitoyable orthodoxie monétaire et budgétaire qui les transforment en un des principaux rouages de la globalisation marchande et financière, l’Europe des Vingt-Six et la zone euro taillent en pièces les droits conquis et les dispositifs de solidarité, généralisent la précarité et les inégalités, piétinent la souveraineté des nations et celle des citoyens, se claquemure dans l’indifférence et l’égoïsme à l’égard de la détresse caractérisant une part grandissante de l’humanité. Quant à notre camp, lourdement affaibli par les défaites subies ces dernières décennies autant que par l’adaptation de certaines de ses composantes aux exigences d’un capitalisme avide, il ne parvient plus à polariser les confrontations politiques et sociales, à conduire les batailles idéologiques qui s’imposeraient, à incarner une visée d’émancipation crédible pour le grand nombre, à porter des perspectives de changement rallumant un espoir du côté des peuples.

C’est cette conjonction de facteurs qui aura ouvert un espace considérable à des formations dont la démagogie peut rencontrer une forte adhésion populaire, bien qu’elles puissent conduire à des désastres sans précédent depuis la chute des fascismes au siècle dernier. C’est dire que rien n’apparaît plus impératif que de permettre à la gauche de retrouver l’élan libérateur qu’elle a progressivement perdu, de la reconstruire sur un socle de principes faisant pièce aux logiques de haine et de compétition de tous contre tous, de la rassembler sur des propositions aussi réalistes qu’audacieuses de justice et d’égalité face à ce qu’il faut bien appeler un défi de civilisation.

C’est dire également que ceux qui, pensant reconquérir un électorat perdu, s’emploient à incarner une autre variante de « populisme », commettent une faute calamiteuse. À vouloir concurrencer des partis dangereux sur leur terrain de prédilection – l’opposition des « gros » et des « petits », de la « caste » et de la « multitude », de « l’oligarchie » et d’un « peuple » désincarné –, à s’affranchir des repères que fournit pourtant cette lutte de classes féroce mettant aux prises exploiteurs et exploités, à quitter les rivages de la gauche (c’est-à-dire à rompre un lien primordial avec les valeurs d’universalisme et de fraternité portées par le mouvement ouvrier), on court le risque de dérapages qui ne sont jamais sans conséquences.

Les dernières prises de position de Jean-Luc Mélenchon en font foi. Peu après la formation de la coalition ultradoitière dorénavant à la tête de l’Italie, il écrivait : ”« Toute la presse eurobéate va faire bloc pour critiquer les ‘’populistes italiens’’, fermer les yeux sur les violences allemandes, encourager le pire, c’est-à-dire celui de la normalisation de l’Italie aux diktats de Schaüble, Merkel et autres dominants allemands qu’on ne nommera bien sûr jamais de cette façon.” (…) ”Berlin peine à trouver des marionnettes convaincantes en Italie pour garantir sa domination. Pour l’heure, les vainqueurs de l’élection n’ont pas encore fait leur capitulation à la Tsipras. Je forme le vœu que l’alternative populaire en Italie soit tranchante et n’apparaisse d’aucune façon comme un renfort des ‘’eurobéats’’ ni comme des hésitants ou des supplétifs de la bonne société italienne horrifiée par l’audace populaire en quête de souveraineté. »”

J’ai fait le choix de livrer cette citation dans sa quasi-totalité. Elle me paraît, en effet, révélatrice d’un glissement ne pouvant qu‘alimenter la confusion dans les esprits. Passons sur la tonalité anti-allemande farouche de ce texte, qui peut vite amener à relativiser le rôle des autres gouvernements de l’UE, même s’il n’est pas injustifié de dénoncer l’hégémonisme des dirigeants d’outre-Rhin. Mais ne négligeons ni le satisfecit implicitement délivré à un pouvoir transalpin dominé par l’extrême droite – lequel n’aurait pas «” encore fait” (sa) ”capitulation à la Tsipras »” –, ni la formule sur ”« l’alternative populaire en Italie »”, dont l’ambiguïté vient de l’appréciation plutôt laudative, qui la précède, de l’axe Lega-M5S.

