Voeux d’espoir… et de rupture

Par-delà leur caractère parfaitement conventionnel, les voeux des premiers personnages de l’État auront été marqués par un mot : « espoir ». Belle intuition ! À ceci près que l’évocation se trouve démentie par toute la pratique de gouvernants s’étant adaptés aux circonstances d’une pandémie mondiale et d’une secousse économique sans équivalent depuis les années 1930, sans avoir pour autant touché au logiciel néolibéral qui les guide depuis le début de la mandature.

Le président de la République aura bien pu, dans ses voeux de la Saint-Sylvestre, certainement par souci de faire oublier le mépris avec lequel il traitait les Français du haut de son trône élyséen, égrener à présent des prénoms censés symboliser ces « premiers de corvée » grâce auxquels la nation se tint debout tout au long de ces neuf mois terribles. Mais aura-t-il seulement parlé de leurs attentes et, précisément, de leurs espoirs ?

À ces personnels soignants qui doivent faire face à l’afflux de malades sans les moyens dont on les aura privés pour satisfaire au dogme austéritaire européen, il se sera bien gardé d’annoncer le grand plan de reconstruction de l’hôpital public et de notre service de santé, plan qui leur permettrait d’assumer leurs missions. On sait pourtant que le XXI° siècle sera, contre-coup de la destruction de notre écosystème planétaire sous l’impact d’une globalisation sauvage, celui des épidémies ravageuses.

À ces agents des services publics — personnels de l’Éducation nationale et des administrations, fonctionnaires territoriaux dans leur diversité, policiers et gendarmes…—, sans lesquels le pays serait resté désarmé tant l’État aura fait l’objet d’une déconstruction systématique sur quatre décennies, il n’aura de même annoncé ni les milliers de recrutements qui s’avèrent indispensables, ni le redéploiement requis pour opérer un retour à l’égalité territoriale et à la cohésion de la société.

À ces travailleurs du rang, devenus invisibles dans les discours officiels à force d’être ignorés des puissants, il n’aura surtout pas proposé l’augmentation de leurs salaires, un droit plus protecteur (ce qui nécessiterait l’abrogation des lois ayant amputé, depuis le quinquennat Hollande, le code du travail de nombreuses dispositions acquises de haute lutte par le syndicalisme), une démocratie sociale qui leur offrirait enfin des moyens d’intervenir sur l’organisation du travail et ses finalités.

À ces centaines de milliers d’hommes et de femmes, pour lesquels pandémie et confinements à répétition auront été synonymes d’appauvrissement et de glissement dans la misère, sous l’effet du chômage partiel ou de la perte de leurs emplois, on se sera bien gardé d’évoquer un puissant dispositif de lutte contre la pauvreté, la compensation intégrale de leurs chutes de revenus, l’ouverture à des formations qualifiantes.

Et puis… de la situation de ces salariés qui sont aujourd’hui les victimes d’actionnaires voraces, qui profitent de la crise sanitaire pour fermer des entreprises ou délocaliser à tout-va, avec les retombées que l’on sait sur le tissu industriel de la France et la longue chaîne des sous-traitants des grands groupes, il n’aura même pas été question.

Et puis… de l’exaspération des citoyennes et des citoyens devant des décisions prises par une technostructure dont toute l’action consiste à « conduire progressivement l’État à mépriser le pays », pour reprendre l’excellente formule d’Arnaud Montebourg (in L’Engagement, Grasset 2020), ce qui ne va pas sans aggraver les angoisses de la population et sans alimenter le complotisme, on n’aura pas davantage entendu parler.

Tout aussi significatif, alors que des dizaines de milliers de personnes viennent de descendre dans les rues, le résident élyséen n’aura pas exprimé le moindre regret pour cet autoritarisme marquant d’une empreinte désormais indélébile sa gestion des affaires. Le prix en est cependant terrible : d’une gestion de la crise sanitaire à l’abri du cénacle opaque que constitue le Conseil de défense, au refus systématique d’entendre l’expertise des élus comme des acteurs sociaux sur les conséquences de mesures restreignant les libertés publiques ou pénalisant des secteurs vitaux, à commencer par la culture ; de cette asphyxie sournoise de la délibération publique, à la mise en charpie d’aspects essentiels de l’État de droit, à travers cet empilement hallucinant de lois liberticides adoptées sous prétexte de renforcer la sécurité des Français ; de l’étranglement progressif de ce qu’il reste à notre peuple de souveraineté et de capacité de contrôle de ses responsables, à l’affaissement guettant la République à mesure que nous entrons subrepticement dans une nouvelle forme de régime politique…