Tout aussi révélatrice d’une tendance dont on ne saurait détourner le regard, m’apparaît l’initiative de deux grandes figures de Die Linke, Sarah Wagenknecht et Oskar Lafontaine, pour « dégager » la principale structure de la gauche allemande au profit d’un ”« mouvement »” se revendiquant de la méthode des « Insoumis » français, ce que Jean-Luc Mélenchon aura chaleureusement appuyé. Au nombre des bases sur lesquelles elles fondent leur projet, les deux personnalités pourfendent la politique d’ouverture momentanée des frontières menée en 2015 par Madame Merkel, et elles n’hésitent pas à s’aventurer sur la pente savonneuse de la ”« préservation de la spécificité culturelle »” de l’Allemagne, allant jusqu’à en appeler au ”« respect des traditions et de l’identité »” du pays. Qu’il existe plus d’un motif de mettre en cause l’esprit néolibéral de la politique migratoire de la chancelière conservatrice allemande, où perce d’évidence l’intention d’affaiblir le salariat en le divisant un peu plus, est une chose. Qu’on lui oppose la défense de l’identité germanique, fût-ce avec le souci affiché de ”« regagner l’électorat populaire »” de l’AfD, en est une autre. Il est des symboles avec lesquelles l’histoire interdit de jouer…

Loin de moi l’idée d’ouvrir ici une polémique. C’est une alerte que je souhaite au contraire lancer. Il est grand temps, à gauche, de cesser de s’aligner sur les analyses lapidaires de commentateurs décontenancés par la complexité du temps, pour désigner les courants aujourd’hui aux portes du pouvoir dans nombre de pays du Vieux Continent pour ce qu’ils sont : non un « populisme » dont on peine à fournir une définition, mais l’expression d’un ethnocentrisme autoritaire menaçant les sociétés de terribles fractures communautaires, d’un anéantissement des règles démocratiques, d’une mise sous le boisseau des droits des peuples et des travailleurs à s’auto-organiser pour défendre leurs intérêts. Du même coup, celles et ceux qui ont décrété qu’il convenait de tourner la page du clivage droite-gauche pour s’exalter des vertus supposées du ”« populisme de gauche »” devraient au plus vite prendre acte de l’impasse dans laquelle ils se sont engagés.

Résumer une stratégie au ”« dégagisme »”, et prendre pour première cible les courants en lesquels s’est si longtemps reconnu le monde du travail, même si c’est officiellement pour prendre en compte les coordonnées d’un « nouveau monde », peut ouvrir le chemin à nos pires adversaires. À des nationalismes empreints de racisme… À des néofascismes se cherchant encore… À des néolibéraux trouvant là l’opportunité de dissimuler leurs visées régressives derrière des appels vibrants à défendre les libertés…

En complément de cet appel au ressaisissement, je reproduis ci-après un article donné à la revue ”Cause commune”, pour sa livraison de janvier-février de cette année.

« NI DÉFINITION PERTINENTE, NI PROJET D’AVENIR POUR LA GAUCHE »

« On connaît la prophétique sortie d’Antonio Gramsci : ”‘’Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. ‘’” C’est sans doute pour désigner la réapparition de créatures monstrueuses que le concept de ‘’populisme’’ rencontre une telle adhésion de nos jours. Sans compter, évidemment, que du côté des tenants du dogme libéral, on y voit un concept commode pour dénigrer quiconque ose se placer du côté du peuple pour critiquer un système inégalitaire. Cela nous confronte à deux questions, au moins. Celle, d’abord, de la pertinence d’une telle caractérisation pour désigner des phénomènes très divers, que l’on peine à faire entrer dans les grilles d’analyse habituelles de la pensée critique. Et celle de l’opportunité de revendiquer l’étiquette, de la part de courants affirmant vouloir replacer question sociale et question démocratique au cœur de leur démarche.

”Un nouveau moment historique”

« Nous sommes entrés dans un tout nouveau moment historique, aux retombées majeures sur les règles politiques instituées, singulièrement en Europe. Sous les coups de boutoir d’une globalisation devenue incontrôlable, la légitimité des États se voit mise en cause par le pouvoir croissant des marchés, la souveraineté des peuples imbriquée à celle des nations se révèle piétinée, la démocratie représentative semble du coup frappée d’obsolescence, les concurrences entre entités économiques et individus s’exacerbent sans cesse en générant un climat anxiogène, guerres et crises écologiques provoquent de gigantesques flux migratoires qui viennent déstabiliser bien des pays, les dynamiques de fragmentation communautaires de ces derniers s’en voient accélérées d’autant, la montée du totalitarisme jihadiste amplifie paniques et quêtes identitaires. Dans le même temps, depuis la crise financière de 2007-2008 ayant mis en évidence la faillite du modèle néolibéral, et sur fond de déstabilisation de la construction européenne actuelle, on assiste à l’ébranlement généralisé des régimes en place, à la rupture croissante entre les citoyens et leurs représentants, à la déréliction des partis jusqu’alors habitués à se succéder à la tête des gouvernements. Ce qui se traduit par l’irruption, un peu partout, d’aventuriers bénéficiant d’une audience de masse. De nouvelles formations démagogiques… De droites de plus en plus animées de pulsions nationalistes… D’extrêmes droites ségrégationnistes, voire carrément fascisantes…

« Il est, bien sûr, tentant de repérer les traits communs de tous ces phénomènes. Même appel à un peuple essentialisé, lorsqu’il n’est pas réputé moralement pur, face aux élites qui le dirigent. Même prétention à représenter ledit peuple, tout en récusant sa structuration en force politique et sociale autonome. Même méfiance envers la démocratie, dont la nature nécessairement pluraliste s’accommode mal de la tendance des formations concernées à revendiquer le monopole de la parole de « ceux d’en bas ». Même volonté de bâtir des organisations refusant l’appellation de partis et ne procédant, le plus souvent, que d’un centre incontrôlé d’adhérents dont l’appartenance est régie par Internet. Même évanescence idéologique, couplée à la résolution affichée d’entrer en osmose avec les affects populaires, grâce au charisme d’un chef dont nul ne se hasarde à contester la parole.

”L’appropriation problématique d’une dénomination”

« Peut-on, cependant, à l’instar de tant d’essais à succès, classer sous une commune enseigne des mouvements s’inscrivant dans des logiques ultralibérales ou exaltant la fermeture des frontières aux étrangers, et des forces s’employant à contester l’emprise d’un capitalisme prédateur sur toutes les formes de vie ? Un Viktor Orban étranglant les libertés à la tête d’un pouvoir ethniciste en Hongrie, et un Rafael Correa (ou un Evo Morales) porté par la profonde aspiration égalitaire soufflant sur l’Amérique latine ? Un Emmanuel Macron incarnant un césarisme au service d’une finance parvenue à précipiter la dislocation de l’ancien ordre politique en France, et un Pablo Iglesias ayant transformé un gigantesque soulèvement civique et social en Espagne, celui des Indignados, en une formation politique majeure, Podemos ? Un Geert Wilders faisant de ses éructations antimusulmanes son fonds de commerce aux Pays-Bas, et un Alexis Tsipras ayant tenté (avant d’échouer, victime de son isolement sur le continent) d’extraire la Grèce des rets de l’austérité ? Un Beppe Grillo devenu le maître à penser d’un conglomérat attrape-tout aux accents xénophobes en Italie et, comme d’aucuns n’hésitent plus à le faire, un Jean-Jacques Rousseau qui, s’il exaltait la ”‘’volonté générale’’”, en appelait surtout à un processus par lequel le citoyen deviendrait apte à agir par lui-même ?

« C’est, au surplus, aggraver l’obscurcissement des consciences que de paraître rattacher les extrêmes droites actuelles aux courants s’étant, au siècle écoulé, identifié comme « populistes » pour désigner leur combat contre l’injustice sociale, le règne d’autocraties parasitaires ou la tutelle des impérialismes. Pour ne prendre que cet exemple, c’est même rendre un inestimable service à notre Front national, dont la ligne de ‘’priorité nationale’’ ne vise rien d’autre que le remodèlement ethnique de la société française (ce parti se révélant, pour cette raison, l’expression d’un fascisme modernisé) que de le ranger, au hasard d’un vocabulaire imprécis, aux côtés d’un People’s Party, organisation agrarienne nord-américaine du début du XX° siècle, d’un mouvement Narodniki, première expression de la révolte des campagnes russes contre les survivances du servage, ou des héritiers latino-américains de la Révolution mexicaine, émanations en leur temps de l’exigence progressiste d’indépendance nationale.

« Pour le dire autrement, il serait temps d’en finir avec la paresse intellectuelle : savoir nommer ce que l’on veut combattre s’avère la condition première de l’efficacité. Naturellement, cela suppose en retour, lorsque l’on se situe à gauche, de ne jamais soi-même s’aventurer dans l’appropriation problématique d’une dénomination ne répondant en rien à la crise présente des projets socialiste et communiste, car menant principalement à une série de ruptures avec les acquis du mouvement ouvrier international. C’est le second problème que nous pose le qualificatif de « populisme ».