Reconnaissons au moins à Emmanuel Macron qu’il n’aura pas tenté par hasard de faire vibrer la corde de l’espoir chez nos concitoyennes et concitoyens. Il ne pouvait se contenter de promettre que le vaccin anticovid ne serait pas l’objet de manoeuvres mercantiles. Ni de suggérer à demi-mots que nous devrions collectivement rembourser une dette pour laquelle il ne demande pas le plus petit effort à ces financiers qui se sont enrichis grassement à la faveur de l’épreuve sanitaire, ou aux super-riches qui continuent d’empocher aides et dégrèvements divers sans avoir à accepter une quelconque condition ou à fournir la moindre contrepartie. Sans oser, cette fois, parler d’un « monde d’après » ou de nouveaux « Jours heureux », puisque le « quoi qu’il en coûte » n’est plus vraiment de mise, il lui fallait, a minima, faire comme si demain serait meilleur qu’aujourd’hui, grâce à lui. 

On sait, en effet, en haut lieu que le surgissement du SARS-CoV-2 aura décillé bien des yeux. Qu’en France autant que sur le globe entier, un grand nombre d’êtres humains aura fait le lien entre les prédations financières d’un capitalisme vorace, les crises écologique et climatique,  le franchissement de la barrière des espèces par des virus demeurés des siècles durant dans le monde animal. Qu’une prise de conscience est en train de s’opérer à propos d’une crise de civilisation à laquelle le modèle néolibéral s’est révélé inapte à offrir une réponse. Que des formes nouvelles d’action collective et de solidarité ont commencé de voir le jour. Et que seule l’inexistence d’une perspective progressiste crédible empêche encore que ces phénomènes prometteurs se traduisent en un puissant mouvement de contestation de la domination mortifère du capital sur l’humanité.

Rouvrir le chemin à l’espérance d’une vie digne et heureuse, permettre à de grandes mobilisations d’éclore et de dessiner le futur autour des exigences d’un nouveau mode de développement, socialement juste et écologiquement soutenable, prendre le pouvoir sur les banques et les classes possédantes, tel apparaît bien l’enjeu des mois et des années qui viennent. Rien ne sera néanmoins possible si l’on ne consent pas à la rupture avec l’ordre en place.

Le temps est fini où une partie de la gauche pouvait se murer dans la certitude qu’un rééquilibrage des règles de la mondialisation était possible. Dorénavant, être de gauche passe par la détermination à conduire à son terme des choix révolutionnaires. Même l’accès universel aux vaccins, que revendiquent plusieurs organisations non gouvernementales, ne peut être arraché sans se confronter à l’industrie pharmaceutique et aux puissances financières qui la dirigent. Et que dire de l’objectif d’éradiquer le chômage et la précarité, impossible à atteindre sans que voit le jour un nouveau droit, à un  emploi durable ou à une formation qualifiante pour chacune et chacun, tout au long de la vie ? Du besoin de reconquête industrielle, indissociable de la récupération, par la nation et ses citoyens, d’une pleine souveraineté économique, sanitaire, alimentaire, démocratique ? Du renouveau républicain, concernant aussi bien le droit des populations à peser au quotidien sur les mesures à prendre pour juguler le Coronavirus, que la possibilité pour les salariés de contrôler et décider au quotidien, sans parler des institutions nouvelles qu’appelle la désintégration de la V° République ou l’impasse d’une Union européenne mettant en danger jusqu’à l’idée d’Europe elle-même ? 

À l’occasion du centenaire du Parti communiste français, Libération s’interrogeait sur l’hypothèse d’un dépassement de la scission du Congrès de Tours entre « réformistes » et « révolutionnaires ». Au vu de ce que nous démontre ce début de siècle, anxiogène alors qu’on nous le décrivit longtemps comme une « fin de l’histoire » du fait de la victoire par KO d’un nouveau capitalisme, les responsables de ce titre devraient plutôt constater que le réalisme est dorénavant du côté de celles et ceux qui préconisent la rupture, tandis que les partisans de l’adaptation au système poursuivent une chimère que la réalité dément chaque jour. C’est à partir de cette conviction que les communistes ont pu, ces dernières semaines, revendiquer le passé porteur d’avenir de leur parti. J’y reviendrai dans ma prochaine note.

Mes voeux, en ce premier jour de 2021, seront donc pour souhaiter à chacune et chacun d’entre vous le meilleur, dans vos vies et dans celles de vos proches. Et pour nous souhaiter, collectivement, une belle année de combats rassembleurs, porteurs de conquêtes et de renouveau… de l’espoir.

Christian_Picquet

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