”La construction d’un peuple”

« À l’instigation d’universitaires comme Ernesto Laclau ou Chantal Mouffe, ainsi que d’acteurs politiques comme Inigo Errejon (l’une des principales figures de Podemos) ou Jean-Luc Mélenchon, se font jour des tentatives de répondre à l’affaiblissement conjoint du consensus néolibéral et des familles traditionnelles de la gauche. Il en ressort une esquisse de stratégie de mise en mouvement d’une volonté collective, dont le fil directeur serait la ”‘’construction d’un peuple’’” (les éditions du Cerf viennent, cette année, de publier la traduction de l’ouvrage de Mouffe et Errejon, ”Construire un peuple”). Le ‘’populisme’’ se veut ici de gauche, et il serait adapté à la formation d’une contre-hégémonie à la domination libérale-capitaliste, dans l’objectif de faire renaître un projet d’émancipation. Si l’on ne saurait contester la qualité intellectuelle de la réflexion, on se doit pourtant de mettre en garde contre ses grands dangers.

« En tendant à contester la pertinence du clivage entre droite et gauche – ce que Jean-Luc Mélenchon fait dorénavant sans réserves –, lequel n’est jamais que la réfraction, sur le théâtre politique, d’une lutte de classes toujours plus âpre à mesure que s’intensifie l’offensive d’un capital financiarisé et mondialisé comme jamais, les tenants d’une pareille posture s’affranchissent simultanément d’une approche de classe des défis de l’heure. Le peuple, qu’ils disent vouloir édifier politiquement et dont ils présupposent l’homogénéité, se révèle en effet, sous l’impact des bouleversements de l’ordre productif, traversé de fragmentations multiples. Le salariat, qui en représente l’immense majorité, s’avère lui-même profondément segmenté, et il a vu s’affaisser en son sein la conscience de l’intérêt commun de ses diverses catégories. Rien n’apparaît donc plus impératif que de travailler à dépasser ces fractures, à partir d’un programme autour duquel puisse se former une nouvelle alliance, un bloc social et politique majoritaire dont la classe travailleuse redeviendrait l’aile marchante. Nous sommes ici bien loin de la théorie d’un peuple dont il suffirait d’exprimer la volonté aliénée…

”Dessiner une alternative cohérente”

« C’est le rôle d’un parti transformateur, tel qu’entend l’être le Parti communiste, que de contribuer à la formation de ce nouveau bloc historique. Cela ne peut toutefois se faire en congédiant les repères qui ont, au fil du temps, permis au mouvement ouvrier d’agir pour la libération de l’humanité entière… Ni en se contentant de chercher à faire confluer tout ce qui ébranle l’ordre établi, au prix de possibles dérapages qui favorisent toutes les confusions… Certainement pas en bricolant à la hâte des synthèses idéologiques douteuses, telle celle qui amène Chantal Mouffe à chercher dans les travaux de Carl Schmitt, théoricien allemand de l’État total avant et pendant l’époque nazie, une source d’inspiration pour sa critique du libéralisme… Pas davantage en s’érigeant en représentant incontestable du peuple dans son ensemble – en direction autoproclamée, si on veut le dire plus simplement… Encore moins en ignorant, ce faisant, l’impératif besoin d’un mouvement social indépendant pour garantir le changement politique, ce à quoi amène inévitablement la référence au ‘’populisme’’, se voulût-elle progressiste et républicaine… Et pas plus en se défiant des confrontations d’opinions ou d’expériences entre composantes de gauche, qu’un Jean-Luc Mélenchon confond allègrement avec des « tambouilles » politiciennes. L’heure est, au contraire, à un travail de synthèse des aspirations montant de la société afin de nourrir en retour les mobilisations, dans le respect de leur autonomie, de propositions dessinant une alternative cohérente aux orientations néolibérales dominantes.

« Revenir à ce constat d’évidence, contre les illusions de reconquête de la démocratie grâce à l’opposition simplificatrice peuple-oligarchie, c’est également reposer la problématique nodale des rassemblements qui seront aussi indispensables demain qu’ils l’étaient hier. Du fait de la diversité des classes et catégories sociales pouvant aujourd’hui se retrouver dans une perspective de rupture avec l’ordre capitaliste, donc de leurs expressions politiques inévitablement plurielles, la conquête du pouvoir ne saurait procéder d’un seul parti. C’est, par conséquent, à la formation de coalitions qu’il va falloir de nouveau s’atteler, sur un contenu le permettant, même si le délabrement de la gauche dans un pays comme la France n’autorise pas encore à en imaginer la configuration précise.

« Bref, l’usage du terme ‘’populiste’’ pour interpréter des manifestations dissemblables du dérèglement du monde apparaît aussi contre-productif que l’invention d’un ‘’populisme de gauche’’ relève, pour paraphraser Albert Ogien et Sandra Laugier (in Antidémocratie, La Découverte 2017) d’’”’une opération désespérée et masochiste’’. »”

Christian_Picquet

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